Frères humains, qu’est-ce que Twitter a fait de nous?
L'usage quotidien et régulier de Twitter transformerait-il ses adeptes en "réplicants" considérant le réseau comme une extension d'eux-mêmes? Billet halluciné d'un prêcheur numérique.
“A force de vie irréelle, peut-être dirons nous un jour aux gens IRL (in real life) : j’ai vu tant de choses que vous humains ne pourrez jamais voir”… Cette semaine, j’ai tweeté à deux reprises cette réflexion personnelle inspirée de la scène finale de “Blade Runner”. Les @Garriberts de “Libé” me l’ont fait remarquer. Je les en remercie ici, ils ont fait germer l’idée, l’envie d’écrire de ce billet. Voilà ce que je leur ai répondu: “J’adore me répéter dans le bruit de nos gazouillis, prêcher K.Dick dans le désert confus de la Twittosphère“.
Prêcher ? Oui pourquoi pas. Car, frères humains, je m’interroge de plus en plus : mais qu’est-ce que Twitter est en train de faire de nous ? Des “répliquants” numériques peut-être… Comme un medium esquissant l’un de nos futurs possibles dans ses livres uchroniques, le génial Philip K. Dick l’avait prédit dans“Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques”, le formidable roman de “SF” qui servit de base au scénario du “Blade Runner” de Ridley Scott : un jour, il nous sera sans doute impossible de distinguer l’homme de la machine, les êtres réels de leurs simulacres…
Ce jour est peut-être arrivé en l’an de grâce 2010: l’année où l’internet temps réel a commencé à nous suivre partout, sur tous nos écrans, faisant de nous des mutants connectés en permanence. J’ouvre mes yeux fatigués par ces jours et ces nuits online et je crois bien que nous, adeptes forcenés du réseau “social” Twitter, sommes peut-être en train de nous confondre avec nos Avatars, nos identités numériques dans ce monde parallèle… Twitter prend de plus en plus de place dans nos vies, jusqu’à nous rendre absents au réel, à nous mêmes. Regardez-vous, regardez nous hypnotisés par la rivière de mots, d’infos, de pensées et d’émotions qui défile sur nos écrans tactiles.
La seule chose qui nous obsède c’est : que se passe-t-il en ce moment là -bas dans la Twittosphère ? Qu’est ce qu’on y raconte, c’est quoi la story, le LOL du jour ? Suis-je cité ? Repris pour ce billet, ce lien inédit ou ce trait d’esprit ? Ais-je reçu des DM, ces messages privés qui nous rapprochent entre Twitteraddict (je déteste l’anglicisme un rien vulgaire du terme “Twittos”) ? Merde je vais encore devoir remonter 6 heures de “time line” (TL) pour en être sûr de ne pas avoir manqué quelque chose…
Nous marchons dans la rue ou prenons le métro sans voir les gens; à la maison nous regardons des films en famille sans être là , l’air absent ou les yeux rivés sur l’iPhone ; nous parlons moins aux gens qui nous aiment encore en vrai à côté de nous pour tisser d’étranges liens amicaux, voire amoureux avec des inconnus qui nous deviennent très proches; au bureau, les vrais collègues ne sont pas autour de nous dans l’open space mais sur Tweetdeck ouvert en permanence sur l’écran de nos postes de travail…
J’ai déjà évoqué mon addiction, la notre, dans cette interview “Twitter est une drogue dure pour les journalistes” et aussi ce billet” To be or not to be a tweet’journalist” . Mais il y a six mois, un an, une éternité à l’échelle de notre monde de micro-blogging, je concevais cet usage compulsif du message en 140 signes uniquement comme outil professionnel. Jamais je n’aurais cru que j’allais m’immerger à ce point dans les limbes virtuelles de la TwittRéalité…
Au petit matin, alors que coule encore le café, j’allume mon ordi et vos gazouillis m’accueillent. Je dis “Bonjour Twitterland” et je commence à tweeter ma revue de presse, mes liens, à savoir de quoi sera faite ma journée de journaliste. Mais le plus important, le plus rassurant peut-être, c’est que vous êtes tous là . Comme tous les matins. Vous les veilleurs infatigables et compulsifs comme @GillesKlein ou@florencedesruol. Vous les confrères et amis @ZaraA, @Zetwitte ,@Capucine_Cousin et tant d’autres. Vous les Aliens de la Soucoupe Owni :@nicolasvoisin, @sabineblanc @LeGuillaume et tout l’équipage. Vous les jeunes journalistes-brandeurs @StevenJambot @Cecile_Jandau @JeremyJoly et bien d’autres qui êtes un peu l’avenir du métier ;-) Vous les LOLeurs comme @vincentgladqui êtes moins trash et bien moins cyniques que ce votre “TL” pourrait laisser penser. Le soir aussi, il y a les oiseaux de nuit comme @Menilmuche , @Donjipez, la belle patrouilleuse du Web belgo-londonienne @IsabelleOtto ou la divine et si littéraire@OhOceane.
J’en oublie beaucoup, il y en a tant d’autres gens étonnants, intéressants, passionnants à citer quand on suit près de 500 personnes sur Twitter. J‘aime lire dans vos pensées en 140 signes, j’aime vos mots à tous, ces fragments d’expérience et d’humanité, ils m’accompagnent le jour et la nuit…mais ils m’éloignent aussi de la vraie vie. Même si l’on se rencontre parfois IRL. Et que l’on fait de vraies rencontres professionnelles et humaines. Alors régulièrement, j’essaie de décrocher…sans grand succès ;-) “Twitter c’est comme du crack, cela m’effraie” a écrit un blogueur du “New York Times”. C’est la vérité. Vous les Twitteraddict vous l’avez tous essayé et adopté cette dope de la connexion permanente real time…Et après tout pourquoi résister à cette formidable expérience virtuelle ?
C’est fascinant de construire une autre réalité, un monde parallèle paradoxalement en prise avec le réel, du haut duquel nous observons l’actualité en marche, la petite histoire et la grande en train de se faire. Voilà d’ailleurs ce que me faisais remarquer @choregie7 l’autre jour sur Twitter : “Mais c’est pour ça que j’écris sous pseudo , lui est réel, moi non ! Ce que je dis ici est donc la réalité”.
Où est la vraie vie ? Irréelle et IRL…Les deux réalités se confondent et s’imbriquent de plus en plus inextricablement. Peut-être sommes nous des transhumains, en train de fusionner avec le réseau grâce nos pseudopodes numériques – smartphones, tablettes et autres laptop – qui deviennent comme des prolongements de nous mêmes…Philip K. Dick l’avait prédit il y a plus de 40 ans. Un autre voyant extra-ludice, Michel Houellebecq dont je lis en ce moment “La Carte et le Territoire”, le constate cliniquement et sans affect aujourd’hui :
Alors que les espèces animales les plus insignifiantes mettent des milliers, parfois des millions d’années à disparaitre les produits manufacturés sont rayés du globe en quelques jours. Nous aussi nous serons frappés d’obsolescence
Peut-être sommes nous tout simplement en train de muter, d’évoluer pour accompagner la grande révolution numérique. Pour ne pas être frappés d’obsolescence. Pour survivre. Sans devenir des machines, ni renoncer pour autant à notre Humanité. De la même manière que Roy, le répliquant Nexus de “Blade Runner” cherchait désespérément à devenir humain, nous essayons d’établir sur Twitter et ailleurs une connexion intuitive neuronale et quasi-biologique avec Internet. Cet organisme vivant qu’est en train de devenir le World Wide Web, transformant le monde en un village global digital, l’irriguant d’une multitude de données numérisées comme un coeur pulsant un fluide vital à travers un immense réseau sanguin fait de cuivre et de fibre optique… (cherchez l’auto-plagiat)
Pour finir ce billet un peu halluciné, je ne résiste pas au plaisir de vous offrir la scène finale de “Blade Runner”. Roy, le répliquant qui voulait être un homme:“J’ai vu tant de choses que vous humains ne pourriez pas croire, de grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion…”
Article initialement publié sur le blog de JC Féraud: “Sur mon Ecran radar”
Crédit Photo: CC FlickR par Fenchurch!
Laisser un commentaire