Journal de bord de la guerre psychologique en Irak

Pour gagner le cœur de la population irakienne, les G.I. se sont vite rendus compte que la force brute ne serait d'aucun secours. C'est à ce moment qu'ils ont conceptualisé les PSYOP.

Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

__

La guerre en Irak ne s’est pas jouée uniquement sur l’usage de la force physique. L’armée américaine a également mené une bataille moins tangible, celle des consciences et des cÅ“urs, au sein d’une unité spéciale: les “Psychological Operations”. Les rapports mis au jour par Wikileaks le 23 octobre 2010 dévoilent les dessous des “PSYOP” et l’évolution de leur action au fil du conflit.

Un rapport des forces armées américaine qui date de 2003 donne la définition suivante des PSYOP (appelées par l’armée française “Opérations militaires d’Influence”) :

Opérations visant à transmettre des informations et des indicateurs à des audiences étrangères de manière à influencer les émotions, motifs, raisonnements, et finalement, comportements de gouvernements, organisations, groupes et individus étrangers.

C’est en 2007 que le général Petraeus fait des PSYOP un élément clé dans stratégie globale pour la stabilisation de l’Irak. Sous l’impulsion de Petraeus, qui prend le commandement des forces de la coalition en février de cette année, le conflit passe de sa période “chaude” à la phase de “state-building”, la tentative de construction d’un état stable.

Parallèlement à l’envoi de 20.000 soldats supplémentaires, il s’agit d’aller au-devant de la population via les PSYOP, pour faciliter les opérations américaines et progressivement préparer le retrait des troupes. Dans un contexte où l’armée américaine avait “tendance à être un peu brutale, pour le général Petraeus, quand on fait la guerre, on n’est pas obligé de tuer l’ennemi”, explique le Colonel François Chauvancy, spécialiste français des opérations militaires d’influence.

En septembre 2007, soit sept mois après son accession à la tête des opérations en Irak, le commandant des forces multinationales présente son rapport au Congrès Américain. Il vante les mérites des “activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger”. Le but: montrer les forces américaines sous un jour favorable aux irakiens, alors que l’armée US traverse une période de grande difficulté.

Nous avons engagé des activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger.

-
Rapport au Congrès, 10 septembre 2007

Une fois gagnés les “coeurs et les esprits”, de moins en moins d’Irakiens se rebelleront, estime Petraeus. Exemple de ces activités: dénigrer les insurgés en les présentant comme des suppôts du mal. A la suite d’échanges de tirs dans le quartier nord de Bagdad, ce rapport de 2008 préconise de les appeler des “lâches”, des “criminels” et des “terroristes”. Un élément de langage réutilisé de très nombreuses fois. Il était accompagné d’un numéro de téléphone, pour encourager la population à la délation:

Ces derniers jours, des criminels et terroristes ont apporté le mal dans vos quartiers. Pour eux, peu importe si leurs balles atteignent les lieux où jouent vos enfants. Les lâches responsables de ces actes de terreur montrent une fois de plus leur manque de respect pour la vie d’innocents et l’amour de la paix. Ne laissez pas ces terroristes faire du mal à vos familles. Appelez-nous si vous avez la moindre information.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 11 mai 2008

Si la nomination de Petraeus marque une nouvelle étape dans l’importance des PSYOP, ils sont présents en Irak dès l’invasion de 2003. 6.000 agents sont affectés en permanence aux brigades américaines par compagnies de 70 hommes.

A ce stade du conflit, ils interviennent pour conduire un harcèlement moral de l’armée nationale irakienne. Ils inondent les boîtes vocales d’officiers irakiens de messages affirmant que la guerre est perdue. En d’autres occasions ils alertent l’armée irakienne d’un bombardement prévu à une certaine heure, avant de mettre la menace à exécution. “Le sentiment d’impuissance était absolument terrible pour les forces irakiennes”, explique Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique.

Au cours des premières années d’occupation, on fait également appel aux PSYOP pour annoncer et faire respecter des couvre-feux ou encore les règles d’”escalade de force” lors des contrôles aux check points, suite à de multiples bavures.

2009: les PSYOP comme force majeure de transfert du pouvoir

En 2009, une nouvelle consigne impulsée par la doctrine Petraeus apparaît massivement dans les rapports: il s’agit de se rapprocher des pouvoirs locaux. Objectif visé: s’insérer dans la population, approcher les leaders religieux et politiques des villes et villages. Les PSYOP doivent discuter avec les habitants des attentats qui viennent d’avoir lieu et se montrer compatissants, comme l’énonce ce rapport d’août 2009:

Continuez d’écouter ce qui se dit dans la rue, engagez des conversations avec les habitants à propos des attaques, et soyez prêts à en discuter avec les chefs locaux.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 24 août 2009

La même année, la stratégie passe à un stade supérieur: le transfert progressif du pouvoir aux autorités locales, condition sine qua non du départ des troupes américaines. C’est là que se systématise la diffusion du message esquissé en 2007: les Irakiens doivent avoir confiance dans les forces de sécurité de leur pays. Dans les rapports de l’armée, c’est une avalanche d’éléments de langage (“talking points”, en anglais).

La nouvelle consigne: ne plus se mettre en avant en tant que soldat américain, mais systématiquement valoriser les institutions locales. Que ce soit dans des tracts ou des scripts envoyés aux stations de radio et chaînes télévisées, il faut montrer que la police et l’armée irakiennes ont le contrôle de la situation. Dès début 2009, un thème récurrent se dégage des rapports, celui de “protéger les protecteurs”: les locaux doivent aider ceux qui assurent leur sécurité, Irakiens et Américains.

Les forces de coalition travaillent de paire avec la police irakienne et l’armée irakienne pour vous protéger et assurer la sécurité dans votre ville. Aidez-nous à les protéger.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 20 janvier 2009

En montrant que les deux côtés coopèrent, cet élément de langage vise à transmettre à la police et l’armée irakiennes l’aura de confiance que les Américains croient détenir auprès de la population.

Les PSYOP cherchent par là à renforcer l’identification des Irakiens à ces nouvelles forces formées par les Américains durant la guerre:

Votre armée, votre police, vos forces de sécurité et les chefs de ces forces vous protègent. Votre armée a montré à tous l’exemple à suivre.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 30 octobre 2009

Mais le discours va plus loin. Les soldats américains doivent présenter les membres des forces de sécurité irakiennes comme des “héros”. Un ton bien différent de celui des insurgés, qui appellent les meilleurs d’entre eux des “martyrs”:

Les policiers irakiens sont des héros et travaillent très dur pour protéger les habitants de Mossoul Ouest.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 4 février 2009

Un discours en contradiction avec d’autres déclarations des forces américaines, qui savent pertinemment que la torture pour des motifs souvent arbitraires a toujours cours dans les commissariats irakiens.

Suite de la campagne de contre-insurrection, les PSYOP continuent de véhiculer des messages de dénigrement des insurgés, qu’ils présentent comme désespérés… tout en mettant encore en valeur les forces irakiennes:

Les criminels sont en train de perdre leurs soutiens dans toute la province de Mossoul et perdent espoir. Une fois de plus, cela prouve que la police irakienne est plus que capable et prête à protéger Mossoul face aux criminels et aux insurgés. Les soldats de l’armée irakienne travaillent dur pour que de belles choses arrivent à tous. Montrons notre soutien à l’armée irakienne pour tout ce qu’ils ont fait pour les citoyens de Mossoul.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 14 février 2009

Parmi les messages dirigés vers les Irakiens coopératifs, un rapport de 2009 montre également celui-ci. Il cherche à conforter dans leur choix ceux qui collaborent, non sans quelques accents religieux:

Vos efforts pour sécuriser le pays doivent continuer. Vous avez choisi le bon chemin.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 26 janvier 2009

Un nouveau moyen d’influence apparaît également dans les rapports de l’armée en 2009: la rumeur (appelée “whisper campaigns”, en anglais). Une manière d’influencer les acteurs au plus près, puisqu’ils ne peuvent pas identifier la source de l’information et qu’ils la relaient eux-mêmes.

Les PSYOP reposent en paix

Le rôle toujours plus important des PSYOP en 2009 et 2010 leur a aussi valu une certaine renommée. Une célébrité qui ne leur a pas rendu service, puisque la population américaine a eu tendance à les considérer comme des unités de propagande.

Résultat: ultime rebondissement, en juin 2010, l’Etat-major américain a décidé de supprimer le nom des PSYOP, porteur d’une connotation de manipulation des esprits. Elles deviendront les “Military Information Support and/to Operations”, ou MISO. Un changement de nom tactique, pour une unité soucieuse de renvoyer une image positive.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

__

Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army, DVIDSHUB

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés