OpenBTS: un réseau mobile open source qui pourrait changer le monde
Compact, open source et très peu coûteux, le réseau mobile OpenBTS a tout pour plaire. Testé au festival Burning Man, en plein désert du Nevada, il pourrait bien révolutionner le quotidien de pays déshérités et de zones isolées, comme il l'a fait en Haïti ou dans une base de chercheurs en Antarctique.
Voici une histoire qui a tout pour plaire : un réseau mobile open source et low-cost alimenté par énergie solaire qui révolutionne la couverture des zones défavorisées et hors de portée des antennes. Il utilise la VOIP et fonctionne avec des portables existants. Ses créateurs sont des pointures. Et le meilleur dans tout ça c’est qu’il participe de l’initiative mêlant sexe, drogue et art, connu sous le nom de Burning Man. Par où on commence ?
« Nous donnons au réseau GSM l’apparence d’un point d’accès sans fil, c’est aussi simple que ça », résume Glenn Edens, un des trois fondateurs du projet.
La technologie a débuté par le logiciel open source OpenBTS « dont tout le monde disait qu’il était impossible à faire ». OpenBTS est bâti sur Linux et distribué sous licence AGPLv3. Quand il est utilisé avec un logiciel radio du type Universal Radio Software Peripheral (USRP), il se connecte une interface GSM air (« Um ») à n’importe quel téléphone cellulaire, sans qu’il soit nécessaire d’apporter la moindre modification au portable. Il utilise le logiciel de VoiP open source Asterisk comme PBX pour recevoir les appels, bien que d’autres logiciels puissent être utilisés. (Dans une minute, je vous promet que les statistiques que je vais vous livrer feront exploser l’ingénieur réseau qui est en vous.)
Pour la troisième année consécutive, les créateurs de ce système ont décidé de lui faire passer l’épreuve du feu en offrant un réseau de téléphone mobile gratuit aux 50000 et quelques participants du festival Burning Man, qui débute aujourd’hui à Black Rock City au Nevada. J’ai posté ici quelques photos du dispositif. Mais le projet est encore assez nouveau et quasi confidentiel. Le matériel de deuxième génération est encore en version bêta et la start up porteuse du projet commercial, Range Networks, ne sortira pas de l’ombre avant septembre (à la conférence DEMO).
Deux des trois créateurs de OpenBTS forment le duo de gourou des réseaux sans fil à l’origine du Kestrel Signal Processing : David Burgess et Harvind Samra. Le troisième est  Glenn Edens, le Edens à l’origine du Grid Systems, créateur du premier ordinateur portable au début des années 1980, également connu comme ancien directeur de Sun Microsystem’s Laboratories (entre autres faits d’armes). Il est le PDG de Range Network.
Burning Man est devenu un terrain d’expérimentation torturé mais efficace : « les endroits où des dizaines de milliers de personnes se réunissent, toutes munies de leur téléphone portable, dans un environnement hostile – très chaud, poussiéreux, sans électricité ni couverture téléphonique – ne sont pas légions », remarque Edens.
Les réseaux mobiles fonctionnant sur une bande passante « propriétaire » (licenced), l’équipe d’OpenBTS obtient pour chacune de ses installations aux Etats-Unis une autorisation du FCC [Federal Communication Commission, organisme gestionnaire des fréquences aux Etats-Unis, équivalent de l'Arcep, NdT] et travaille avec le fournisseur local pour coordonner l’usage des fréquences. Quand les participants entrent dans la zone de couverture et mettent en marche le logiciel, le système leur envoie un SMS : « Répondez à ce message avec votre numéro de téléphone et vous pourrez envoyer et recevoir des textos et passer des appels. »
Edens note : « vous pouvez également appeler n’importe quel numéro mais vous ne pouvez pas recevoir de coups de fil, sauf des autres participants du Burning Man. Nous n’avons pour l’instant de contrat de roaming avec aucun opérateur. Les appels entrant de personne en dehors du Burning Man atterrissent donc sur la messagerie vocale… (vous pouvez suivre l’avancée du dispositif sur le blog de Burgess).
Edens explique en souriant que Kestrel reçoit autant de compliments que de plaintes en rendant le téléphone accessible sur le lieu de l’événement. On en gagne et on en perd.
Le potentiel de OpenBTS est de toute évidence énorme. Selon les mots d’Edens, le système est « gros comme une boîte à chaussures » et demande à peine 50 watts de courant « contre quelques dizaines de milliers » et peut donc être alimenté par énergie solaire, éolienne ou par piles. Il fonctionne aussi bien que n’importe quelle base d’antenne GSM d’une portée maximum de 35 kilomètres pour une moyenne de 20 kilomètres, selon la géographie, la hauteur de l’antenne, etc.
Il peut également utiliser des backhaul [connexions entre le réseau principal, ou backbone, et les réseaux locaux de télécommunications, NdT]sans fil. « Nous travaillons avec l’Université de Berkeley sur un projet très intéressant sur les backhaul sans fil à super longue distance », explique Edens. Une station complète, logiciel compris, coûte environ 10 000$. Comparé aux 50 000 à 10 0000$ d’investissement habituellement nécessaires pour un centre de contrôle, des centres de contrôle réseau et « toute une batterie de tuyaux » pour amener l’électricité, les backhaul, etc. sur un réseau sans fil traditionnel.
Comme dans tous les réseaux GSM, le réseau OpenBTS peut se connecter au réseau public et à Internet. Puisqu’il passe par la VoIP, il « donne à tout téléphone portable l’apparence d’une fin de ligne SIP… et chaque téléphone portable est identifié comme une interface IP. Mais nous ne modifions rien au téléphone : n’importe quel téléphone cellulaire est compatible, du portable trafiqué à 15$ jusqu’au dernier iPhone ou Androïd phone. » Les téléphone low cost sont particulièrement importants pour les projets portant sur des zones déshéritées, où les gens peuvent ainsi bénéficier de meilleurs systèmes de télécommunications.
« Des études de l’ONU et de l’UIT [Union international des télécommunications, NdT] montrent que quand vous amenez un service de communication dans une zone, les soins augmentent, le dynamisme économique augmente », dit Edens, qui note que les coûts et l’électricité nécessaires sont assez faibles pour que même un petit village puisse se le permettre. Les utilisateurs paieraient 2 à 3$ par mois.
Il se vante de la simplicité de mise en place du système. « Après le seïsme en Haïti, nous avons envoyé un de nos systèmes qui fut installé à l’hôpital de Port au Prince. Il fonctionnait une heure après avoir été sorti de la boîte. Le PBX (système d’échange interne de données et de connexion au réseau téléphonique, NdT) était mort. Ils ont utilisé le dispositif comme réseau téléphonique pendant environ deux semaines. »
Kestral a vendu près de 150 unités, logiciel et matériel, depuis janvier dernier, avec des systèmes de test installés en Inde, en Afrique, dans le Pacifique Sud et nombre d’autres pays. L’équipe a également réalisé une poignée d’installations privées sur des champs de pétroles, des fermes et des bateaux au large. Ils assurent également le réseau de la base australienne en Antarctique. De plus, OpenBTS a été téléchargé près de 4000 fois, principalement par des chercheurs capables de fabriquer leurs propres bases. Il a également suscité l’intérêt des communications militaires, des institutions judiciaires et du projet DARPA.
Puisqu’OpenBTS s’appuie sur une bande passante propriétaire, l’équipe ne vise pas les entreprises désireuses d’instaurer des réseaux mobiles privés sur les campus, même s’ils n’écartent pas cette option. Quoiqu’il en soit, Edens dit qu’il reste encore énormément de boulot à faire sur les 60% de la surface terrestre et les 40% de la population mondiale qui n’ont pas de réseau, selon les chiffres de l’UIT. Certains opérateurs, comme Telefonica ou T-Mobile, ont signifier leur plus vif intérêt.
Edens est ouvertement aussi fier de la performance technologique du projet OpenBTS de sa capacité potentiel à sauver le monde. « Beaucoup de personnes disaient que c’était impossible. Mais la technologie des “software-defined radio”s’est bien développé jusqu’ici. Nous testons désormais la deuxième génération de radio et, bien que nous ayons fait 98% du travail de codage à trois, nous avons reçu un soutien conséquent de la communauté du libre. »
Le reste du potentiel, c’est à vous de le libérer.
> Traduction d’un article initialement publié sur Network World par Julie Bort, auteur du blog Source Seeker.
Crédit photo FlickR CC par TenSafeFrogs.