Qui a encore peur de la musique techno ?
"La Techno en tant que musique, c’est l’étendard du fun dans une société post-triste." Toute l’Europe s'y est mise, la France s’y refuse. Florian Pittion-Rossillon nous livre son analyse.
Florian officie la nuit sous le nom de Dj Speedloader, et écrit sur le blog Culture Dj.
Le rock en tant que culture, c’était du prêt-à -penser pour les baby-boomers de la génération consommation. La Techno en tant que musique, c’est l’étendard du fun dans une société post-triste. On aimerait s’y rallier dans une ferveur prophylactique. Mais voilà , on ne peut pas.
A la fin des années 80, il est de bon ton d’en rire après l’avoir affublée d’un « musique de pédés » sans appel. Au milieu des années 90, s’inscrivant dans le temps et s’arrogeant une popularité croissante, elle fait peur. Au début des années 2000, la Techno, devenu réservoir à fantasmes, voit les édiles organiser promptement sa cérémonie funèbre : le « retour du rock ». Parce que le format groupe / couplet-refrain / album / concert-qui-se-termine-tôt, c’est forcément mieux.
Le DJ est devenu une figure populaire, trop bien pour les meufs.
Est-ce que les BB Brunes, The Gossip et les Libertines ont libéré la France de l’angoisse qui poigne ses entrailles à chaque évocation du Mot ? La Techno fait-elle (encore et toujours) peur ?
Moins ! Car elle s’est banalisée.
- Après 25 ans dans le paysage, elle profite de l’effet « on-s’habitue-à -tout ».
- Le DJ est devenu une figure populaire, généralement affublée des valeurs de sympathie, fun, mode, trop bien pour les meufs.
- Les sonorités électroniques dansantes sont partout, de la musique de publicité à la pop de jeune fille à frange.
- La Techno a libéré les danseurs occasionnels de la honte d’avoir à effectuer des pas de danse imités d’un film ou d’un clip.
Les sonorités électroniques dansantes – boucles, beats – sont utilisées partout : pop, R&B, hip-hop
Mais toujours trop ! Car la France a peur.
- Après 25 ans dans le paysage, la Techno pâtit de l’effet « free party », dont l’ampleur en France la distingue de ses voisins européens
- Le DJ est devenu une figure populaire, souvent raillée, car bien peu de gens savent ce qu’il fait vraiment quand il n’a pas les bras en l’air.
- Les sonorités électroniques dansantes – boucles, beats – sont utilisées partout : Pop, R&B, Hip-Hop, mais signalées nulle part. Moderne ingratitude.
En France, Techno rime toujours avec malentendu. La réunion de conditions propices à son développement, grâce à l’expansion de la culture New Clubbing, n’y suffit pas : subsiste un goulet d’étranglement. Tentative de détection.
La Techno peine à faire reconnaître sa viabilité économique
Dans l’écosystème Techno, tout se joue sur le dancefloor. Tout s’y passe, tout en vient. A la base de la pyramide : les DJ bars. Puis, en montant : les clubs (le cœur de l’offre), les raves/events, et les festivals.
En France, la Techno peine à faire reconnaître sa viabilité économique car son circuit de diffusion physique est déséquilibré et rachitique. Il y a très peu d’évènements et de festivals, et les clubs qui tournent, au cœur de l’offre, sont peu nombreux. Par conséquent, les dernières années ont vu une scène Techno essayant de se développer par le point d’entrée le plus accessible, les bars.
Or, quel que soit leur équipement et leur communication, ils ne pourront jamais prétendre proposer un niveau d’ambiance équivalent à celui des clubs, et a fortiori des évènements. Les bars, c’est bien pour les before, et pour que les DJ débutants se fassent la main. Jamais ils ne rendront la nuit magique. Les bars sont une fausse piste.
Les angoisses gauloises, nourries de récits apocalyptiques de free parties saccageuses de pâturages.
Alors, lestée d’énormes contraintes, anémiée par la rareté des fondamentaux, la scène française est fertile en épiphénomènes et en figures extra-Techno (David Guetta, Justice, Daft Punk, à la Techno ce que les Beatles étaient au rock : une gentille initiation) constituant la marge d’un épicentre que l’on aimerait voir croître enfin.
Les associations, cœur et poumon de la scène Techno française.
L’éco-système Techno français, dynamique mais peu structuré, peinant à se doter d’évènements très visibles, souffre par suite d’un déficit de représentation médiatique. D’où la persistance des angoisses gauloises, nourries de récits apocalyptiques de free parties saccageuses de pâturages.
Les observations qui précèdent ne diminuent en rien le travail héroïque des associations, cœur et poumon de la scène Techno française.
Associations qui, malgré le coût exorbitant des lieux, les pressions subies pour tapage nocturne (accentuées par la législation sur la cigarette imposant au public de fumer dans la rue si le lieu n’a pas de fumoir), et la concurrence des DJ bars ayant reconverti leurs caves en piste de danse, continuent d’animer nos nuits.
Les observations qui précèdent ne diminuent en rien le travail courageux des clubs et lieux qui maintiennent des programmations audacieuses, drôles, innovantes, ou alors simplement distrayantes. L’entertainment n’est pas honteux.
L’arrivée de professionnels de la communication et du spectacle
Il reste que pour que la France arrive à vaincre sa peur de la Techno, il faudra que celle-ci réussisse son intégration économique à grande échelle. Celle-ci passe par la viabilisation d’une économie des clubs, raves/events et festivals. Et donc par un afflux massif de professionnels de la communication et du spectacle dans la conception et la promotion d’évènements Techno. La décennie 2010 sera celle de la rencontre entre son potentiel mal connu et une économie des clubs basée sur des modèles à renouveler. Espoir !
A suivre donc :
- La Techno, quel potentiel pour quel bénéfices ?
- Les clubs, quels modèles pour quel avenir ?
En gardant en tête que pour la Techno, tout se joue sur le dancefloor.
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Cet article a été initialement publié sur Culture DJ
Crédits photo Flickr CC : iamdonte, little_fella_dynamics
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