Écologie: la terra incognita est juste sous nos pieds
Pour les chercheurs en écologie, comprendre le rôle des communautés microbiennes du sol est la nouvelle terra incognita. Nous comprenons en y mettant pied à quel point elle est nécessaire pour la vie des autres organismes.
On attribue à Léonard de Vinci d’avoir dit qu’on connaît mieux le fonctionnement de l’espace que celui du sol sous nos pieds. Est-ce toujours vrai en 2010 ? Presque ! Pour les chercheurs en écologie microbienne, comprendre le rôle des communautés microbiennes du sol est la nouvelle terra incognita.
Y mettre pied pourrait sans doute changer notre compréhension du fonctionnement des écosystèmes, ce qui explique la quantité de résultats récents sur ce thème. Alors que nous commençons à peine à apprécier la mesure de cette diversité, en utilisant des méthodes de biologie moléculaire récentes, nous comprenons à quel point elle est nécessaire pour la vie des autres organismes, au premier rang desquels on trouve les plantes.
Un monde de bactéries
Qu’est-ce qu’une bactérie ? Un organisme unicellulaire, dépourvu de noyau, capable de doubler sa population en quelques heures. Mais surtout : un organisme qui évolue rapidement et dont les capacités d’improvisation dépassent l’entendement.
Une bactérie, c’est un grand transformateur de matière. Pour une molécule qui rentre, qui sait prédire (à part en regardant le génome !) ce qui sortira ? Ces transformations, du domaine de la biochimie, modifient l’environnement et permettent à toute un cortège d’espèces de se développer. Et ce raisonnement est tout aussi valable pour les différentes espèces de champignons qui coexistent avec les bactéries.
Une bactérie, c’est aussi dans le sol un organisme qui protège. En tapissant les racines des plantes, les bactéries bloquent l’accès des champignons phytopathogènes, qui par conséquent sont incapables de démarrer une infection1.
Cette année, une équipe néerlandaise a publié dans la revue Ecology Letters (la plus prestigieuse des revues d’écologie) des résultats saisissants2 . En manipulant expérimentalement la diversité et la quantité de bactéries dans un sol, on observe que les interactions entre les plantes et leurs herbivores sont modifiées.
Non seulement les migro-organismes peuvent modifier la quantité et la nature des ressources disponibles par leur activité biochimique, mais ils vont aussi établir des interactions indirectes avec des organismes qui sont à des niveaux trophiques beaucoup plus élevés.
Qui se serait douté que les insectes devraient se soucier des bactéries ? On commence donc a réaliser que la clé vers une meilleur exploitation des sols n’est sans doute pas cachée au fond d’un bidon de pesticides, mais qu’elle pourrait être déjà contenue dans le sol lui même !
Une diversité utile
Cette diversité ne sert pas seulement à maintenir l’écosystème en service. Les industriels ont réalisé dans les dernières années que les bactéries étaient tout à fait capables de dégrader certaines molécules, comme les hyrocarbures, les pesticides et certains engrais. On peut donc exploiter cette capacité pour dépolluer des sols, ou des eaux.
Ces applications potentielles font que récemment, le sol et les bactéries deviennent un sujet sexy ! La preuve, l’exposition «Biodiversités » du CNRS consacre une large surface à cette « biodiversité invisible ». L’occasion pour chacun de réaliser qu’une bactérie, ce n’est pas seulement une nuisance qui résiste aux antibiotiques mais avant tout un organisme invisible à l’œil nu qui porte sur ses frêles épaules le poids de tout un écosystème.
Alors les bactéries, grandes régulatrices de l’écosystème ? Probable, mais elles ne sont pas exemptées de régulations elles-mêmes. Par exemple, on sait que les pollutions brusques peuvent modifier la « structure » de la communauté bactérienne, c’est-à-dire changer les espèces présentes, mais aussi leur proportion dans l’écosystème3 . Et pour ne rien simplifier, ces perturbations abiotiques sont en interaction avec les interactions biotiques qu’établissent les bactéries.
Ainsi, un résultat récent obtenu par une équipe de l’université d’Oxford4 montre comment, en fonction de la quantité de ressources disponibles, la présence de différents prédateurs (organismes qui consomment les bactéries, comme par exemple les protistes et certaines levures) aboutissent à des communautés composés d’espèces différentes, ce qui implique qu’elles ne rendent pas les mêmes services.
Les liens entre changement environnemental et interactions écologiques peuvent avoir des répercussions encore plus importantes. Dans un travail que nous avons réalisé à l’université Montpellier 2, et publié la semaine dernière dans Biology Letters 5 , nous montrons que dans les milieux plus pauvres en ressources, les bactériophages (des virus qui s’attaquent aux bactéries) sont confrontés à un risque d’extinction plus important.
L’une des leçons de l’écologie des communautés de ces dernières années, c’est qu’un écosystème sans parasites fonctionne moins bien et risque de voir sa diversité diminuer6 : c’est un problème puisqu’on réalise que plus un écosystème est diversifié, plus il est fonctionnel7.
Faire des prédictions dans un environnement changeant
Ces différents travaux ont en commun un point important. Les chercheurs commencent à rapporter les micro-organismes présents dans l’environnement au laboratoire. Après tout ce qu’on avait appris en écologie et en évolution expérimentale sur les systèmes microbiens, nous étions collectivement d’accord sur le fait que c’était la prochaine étape logique8 !
En ramenant dans un contexte contrôlé ces systèmes souvent complexes, nous avons la possibilité de suivre beaucoup plus en détail les différents mécanismes, et de placer ces communautés dans des « scénarios écologiques » différents. Quel meilleur cadre pour comprendre les conséquences des changements sur les communautés naturelles ? En dehors de l’aspect fondamental (la compréhension des mécanismes qui participent du fonctionnement de l’écosystème), les systèmes microbiens vont permettre de faire des prédictions sur l’évolution des interactions dans un environnement qui change.
Le sol, un nouvel horizon
Voilà la situation des chercheurs à l’heure actuelle. L’écologie est depuis quelques années en train de s’ouvrir à un nouvel horizon (le terme étant plus approprié que jamais, un horizon étant une couche du sol en pédologie). Pour assurer le maintien et le fonctionnement des plantes, des insectes, et de nos sociétés qui les exploitent, nous reposons sur les capacités d’une foule de micro-organismes, vivant par milliards dans un gramme de sol.
Il faut parier que dans les prochaines années, le déploiement de techniques de pointe utilisées pour comprendre ces interactions va s’intensifier. Mieux nous comprendrons la diversité du sol, comment elle apparaît, comment elle se maintient, et comment la préserver, et plus nous serons à même prévoir les impacts des changements environnementaux, et surtout de mettre à profit ce que la vie sait faire pour avoir de meilleurs pratiques dans notre exploitation des sols. En deux mots, l’écologie va vivre son grand retour à la terre…
Photos Flickr CC : Max Braun, estherase et pennstatelive.
- Keel, C, et al. MPMI 15 (2002) http://dx.doi.org/10.1094/MPMI.2002.15.6.567 [↩]
- Gera Hol, WH, et al. Ecology Letters 13 (2010) http://dx.doi.org/10.1111/j.1461-0248.2009.01424.x [↩]
- Païssé, S, et al. Microbial Ecology 60 2010 http://dx.doi.org/10.1007/s00248-010-9721-7 [↩]
- Bell, T, et al. Biology Letters (sous presse) http://dx.doi.org/10.1098/rsbl.2010.0027 [↩]
- Poisot, T, et al. Biology Letters – sous presse – http://dx.doi.org/10.1098/rsbl.2010.0774 [↩]
- Hudson, PJ, et al. Trends Ecol Evol 21 (2006) http://dx.doi.org/10.1016/j.tree.2006.04.007 [↩]
- Mouquet, N, Gounand, I & Gravel, D http://www.sfecologie.org/2010/regards-3-mouquet/ [↩]
- Buckling, A, et al. Nature 457 (2009) http://dx.doi.org/10.1038/nature07892 [↩]
Laisser un commentaire