La guerre secrète des journaux français (MAJ)
Les journaux français jouent l'union sacrée pour sauver la manne des AJL qui pourrait bien être purement et simplement supprimée depuis Bruxelles.
MAJ : une série de remarques de Bruno Ricard, directeur du SPQR, qui revient sur la question des AJL :
” 1 milliard d’euros de recettes provenant des AJL ! C’est très loin de la réalité. (…) dans le rapport Balluteau il est question de 0,89 M€ de PA (incluant l’emploi, l’auto, l’immobilier, le carnet, les marchés publics, etc… et les AJL). Par ailleurs, l’aspect temporel des données récoltées est important : elles l’ont été en 2004 par l’Inspecteur Général, donc portant assez largement sur 2003. Tu connais comme moi l’orientation des PA dans la presse depuis… Dernier élément : on mélange allègrement les choux, les carottes et les navets dans cette analyse. Le projet de modification de la directive européenne 68/151 ECC ne concerne QUE l’information légale des entreprises, soit une partie seulement des annonces légales et laisse hors champ les annonces judiciaires, administratives et l’ensemble des annonces officielles relatives aux marchés publics. Toutes ces réfactions montrent un volume de recettes pour l’ensemble de la presse de l’ordre de …150 millions d’euros.”
Alors, pas un milliard mais beaucoup moins ? Pour ma part, le chiffre de 150 millions d’euros me paraît très bas, mais il semble clair que le milliard évoqué dans mon billet manquait pour le moins de précision puisque le chiffre englobait bien d’autres données. Bruno a donc on ne peut plus raison de me le signaler et c’est bien volontiers que je corrige.
Le fond reste malgré tout le même : après s’être fait “siphonné” le juteux marché des PA par les nouveaux acteurs, la presse voit poindre le risque de voir s’envoler celui des annonces légales et décidé de se battre, en toute discrétion. Et l’on peut se poser deux questions : cette bataille doit-elle être publique ou non ? En voulant “simplifier” la vie des entreprise, la Commission européenne met en péril d’autres entreprises, paradoxal non ?
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C’est un guerre secrète qui fait rage entre Bruxelles et la presse française depuis près de deux ans. Une guerre feutrée qui se déroule dans les salles de réunions des ministères, dans les couloirs des institutions européennes. D’un côté, la presse française qui, une fois n’est pas coutume, joue presque unanimement l’union sacrée. De l’autre, l’Europe qui souhaite harmoniser les législations et simplifier la vie des entreprises.
Au cÅ“ur du conflit, les Annonces Judiciaires Légales et la dématérialisation des marchés publics. Des dossiers très techniques, mais dont la valeur est on ne peut plus sonnante et trébuchante et se compte en centaines de millions d’euros1. Une véritable manne représentant jusqu’à 15% des revenus publicitaires de la presse régionale (PQR, PQD, PHR) par exemple.
Lobbying et course contre la montre
Un marché de poids qui menace de disparaître purement et simplement ! Depuis que la Commission européenne veut simplifier les procédures d’information de l’activité des entreprises. En clair : Bruxelles veut que les entreprises ne soient plus obligées de passer des annonces judiciaires légales dans les journaux, mais que tout puisse être concentré sur une plateforme dématérialisée et centralisée au niveau européen. Pour la presse régionale, c’est presque un demi milliard d’euros qui risque de s’envoler du jour au lendemain. Pour les quotidiens nationaux, c’est une centaine de millions d’euros par an qui passeraient à la trappe, et autant pour les hebdos nationaux.
Sans parler de la presse judiciaire pour qui les AJL et les marchés publics représentant 95% de leur chiffre d’affaires et qui risque de mettre tout simplement la clé sous la porte si la décision est entérinée par Bruxelles.
Du coup, depuis deux ans, la guerre fait rage.
Les armes des belligérants ? La logique de l’harmonisation européenne pour Bruxelles puisque la France est le seul pays à avoir conservé un tel système qui oblige les entreprises à passer des AJL dans la presse papier.
Du côté des journaux français, un fort lobbying qui mobilise tous les politiques possibles et hantent les couloirs de la Commission européenne avec un seul objectif : gagner du temps.
La presse hexagonale sait qu’elle ne pourra pas éviter éternellement cette harmonisation européenne, alors elle joue la montre et fait ses propositions. Les journaux français, réunis en union sacrée exceptionnelle, veulent obtenir de la Commission la possibilité de gérer eux-mêmes la dématérialisation de ces annonces. En clair : récupérer sur le web une partie de ce qu’ils perdront sur le papier et sauver les meubles.
Infogreffe s’invite dans le jeu
Mais les rebondissements sont nombreux dans cette guerre on ne peut plus discrète. Ainsi, le ministère de la Justice semble sur le point de jouer un mauvais coup aux journaux français en appuyant l’entrée dans la danse d’un nouvel acteur : Infogreffe. Si rien n’est encore joué, les journaux n’apprécient que très moyennement. Alors qu’ils essayent de sauver un gâteau dont ils savent qu’il sera moins appétissant, le ministère de la Justice semble vouloir aider un nouveau convive à se mettre à table…
On le voit, la guerre des AJL est loin d’être terminée, même si les journaux français ont le chronomètre contre eux. Combien de temps parviendront-ils à bloquer les projets de Bruxelles ? Réussiront-ils à “sauver” le marché des légales pour une presse française déjà souvent mal en point ? Au moment où sont remises en cause bon nombre d’aides à la presse, la plupart des journaux se passeraient bien d’une telle perte…
En mai dernier, à l’occasion du 37ème congrès de la PHR, j’interrogeais Bruno Hocquart de Turtot sur le sujet et le directeur du SPHR résumait ainsi les enjeux de la bataille qui se livre actuellement en coulisses :
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Billet initialement publié sur Cross Media Consulting
Image CC Flickr Dunechaser
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