Docteur Alex et Mister Türk
Président de la CNIL, Alex Türk avait critiqué l'Hadopi, puis la LOPPSI. Sénateur du Nord, Alex Türk a voté pour l'Hadopi, et la LOPPSI.
Président de la CNIL, Alex Türk avait critiqué l’Hadopi. Sénateur (non inscrit, mais ex-RPR) du Nord, Alex Türk avait ensuite voté pour l’Hadopi. Puis vint la LOPPSI. Que croyez-vous qu’il fit ? Non… Si ! Mieux : il a aussi défendu la façon, très novlangue orwellienne, qu’a le gouvernement de vouloir remplacer “dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot : « vidéosurveillance » par le mot : « vidéoprotection »“, et voté contre trois amendements de l’opposition visant à sa suppression.
D’après le PS, la LOPPSI serait le 17e projet de loi sécuritaire depuis 2002. Le PC, lui, en a dénombré 23, et le Centre 30. Loi “fourre-tout” visant à améliorer la “performance” en matière de sécurité, la LOPPSI ne prévoit aucune embauche de gendarmes ni policiers. Elle investit par contre énormément dans les nouvelles technologies, considérées comme “l’une des principales priorités” de la LOPPSI (voir La LOPPSI kiffe grave les nouvelles technologies).
Or, et comme le soulignait très justement le Groupement des industries de l’interconnexion des composants et des sous-ensembles électroniques (Gixel) dans un Livre bleu :
La sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles, il faut donc faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles.
Le Gixel invitait ainsi pouvoirs publics et industriels à accompagner les mesures développées “pour faire accepter” la biométrie par “un effort de convivialité (…) et par l’apport de fonctionnalités attrayantes” :
. Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.
. Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo
. Développer les services « cardless » à la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès Internet, …”
Constatant que la même approche ne pouvait pas vraiment être utilisée “pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle“, le Gixel proposait enfin de “recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gène occasionnée“.
Et c’est exactement ce pour quoi le gouvernement a introduit, par voie d’amendement (il ne figurait pas dans le projet de loi, on se demande bien pourquoi), l’article 17a de la LOPPSI qui vise à remplacer, “dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot : « vidéosurveillance » par le mot : « vidéoprotection »“, au motif que :
Le mot de « vidéosurveillance » est inapproprié car le terme de « surveillance » peut laisser penser à nos concitoyens, à tort, que ces systèmes pourraient porter atteinte à certains aspects de la vie privée.
“Une caméra, ça n’a aucune sensibilité!”
Au Sénat, l’opposition avait déposé pas moins de trois amendements visant à la suppression de cet article, qualifié de “visée mystificatrice” dans la mesure où “le fait de filmer une infraction, n’empêchant pas le délinquant de la commettre, ne protège en rien la victime“.
Rappelant que 75% du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) était alloué au développement de la vidéosurveillance, alors même que son efficacité n’était que de l’ordre de 1%, Eliane Assassi, sénatrice communiste de Seine Saint Denis, souligna que “le marché de la vidéosurveillance a explosé, passant de 473 millions d’euros en 2000 à 750 millions en 2006“, soit +60%, et que ce “marché juteux” reste souvent dans “une grande opacité“, faute d’information sur le coût, l’efficacité et le fonctionnement de ses dispositifs :
Il me semble que l’on assiste à une privatisation rampante du domaine public.
Pour Alima Boumediene-Thiery, sénatrice socialiste de Paris, “il ne s’agit pas d’une « bagarre sémantique ». Les mots ont un sens, et il faut avoir le courage de ses idées !” :
Pourquoi mentir aux citoyens ? Il s’agit non pas de protéger, mais de surveiller ! Appelons un chat un chat !
Entre autres arguments, les représentants de la majorité, et du gouvernement, avancèrent de leur côté que le terme de « vidéoprotection » correspondait mieux à l’évolution des mentalités, qu’elle permettait également d’innocenter les éventuels suspects “qui n’ont rien à se reprocher“, de rassurer les bijoutiers et même, comme l’a rapporté Louis Nègre, sénateur UMP des Alpes Maritimes, de retrouver les malades d’Alzheimer perdus dans la ville “dans les cinq minutes“.
Les journalistes de StreetPress, qui ont testé l’efficacité de la vidéosurveillance à Levallois-Perret, apprécieront : les policiers du PC de vidéosurveillance de Levallois-Perret, où ils étaient en reportage, ont mis 13 minutes à repérer deux autres journalistes, “aisément identifiables par les poms-poms jaunes de cheerleader qu’ils agitent”, placés sur une avenue fréquentée de Levallois…
Autre argument, avancé par Louis Nègre, l’impartialité : contrairement aux policiers, les caméras n’ont pas d’états d’âmes, et ne risquent ni de péter les plombs, permettant ainsi d’éviter toute bavure…:
Certes, d’aucuns réclament des effectifs de police supplémentaires; tout le monde veut voir du “bleu” sur le terrain, et on comprend bien pourquoi. Mais, dans le même temps, lorsqu’une caméra, qui est parfaitement impartiale – une caméra, ça n’a aucune sensibilité !- filme en continu, les braves gens le savent et sont contents.
Ne dites plus fouille corporelle, mais… “guili-guili”
Winston Smith, le héros de 1984, le roman de George Orwell, était chargé par son employeur, le Ministère de la Vérité, de revoir et corriger les archives afin que le passé corresponde à la version officielle du Parti…
Au contraire de Winston Smith, qui essayait de dénoncer Big Brother en écrivant son journal dans un coin de son appartement qui échappait au regard omniprésent du “télécran”, et donc de la Police de la Pensée, Alex Türk, lui, a décidé de la justifier, et il remporte haut la main la palme de la novlangue.
Invité à expliquer ce pour quoi il allait voter contre les amendements, et donc pour le remplacement du terme vidéosurveillance par celui de « vidéoprotection », Alex Türk s’est justifié en avançant que cela rendrait plus facile l’installation de systèmes de vidéosurveillance par les maires… “de gauche” :
J’aborderai l’aspect purement sémantique du débat en vous faisant part d’un constat. Dans le département du Nord, beaucoup plus de communes de gauche que de communes de droite recourent à des systèmes vidéo. Et les maires de gauche que je rencontre – j’en rencontre autant que de maires de droite – reconnaissent que le terme « vidéoprotection » passe mieux auprès de leurs administrés.
J’en conviens, il s’agit avant tout de communication politique. Mais si cette expression permet d’aider les maires qui ont fait le choix, comme c’est leur droit, de recourir à un tel système, je ne vois pas pourquoi on les empêcherait de l’utiliser.
Par conséquent, la querelle sémantique ne me paraît pas avoir beaucoup de sens. Même si certains pensent que la notion de « vidéosurveillance » correspond mieux à la réalité, le terme de « vidéoprotection » s’imposera par la force des choses, puisque les maires y trouveront un avantage.
Comme le note le Canard Enchaîné, qui relève cette incongruité dans son édition de ce mercredi 29 septembre 2010, “si ce n’est que ça, il n’y a qu’à baptiser le Flash-Ball “bubble-gum”, la matraque “bâton de zan”, la fouille corporelle “guili-guili” et offrir à Türk un nez rouge pour amuser les enfants…”.
Le lendemain de sa défense et illustration de la “vidéoprotection“, Alex Türk votait pour la LOPPSI, celle-là même qu’il avait pourtant critiquée dans un avis de la CNIL, signé de son président, Alex Türk.
Certes, le texte adopté au Sénat diffère de celui sur lequel Alex Türk avait été amené à se prononcer. Mais il n’a aucunement fait mention des aspects litigieux sur lesquels la CNIL s’était déclarée “extrêmement réservée” et qui restent gravés dans le projet de loi : absence de traçabilité des mouchards informatiques, extension des fichiers d’analyse sérielle, recours accru aux fichiers policiers à l’occasion des enquêtes administratives…
On ne saurait clôre cet article sans mentionner Jean-Paul Amoudry, sénateur centriste de Haute-Savoie, et commissaire de la CNIL qui, lui, n’est nullement intervenu dans le débat, se contentant de voter oui à la LOPPSI.
Capture d’écran extraite d’un entretien accordé par Alex Türk à Télérama. Dictionnaire de la novlangue : Jet Lambda : L’Echo des savanes, juin 2008.
Photo cc FlickR Tammy Green.
Laisser un commentaire