Le B2i a eu 10 ans ce 23 novembre, qu’est-il devenu?
Bruno Devauchelle, formateur-chercheur au Cepec Lyon, fait le bilan du brevet informatique et Internet, dont la mise en œuvre est selon lui révélatrice de nombreux travers du système éducatif français.
Le socle commun a-t-il dévoré le B2i1 ? À écouter les équipes qui tentent de mettre en place ce dernier, le B2i est soit un vieux souvenir à oublier, soit une logique acquise qui facilite le déploiement du socle. En tout cas, en fêtant les 10 ans du B2i ce 23 novembre, on peut signifier le début d’une nouvelle façon d’aborder la place des TIC dans le monde scolaire. Pas si nouvelle pourtant, mais pour la première fois, c’est un cadre qui a été fixé pour la scolarité obligatoire : l’usage des TIC est non seulement recommandé (le B2i n’était qu’une note de service à l’époque), mais aussi il s’appuie non pas seulement sur des connaissances informatiques, mais sur des pratiques qui seront plus tard appelées usuelles des technologies de l’information et de la communication.
Geste politique, le B2i initié par Jack Lang a été progressivement renforcé dans le paysage réglementaire de l’école jusqu’à son intégration dans le socle commun et dans la certification de fin de collège (le B2i était exigé au moment du passage du DNB). Autrement dit d’un simple geste, le B2i est devenu la loi. Certes remanié à plusieurs reprise dans sa forme ou dans son fond, a assez peu changé au cours de ces dix années.
La contestation de ce B2i, observable au travers de sa mise en œuvre dans les classes, est intéressante à observer car elle révèle de nombreux travers de notre système éducatif :
- Le premier de ces travers est le refus par les enseignants d’appliquer la loi telle qu’elle est écrite. Comment en effet comprendre la légèreté des propos tenus par nombres d’enseignants par rapport à cette obligation légale, et ce encore plus avec l’arrivée du socle commun.
- Le deuxième est celui d’une lutte pour la scolarisation de l’informatique qui s’est opposé au B2i pour insuffisance de connaissances fondamentales. Les principaux zélateurs de l’informatique comme discipline n’ont eu de cesse de lutter contre le B2i au nom d’une conception des savoirs académiques bien particulière, mais aussi d’une conception de la place de l’informatique dans les sciences qui a mis à mal dans de nombreux établissements ce qui devait être une première étape.
- Le troisième est celui de la méfiance du monde enseignant pour les technologies et en particulier celles de l’information et de la communication. En retardant au maximum la mise en place du B2i sous de nombreux prétexte, les enseignants ont renforcé cette image de méfiance technologique qu’ils avaient déjà donnée à voir avec la télévision.
- Le quatrième est celui des errances de la hiérarchie intermédiaire, et en particulier des corps d’inspection qui ont souvent eu du mal à accompagner le B2i. Il suffit de lire les rapports de l’inspection générale sur le sujet pour s’en rendre compte, mais aussi d’entendre certains de ces inspecteurs dénigrer le B2i devant les enseignants (surtout dans certaines disciplines).
- Le cinquième est celui de la difficulté de l’école à mettre en œuvre des textes qui ne donnent pas lieu à des moyens spécifiques. Parce que transversal à tous les enseignements, le B2i a mis en difficulté une conception traditionnelle de l’enseignement. L’habitude est soit de déléguer à une personne, soit de ne rien faire : on a pu observer dans de nombreux établissements les deux cas de figures, même si cela s’estompe progressivement.
- La sixième est la prise de position étonnante des chefs d’établissement par rapport à leur obligation de mise en œuvre du B2i. Combien sont-ils, ceux qui ont signé des B2i alors que les élèves n’avaient que peu ou pas touché un clavier et vu un écran au cours de leur scolarité… En tout cas nombre d’élèves ont été validés pour ne pas nuire à leur scolarité, plus que pour attester de leurs compétences si souvent contestées par les enseignants eux-mêmes…
Équipement : les politiques ont été « légers »
- La septième est l’inadéquation d’un dispositif comme le B2i avec les équipements des établissements. Alors qu’en 1999 le précédent ministre avait envisagé qu’un ordinateur portable soit donné à chaque enseignant sortant de la formation initiale, on s’est rapidement aperçu que tout allait de travers en matière d’équipements. Le récent plan ENR et le prochain plan numérique nous montrent combien les politiques ont été « légers » dans ce domaine.
- Le huitième est l’absence d’accompagnement constructif et prescriptif des enseignants dans une évolution pourtant constamment réaffirmée. Parce que le ministère a utilisé le plus souvent le numérique comme effet d’annonce en ne le prolongeant que rarement par les réalités promises, il a amené nombre d’enseignants à railler le B2i. Hors dans le même temps les enseignants s’y sont mis à titre personnel. Autrement dit, le contexte a dix ans de retard sur les intentions du B2i.
- le neuvième est la volonté de scolariser toute pratique sociale et ainsi de la déconnecter de la réalité des usages comme le montre la réécriture du B2i en 2006. En précisant les connaissances, les capacités, les attitudes de chaque domaine, le ministère a fini de rendre difficile à mettre en œuvre le B2i. De plus il en a fait un exercice qui serait condamné à devenir scolaire alors que le souhait initial était d’accompagner une pratique sociale en lui donnant un cadre structurant.
- le dixième est la propension du système à persévérer dans une bonne idée initiale sans jamais adapter sa politique aux réalités de la mise en œuvre comme on peut le voir avec le B2i lycée. Il suffit de lire les textes de la réforme du lycée pour s’apercevoir que seules deux ou trois disciplines ont pris soin de noter le B2i dans les nouveaux programmes. À tel point qu’en dehors de ces programmes disciplinaires, il n’est fait aucune allusion au B2i lycée. Il faut dire à la décharge du lycée, que l’université à réussi à imposer le C2i niveau 1 (licence) sans se préoccuper de ce qui se passait avant, déresponsabilisant le lycée sur ce domaine.
- le onzième est celui de la hiérarchie qui s’est rapidement emparée des logiciels de suivi du B2i (GiBii en particulier) pour développer un modèle de contrôle du monde scolaire qui tend aujourd’hui à se développer avec l’application de gestion du socle commun. La centralisation des acquisitions du B2i par un logiciel régional ou national a permis à des responsables de réaliser un vieux rêve : observer de loin les élèves en trains d’acquérir des compétences. Mais ils en ont rapidement réalisé un autre : contrôler la qualité du travail des enseignants et des équipes en observant la manière dont ils mettaient en place les évaluations du B2i. Avec l’arrivée de l’application centralisée de gestion du socle, on assiste à la généralisation de cette approche.
L’objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC n’est pas atteint
En fait le B2i n’a pas atteint son objectif d’acculturation du monde enseignant aux TIC et c’est regrettable. Du coup c’est par l’extérieur qu’est en train d’arriver cette acculturation : livret de suivi, de compétences, d’orientation, cahier de texte numérique, ENT etc. enserrent progressivement l’enseignement scolaire. Ce qui n’a pas marché par l’intérieur est en train de poser son emprise de l’extérieur. Restent les nombreuses difficultés.
Le B2i parce qu’il tentait de prendre en compte une réalité des pratiques sociales des jeunes était un signe positif de l’ouverture de l’école sur son environnement. Le socle enterre malheureusement cette approche en scolarisant davantage qu’initialement cette orientation. Même si le contenu de la compétence 4 du socle laisse penser le contraire, les échanges que l’on peut avoir dans les collèges, davantage que dans le primaire, montrent que l’on est loin de cette orientation. Le monde scolaire reste donc largement plus rétif aux TIC qu’on ne le pensait et l’enquête récente publiée par le ministère, même si elle est rassurante sur les pratiques personnelles est inquiétante sur les pratiques en classe. Mais surtout cette enquête oubliait un phénomène essentiel : l’effet établissement. Comment comprendre qu’une enquête sur les pratiques des TIC dans le monde scolaire ignore à ce point le « cadre d’action » ? On trouve là une explication du relatif échec du B2i : on résonne au niveau des enseignants sans se soucier réellement du cadre d’action concret… non pas considéré (comme l’enquête en ligne faite par le ministère le laisse penser) dans sa dimension quantitative sur ratio ordinateurs/élèves, mais dans sa dimension qualitative du fonctionnement réel et de l’organisation des TIC dans les structures établissements. Force est de constater que le bricolage remarquable de nombre d’enseignants à compensé l’absence de vision d’ensemble. À moins qu’un prochain plan numérique ne prenne à revers ce problème….
À suivre et à débattre
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Billet initialement publié sur le blog de Bruno Devauchelle
Image CC Flickr Jonathan Pobre et Marcin Wichary
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