Le numérique révèle la ville sensible
Les capteurs et les transmetteurs de données constituent une couche de données supplémentaire pour que la ville soit encore plus à l'écoute de ses habitants.
La popularité d’une expression dans notre langage usuel n’est jamais due au hasard. Un mot nouveau ou un nouveau sens est souvent un “signal”. Avec cette intuition, interrogeons la notion de “ville sensible”, formulation émergente de la littérature urbaine.
La ville sensible, c’est la ville telle que je la ressens. Ses aménités, ses nuisances, ses lieux me semblent plus ou moins agréables sans que je puisse réellement expliquer pourquoi. Cette ville qui m’est propre, dans laquelle mon imaginaire se retrouve et que je peux cartographier de façon subjective, mais qui n’est pas la même que celle de mon voisin, même si nous partageons le même cadre de vie.
Longtemps, la ville n’a pas été sensible. Ou plutôt si : les écrivains, les philosophes, les penseurs l’ont toujours définie ainsi, en termes sensoriels. Mais en réalité elle s’est développée en fonction des lieux de travail et de production, des lieux de plus en plus séparés et éloignés de ma résidence au fur et à mesure que la voiture – qui devait relier tout ça -, accélérait la productivité du déplacement. Autrement dit la ville s’est développée surtout en fonction de la voiture plutôt qu’en fonction de moi, individu et piéton avant tout. Ce modèle de ville-là , c’est la “ville productive”. Une ville où l’on privilégie la quantité infrastructurelle des espaces à leur qualité d’usage. Dans cette ville, on pense qu’il suffit de construire des routes et d’augmenter le nombre de voies pour fluidifier le trafic, pour permettre à un nombre toujours plus important de voitures individuelles d’aller plus loin.
Dans la “fuite en avant” productiviste de cette ville, on oublie que la surenchère a ses limites : les ressources naturelles, la taille du territoire, le modèle économique, la fatigue et le stress des usagers.
Pourtant, en se pensant d’abord en termes d’usages et d’accessibilité à l’échelle individuelle la ville peut être “sensible”. Car c’est seulement en écoutant l’individu qu’elle se donne les moyens d’être appréhendée par les sens.
Mettre la ville à l’écoute du citadin n’est pas une idée nouvelle. Avec l’information numérique, d’autres traces se proposent via capteurs et transmetteurs.
La valorisation des usages
En permettant à tout un chacun de se réapproprier sa ville à son niveau et d’acquérir la maîtrise de ses trajectoires individuelles, la donnée ne rend pas seulement la ville plus lisible, elle la rend aussi plus sensible. L’urbaniste se voit proposer une lecture du territoire augmentée et inédite. Cette valorisation des usages prend sens dans la recherche d’une ville durable. L’urbaniste Régis Herbin, expert en accessibilité et qualité d’usage des espaces de vie, parle ainsi de démarche “HQU” (Haute Qualité d’Usage) pour répondre à ce besoin de sensibilité nouvelle. Une démarche normative qu’il développe en parallèle avec les démarches H.Q.E. (Haute Qualité Environnementale) et la Qualification ISO. Selon lui, les usages d’un lieu doivent être définis par tous, à commencer par ceux qui ont les plus grands besoins en matière d’accessibilité. Les besoins des usagers en situation de handicap devraient définir la base de l’offre du cadre bâti et non figurer en “variable d’ajustement”. En matière d’accessibilité à la ville, une bonne gestion collective des données publiques est évidemment un élément déterminant dans cette démarche.
Finalement, c’est peut-être cela, la ville sensible : une ville rendue plus accessible et, dans une certaine mesure, redécouverte par les sens. Dans ce cadre, de nombreuses initiatives entendent valoriser le rapport au corps, en permettant une certaine ludification de la ville, comme ce projet où des rues familières sont arpentées les yeux bandés pour simuler l’expérience urbaine des aveugles. Les “paysages sonores” qui se dessinent alors nous montrent un type de rapport à la ville privilégiant le canal auditif. Ils nous permettent de requestionner notre urbanité, en la revisitant sous l’angle des sens et de l’accessibilité. Un projet qui rappelle au passage que le bruit fait partie du design de la ville.
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Billet initialement publié sur le blog du groupe Chronos
Image CC Flickr MorBCN
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