Dépendance financière : après les retraités et si on parlait des jeunes ?
Les jeunes qui ont manifesté contre la réforme des retraites sont-ils mieux logés que leurs aînés ? Entre les mécanismes d'aide publique et le problème du logement, la dépendance des étudiants reste un problème irrésolu.
Des lycées bloqués aujourd’hui, l’Université hier et le CPE avant-hier. On continue la chronologie ou c’est suffisant ? Ces mouvements entrainent dans la rue quelques milliers de jeunes, étudiants, lycéens. Crier leur colère, leurs désillusions et leur envie de reconnaissance.
A l’heure où le 5ème risque (coût de la dépendance des personnes âgées) parait plus important que les conditions précaires dans lesquelles peuvent vivre une partie des jeunes, moi ça m’effraie. Car les années estudiantines sont sensées être nos plus belles années alors que nous vivons dans un climat de crainte face à l’avenir. Quel étudiant pourra dire que son diplôme l’amène à un boulot des plus épanouissant ? Que penser de cette galère et de cette course aux bourses, aux petits boulots pour financer ses études au détriment de ces dernières ?
Adulte plus tard car dépendant plus longtemps
L’entrée sur le marché scolaire d’une foule d’élèves dans les années 80, l’objectif d’emmener 80% d’une classe d’âge au bac [1] (et non 80% de réussite au bac !), l’allongement de la scolarité depuis les années 1960, le contexte économique difficile qui ne date pas d’hier et les craintes de la « jeunesse » de ne pas trouver de travail à la sortie de leurs études amène à une redéfinition de la question « qui sont les jeunes aujourd’hui ? ».
Tout d’abord, ils sont plus vieux que ceux d’hier, vision purement logique du problème, on assiste à une désynchronisation et à un report des seuils d’entrée dans l’âge adulte [2]. Être adulte aux yeux de toute une société, c’est pouvoir s’assumer matériellement. Or, les jeunes subissent une double dépendance : étatique et familiale. S’en débarrasser pour être un adulte à part entière, respecté en tant que tel, maitre de ses décisions et libre de ses choix personnels (sans parler de la dimension psychologique) relève du parcours du combattant.
Alors pourquoi parcours du combattant ? D’une part, les aides de l’Etat sont indexés sur la situation familiale, par le biais entre autres des bourses et des allocations jusqu’à 20 ans. Quid des étudiants en rupture avec leur parent ou dont le lien est fragile, à tel point que demander une aide financière devient en soit difficile ? De ce point de vue, le jeune « presqu’adulte » est considéré comme dépendant. Mais de l’autre, l’Etat verse directement une allocation logement aux étudiants, conditionnée par le montant de leurs propres ressources. Ici en revanche, il est adulte. Un âge mais deux définitions.
Logement : rester l’enfant ou risquer l’indépendance
De plus la majeure partie des frais de scolarité (à titre indicatif, plus de 400 euros pour un master, avec la Sécurité Sociale), et parfois des frais annexes, incombent à la famille et obligent soit à rester au domicile parental (où le jeune demeure « l’enfant»), soit une dépendance financière au niveau du logement (le jeune est un adulte infantilisé par nécessité). Ici encore, l’étudiant est assis entre deux chaises, position somme toute assez inconfortable.
Il y a « tension entre la volonté de suivre la norme de l’indépendance du jeune adulte et la nécessité d’être pris en charge financièrement pour pallier au manque de ressources nécessaire à une indépendance totale [3]».
Alors certes l’accès à l’indépendance par la décohabitation se retrouve dans les milieux aisés. En revanche dans les milieux les plus modestes, partir de chez soi implique un travail salarié à côté des études. Même pas la peine pour les BTS et IUT ! Quant à la fac, le travail en dehors reste encore vecteur d’abandon, et ce dès la première année… On peut aussi tout abandonner et faire œuvre d’une « sortie précoce sans filets [4]», trouver un travail qui ne correspondait pas à nos idéaux premiers. Je ne parle bien sûr pas de « devenir princesse »… c’est pas le même type d’idéal.
Alors ces jeunes, là dans la rue, se rendent-ils compte du décalage entre leurs désirs (hétéro-normés ça va de soi !) et les possibilités réelles. Non ?
(le titre est une citation de Louis Gruel et Claude Grignon, à retrouver dans l’enquête de l’Observatoire de la Vie Etudiante de 1999)
[Mise à jour le 21 octobre]: à lire cette semaine dans la presse: l’excellent dossier desInrockuptibles n°777 « Le président anti-jeunes » et Libération du 21 octobre « Jeunes. Pourquoi ils se révoltent »
[1] Je vous conseille l’excellent livre de Stéphane Beaud 80% au bac et après, les enfants de la démocratisation scolaire , Editions La Decouverte, 2003
[2] Olivier Galland, Un nouvel âge de la vie, Revue française de Sociologie, 1990
[3] Cecile Van de Velde, La dépendance familiale des jeunes adultes en France. Traitement politique et enjeux normatifs, ouvrage collectif, Serge Paugam, Repenser la solidarité, l’apport des sciences sociales, Paris, PUF, coll. Le lien social, 2007.
[4] Michel Bozon et Catherine Villeneuve-Gokalp, 1995, L’art et la manière de quitter ses parents, Populations et Sociétés, n.297.
Article publié initialement sur le blog Regardailleurs sous le titre : « Devenir étudiant, c’est presque toujours, devenir économiquement assisté ».
FlickR CC Antoine Walter ; Valco.
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