5 pistes de monétisation digitale pour les médias
Benoît Raphaël nous prévient : il n'y a pas de solution miracle durable pour trouver l'équilibre budgétaire, mais des pistes à panacher en fonction de son média et des usages. La complexité domine maintenant ces derniers.
S’il y a bien une chose que j’ai appris pendant ces quelques années d’expérimentation sur Internet c’est que ceux qui ont raison finissent toujours par avoir tort quelques mois plus tard, et vice-versa. Finalement, les seuls qui ont tort, sont ceux qui abordent la révolution en cours avec un esprit activiste. Dans un sens ou un autre. Les Ayatollahs du tout web, du tout gratuit, sont aussi dangereux que ceux de la méthode Coué “le print n’est pas mort”, “tout doit être payant”.
Ce que j’ai appris c’est que, peu importe d’avoir tort ou raison, il faut être en mesure de s’adapter quand le vent tourne. Et le vent tourne tout le temps. Par vent, entendez : usages. Mais la plus grosse erreur que l’on fait, ce n’est pas d’ignorer les usages, c’est de considérer les révolutions des usages comme des “shift” d’un monde à un autre, des basculements d’une tendance à une autre. La vraie révolution digitale, ce n’est pas le changement des usages, c’est leur complexité croissante.
La bonne nouvelle avec Internet, c’est qu’il vous offre des outils inédits pour mesurer cette nouvelle complexité.
Quand on aborde la question des business models dans un monde digital, il ne faut donc pas penser en terme de changement, mais de complexité. Il n’y a pas une stratégie, mais une combinaison de tactiques agiles, basée sur des économétriques, et capable de s’adapter aux usages. Lesquels varient selon le moment, le lieu, les individus, les groupes, mais aussi passent d’un outil à un autre sans pour autant abandonner le premier.
Cette règle posée, voici quelques pistes pour vous aider à avancer dans cette nouvelle jungle :
1-La création d’une audience qualifiée
Le modèle publicitaire sur Internet est-il à jeter à la poubelle ? On le sait, le transfert des investissements publicitaires des médias papier et audiovisuels vers le digital s’est fait au détriment des médias, et à l’avantage des moteurs de recherche (le fameux “search”, 37% des investissements contre 22% pour la pub display en France, selon la dernière étude Cap Gemini). Mais la réalité est plus fine. La dernière étude en date montre un regain de la pub en 2010 (+12%), laquelle prendrait des parts de marché au search. Sur le mobile, la pub display continue de dominer le secteur (85% contre 71% en 2009 ).
Et sur la pub, les performances varient d’un média à un autre : le grand quotidien espagnol constate : 26 millions de visiteurs uniques sur leur site (gratuit), mais pas assez de chiffre d’affaires. Seulement 8 millions d’euros par an (le Huffington Post gagne 2 fois plus avec 2 fois moins de VU, et le site santé WebMd gagne 412 millions de dollars pour 60 millions de VU). La différence : la capacité à mettre en scène l’information pour mieux qualifier son audience.
Au-delà des fameux “eye-balls”, c’est donc dans la qualification des utilisateurs que se cache la clef de la réussite publicitaire.
Quatre clefs ici :
- Plus que la trafic, il faut travailler sur la qualité de la communauté. Il vaut mieux 1 million de visiteurs de qualité qui reviennent que 5 millions qui ne font que passer par Google.
- Pour cela, la marque est indispensable. Une marque est une bannière capable de rassembler une communauté et de la mettre en confiance. Ce qui améliore très nettement les taux de conversion.
- La qualité de la communauté, c’est la qualité du service proposé, mais aussi des commentaires, et de l’animation sur le site.
- La qualité c’est aussi une meilleure qualification des utilisateurs pour mieux cibler pubs et services, c’est-à-dire 1) une meilleure mise en scène de l’info pour rassembler les utilisateurs autour de sujets de conversation ou d’univers qui les rassemblent. 2) une plus grande personnalisation des contenus 3) des outils de tracking (sinon pas de qualification…)
2) Les “deals”
Le business model de l’audience qualifiée ne repose pas que sur la publicité. Mais aussi sur les transactions. Une communauté en confiance et bien ciblée cliquera plus sur les offres commerciales.
Bonne nouvelle, le marché de l’affiliation est en hausse de 14%.
Il s’agit concrètement de proposer aux utilisateurs des produits et services de tiers et de récupérer un pourcentage sur le deal.
Dernière révolution en route : les “city deals”. Popularisés par Groupon, qui propose chaque jour dans une ville, un deal (entre 40 et 90% de réduction si un nombre donné de personnes décident d’acheter), les city deals cartonnent (même si les avis divergent encore sur le taux de satisfaction des commerçants). Le Star Tribune, qui a lancé son propre service de City Deals, espère faire 500.000 dollars de chiffre d’affaires l’année prochaine.
3) Le payant : vers un packaging de l’info
Bref, la monétisation du gratuit peut encore rapporter gros. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut pas faire payer. Le débat est vieux comme l’Internet, mais la question reste la même : “que faire payer ?”
Là encore, les choix sont trop souvent idéologiques alors qu’ils devraient être pragmatiques. Première erreur : considérer le “paywall” comme un moyen de faire payer les contenus aux utilisateurs. La stance est imparable, mais relève plus de la religiosité économique que du réalisme : “les contenus de qualité coûtent cher, donc il faut les faire payer”. La vérité est ailleurs : dans un univers où chaque information, même de qualité, même exclusive, est aussitôt synthétisée, débattue, reprise, enrichie par les autres médias, blogueurs et autres twittonautes, faire payer le contenu pour le contenu n’a pas de sens.
Ce n’est pas le contenu d’info que l’on fait payer, mais le service d’info.
Et dans ce service, le packaging de l’info tient une bonne place. Et si vous regardez le problème sous cet angle, vous vous rendez compte qu’il ouvre beaucoup de possibilités. Là encore, pensez “économétriques”.
Dans un environnement digital, est-ce le contenu du journal papier que vous vendez ou le service qu’il rend à un moment et un lieu donné ? La question n’est pas de savoir quel contenu doit aller sur le journal, mais quel service on attend de lui. Un journal papier n’est rien d’autre qu’un navigateur web offline, où l’on attend d’y avoir l’essentiel disponible dans un seul package, facilement consultable, et adapté à mon usage du journal : je l’achète à telle heure, je le lis dans telles conditions…
Dans le modèle payant, c’est le packaging que l’on fait payer. Parce qu’il rend un service.
On peut avoir un site gratuit et vendre à la communauté qui s’y rassemble en masse (et que vous avez qualifiée) des dizaines de produits packagés différents, qui vont du produit papier à l’application mobile ou tablette spécifique (un guide sur une thématique, une appli spéciale événement, une appli de sélection ou uniquement visuelle, etc).
Et là encore, la frontière entre gratuit et payant varie selon l’environnement concurrentiel sur le terrain où vous placez le service.
4) Le marketing des tablettes et du mobile
Je l’ai évoqué plus haut. Mais le sujet mérite à lui seul un chapitre spécifique.
On se trompe souvent sur la nature du marché mobile. Et on simplifie le problème : sur le mobile, les gens paient plus facilement, donc je fais payer. En fait, les utilisateurs ne sont pas prêts à payer pour tout. Ils paient avant tout le service. Et plus l’environnement est fermé, plus ils paieront. Mais l’environnement n’est pas toujours fermé.
Surtout, il faut cesser de considérer l’appli comme un “site web fermé”, donc payant. Si vous l’observez bien, le marketing des applis se rapproche plus de celui des best-sellers ou des jeux vidéos : il faut lancer plusieurs applications, qui packagent des services et des contenus différents. Vous avez trois semaines pour placer l’appli dans le top 10, après, le jeu est terminé. Comme pour un livre.
L’idée est donc d’utiliser votre appli “média” gratuite (celle qui rassemble vos contenus) comme support pour lancer vos applis “hors-série” payantes. Et de bien étudier le marketing des jeux vidéo et de l’édition.
5) Love money
Enfin, last but not least, la love money. Les utilisateurs sont prêts à vous donner de l’argent s’ils vous aiment, ou plutôt s’ils aiment le service que vous rendez. Plus encore s’ils ne sont pas obligés de le faire, plus s’ils considèrent que cela sert une cause qu’ils soutiennent.
Cela peut être un soutien pour un média militant ou pour l’indépendance de la presse (Mediapart), mais pas seulement. David Cohn, fondateur de Spot.Us, une plateforme qui permet aux utilisateurs de financer des reportages, m’expliquait la semaine dernière que ces derniers ne le faisaient pas pour aider le journalisme : “They don’t care about journalism, they care about causes”. Ils paient parce qu’ils veulent voir des reportages sur des causes qui les intéressent : comme la propreté dans leur ville, l’environnement, la justice sociale etc.
Voilà donc de quoi faire votre marché. En n’oubliant pas que si vous pouvez choisir l’un ou l’autre de ces modèles, ou les additionner, la clef est de les superposer. Une audience qualifiée pour une publicité plus “utile” et performante, pour améliorer les taux de transformation des “deals”, travailler la marque pour améliorer la qualité de la communauté et la love money. Tout ça pour mieux vendre des services packagés.
À condition d’être agile, de faire évoluer les modèles en fonction d’économétriques, et d’essayer d’être “utile”. Nous sommes passés du business de l’audience et du consommateur à celui de “l’utilisateur”.
D’autres pistes ?
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Billet initialement publié sur La Social NewsRoom
Images CC Flickr DavidDMuir et brtsergio
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