Pétrole et gaz : l’empire russe des hydrocarbures à la conquête de la Chine

En étendant ses oléoducs vers Pékin, la Russie tisse son réseau d'acheteur en dehors de l'Europe. Une indépendance qui annonce des ambitions mondiales.

Billet publié à l’origine sur Nouvelle Europe sous le titre L’énergie russe à la conquête de l’Est.

Depuis le début du XXIe siècle, la Russie, actuellement premier producteur de pétrole mondial (10,16 millions de barils par jour) et deuxième exportateur (derrière l’Arabie Saoudite), tente de diversifier ses exportations énergétiques, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’Union européenne, en ouvrant une route asiatique vers les marchés chinois, coréen et japonais.

En février 2009, les entreprises publiques Rosneft et Transneft ont obtenu un crédit de 25 milliards de dollars, financé par Pékin, en échange d’un contrat de livraison pétrolière sur 25 ans – 15 millions de tonnes annuellement entre 2011 et 2030 – à la Chine. Durant ce même mois de février, la Russie lançait le projet « Sakhaline-2 » en installant sa première usine de gaz naturel liquéfié (LNG) à Sakhaline (Mer d’Okhotsk, Extrême-orient russe). Ces projets font partie de l’effort russe pour conquérir les marchés asiatiques à forte croissance. Moscou prévoit d’augmenter sa part dans la région, de 4% actuellement à 20-30% à l’horizon 2030. La Chine devrait constituer le principal marché pour le pétrole russe dans le futur grâce à la mise en exploitation des gisements en Sibérie orientale.

Siège de Gazprom à Moscou

Le 29 août 2010, le Premier ministre Vladimir Poutine a ouvert la section russe de l’oléoduc Chine-Russie dans la région du fleuve Amour (geste assez symbolique, car les îles du fleuve Amour avaient été l’objet de tensions frontalières sino-soviétiques en 1969) en Extrême-Orient, tandis que la section chinoise partant de Daqing dans le nord de la province de Heilongjiang devrait être terminée d’ici à la fin 2010. Si ce délai est respecté, le pétrole pourrait commencer à couler vers la Chine à partir de janvier 2011.

Un projet vital pour Moscou

Le Premier ministre russe a souligné l’importance vitale de ce projet pour Moscou, qui devrait aider son pays à diversifier géographiquement ses exportations. En effet, jusqu’à ce jour, la Russie exporte 75% de son pétrole et 80% de son gaz à destination de l’Union européenne.

Une fois opérationnel, ce nouvel oléoduc pourra transporter jusqu’à 30 millions de tonnes de pétrole vers la Chine et la région Asie-Pacifique. Toutefois, selon Transneft (société publique russe qui gère le réseau d’oléoducs du pays), la Russie ne peut répondre pour le moment à une telle demande, car les gisements de Sibérie orientale n’entreront que progressivement en activité. Il y a effectivement un important problème d’investissement dans l’industrie énergétique russe.

Le tube russo-chinois est complètement intégré à l’oléoduc Sibérie orientale-Asie Pacifique (ESPO), qui a été lancé en décembre 2009, et qui s’étend de Taïchet dans la région sibérienne d’Irkoutsk jusqu’à la baie de Kozmino située sur le Territoire de la Province maritime (océan Pacifique). Lorsqu’il sera totalement achevé en 2014, l’ESPO pourra transporter 80 millions de tonnes de pétrole vers les marchés d’Asie-Pacifique par an.

De plus, si à partir de 2015, comme convenu lors de la visite du Président russe Dmitri Medvedev à Pékin, fin septembre 2010, la Russie est capable d’entrer sur le marché chinois du gaz, elle pourra relâcher la contrainte européenne et accroître sa marge de manÅ“uvre vis-à-vis de ces deux grands marchés. En effet, l’accord signé entre le géant russe Gazprom et son homologue chinois CNPC prévoit la fourniture de 30 milliards de mètres cubes de gaz par an pendant 30 ans à la Chine.

Derrick en Sibérie orientale.

Le cauchemar de Bruxelles

À partir de cette date, les fortes positions acquises en Europe et en Asie permettront à Moscou de fixer les volumes et les prix en fonction de sa volonté politique, sur les deux continents.

De ce fait, la diversification des livraisons russes risque de se transformer en un véritable cauchemar pour Bruxelles aussitôt que le Kremlin pourra jouer l’Europe contre l’Asie. Cette situation deviendra d’autant plus critique que Moscou continuera de contrôler les flux gaziers en Asie centrale et en Azerbaïdjan. Par conséquent, l’Union européenne se trouvera fort démunie face à la puissance énergétique russe puisque Bruxelles n’a toujours pas réussi à adopter une politique énergétique commune.

Carte réalisée par Marion Boucharlat

À l’Est, la qualité de brut ESPO pourrait remplacer, à moyen terme, la qualité Dubaï comme la nouvelle référence pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique. Pour le moment, le pétrole ESPO est vendu avec une décote comprise entre 0,3 et 1,6 dollars le baril par rapport à son concurrent établi du Moyen-Orient.

Un futur empire énergétique

Cependant, l’ESPO possède au moins deux avantages. Sa qualité est meilleure et surtout ses délais de livraison sont beaucoup plus faibles : deux semaines contre deux à trois mois pour le pétrole en provenance des pays du Golfe persique, à cause de l‘éloignement géographique plus important.

Ainsi, la Russie possède tous les atouts pour devenir un important fournisseur d’énergie dans la région la plus dynamique du monde qu’est l’Asie-Pacifique, grâce à son réseau de pipelines ou à sa flotte de cargos LNG en cours de constitution.

Finalement, à la manière d’une araignée, la Russie tisse patiemment sa toile qui couvre déjà le continent eurasiatique. Et dans les cinq prochaines années, lorsque les livraisons en gaz naturel liquéfié commenceront à se développer vers l’Amérique du Nord, elle couvrira les trois grands marchés mondiaux. Cette stratégie de diversification transformera la Russie en une véritable superpuissance énergétique globale, ce qui accroîtera de manière significative son influence politique en Chine et au-delà sur la scène internationale.

Toutefois, cette stratégie ne réussira que si les investissements et les technologies nécessaires sont mis en place. Pour Moscou, le défi à relever est donc à la hauteur des espoirs de puissance.

Photo FlickR CC Pierre-Julien Grizel ; Albert Alien ; Smocked ice.

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