Noël, ce mal nécessaire
Taper sur Noël, c'est comme les sujets sur les SDF en hiver : un marronnier. Pourtant si cette fête est détestable par bien des aspects, difficile de la jeter complètement aux orties, comme nous l'explique Agnès Maillard.
Faut pas croire, mais moi aussi j’aime bien les arbres morts qui clignotent dans la nuit pendant que les braves gens se font péter la panse de goinfrailles pas forcément très bonnes, mais assurément très caloriques et dispendieuses. J’aime bien la foire d’empoigne devant le dernier boudin blanc oint du souvenir du parfum de la réplique chimique de la truffe noire du Périgord.
J’aime bien pipeauter ma naine à fond, à lui expliquer que le cinquième gars en bottes d’équarrissage qui a des touffes de cheveux noirs qui s’échappent de la houppelande légendaire est un assistant du père Noël, le vrai, le beau, celui qu’on ne voit jamais, hélas, et qui a une étrange tendance à plus filer de jolis cadeaux aux gosses de bourgeois qu’aux seuls enfants sages… surtout si les parents de ces derniers rament au RSA.
Bref, faut pas me faire passer pour ce que je ne suis pas. J’ai l’esprit très fêtes, si, si.
Remember Shining
J’adore la quinzaine commerciale, ses vitrines barbouillées de dessins qui se voudraient naïfs et qui sont surtout niais, ses fausses promotions sur de faux produits de luxe et sa musique ! Ha, la musique de Noël ! À elle toute seule, elle mériterait un poème cousu main, avec ses clochettes tintinnabulantes, les trilles joyeux de ses violons échevelés et ses petits refrains entraînants entonnés en chÅ“ur par les orphelins de la police montée de Québec… ou d’ailleurs. Tout humain neurologiquement sain plongé plus de 15 minutes dans un flot sirupeux de musique de Noël devient nécessairement un tueur en série. Remember Shining. Et soyez circonspects et méfiants envers ceux de vos concitoyens dont le travail les exposent à cette nuisance auditive sept heures par jour, pendant beaucoup trop jours pour rester honnêtes.
Le top mercantile de Noël, j’y ai eu le droit, du temps de mon enfance parisienne, avec les vitrines animées du boulevard Haussman, leurs automates à la précision suisse, leurs décors disnéyens et leurs avalanches de paquets cadeaux vides, mais brillants.
Si tu n’es pas allé au Printemps à Noël, tu as raté ton enfance. Et c’est tout.
Le Printemps et son sapin géant qui perce les étages dans une débauche de guirlandes lumineuses de nature à mettre la centrale de Golfech à genoux. Le Printemps et son escouade d’une bonne quinzaine de vrais pères Noël qui paparazzient les trolls émerveillés à chaque coin de rayon. Le Printemps et son attelage de rennes qui annonce l’hiver et la pluie de cadeaux.
Et la naissance du petit Jésus, itou.
La crèche et son petit Jésus schtroumphisé par le froid
Parce que le top du top, c’est quand même la crèche vivante de la petite église de montagne perdue à flanc de Tarentaise, avec son petit Jésus schtroumphisé par le froid, sa Marie-couche-toi-là dont les talons à bascule ont fait la joie des petits gars de la vallée l’été dernier, son Joseph-Pernod-Ricard et son cheptel bien de chez nous qui réchauffe la chapelle d’un pet bruyant en plein sermon. Ça, c’est quelque chose. C’est le versant religieux et traditionnel de la chose. C’est le chœur céleste des angelots de la chorale du bled dont la voix haut perchée est un ascenseur pour le ciel. C’est même héroïque, comme l’année où le chasse-neige n’est pas passé à temps et où il a fallu coller la mère Michèle sur le capot de la Deuche pour pouvoir se tracter dans la poudreuse jusqu’à la messe de minuit, un peu plus haut dans la pente, à travers les chemins de chèvres que les torrents furieux défoncent au printemps. Ben oui, une Deuche, ça passe partout, pourvu qu’on lui leste bien les amortisseurs avant, parole de fille des montagnes!
Mais plus que tout cela, ce que je préfère dans l’esprit de Noël, c’est le grand repas de famille du réveillon, un pur moment de bonheur scintillant et gargantuesque que certains préparent à grands shoots d’anxiolytiques plus d’un mois à l’avance. Dans la série des grandes réunions familiales où tu peines à te faire porter pâle, tu as les mariages, les enterrements et le réveillon de Noël. Le réveillon a cela de bien que l’on sait à l’avance quand tombe le verdict, ce qui fait qu’on a tout loisir de s’y préparer aussi bien que pour le marathon de New York. Et puis, surtout, on est certains de ne pas devoir s’en enquiller plus d’un par an.
Jamais sans mon Prozac
Déjà , quand j’étais gosse, c’était sportif à organiser, à commencer par le plan de table, grand moment de diplomatie gastronomique, où il convenait de ne pas attiser les vieilles vendettas dont l’origine se perd dans la nuit des temps des cavernes et dont la fin devrait transcender la vibration rauque de la dernière des trompettes du jugement dernier. Venait ensuite le choix du menu, avec sa farandole de plats qui devait témoigner à coup sûr de l’opulence et de la générosité de celui qui recevait sur son terrain. Sans oublier la portion régime de tata Georgette dont le cholestérol ne tolérait même plus la trêve des confiseurs. Et pour finir, le casse-tête des cadeaux, encore qu’avant la loi Évin, c’était tout de même nettement plus fastoche qu’aujourd’hui : cendriers, briquets et bonnes bouteilles et le tour était joué.
De nos jours, avec les familles recomposées, on a juste ajouté un peu d’équations du second degré dans l’organisation des migrations vespérales. C’est le Noël alternatif. On voit les gosses un Noël sur deux. Il ne faut donc pas se planter dans la liste des cadeaux, sinon, ça va charcler au pied du sapin le lendemain matin.
C’est beau la modernité.
Même si le point d’orgue sera une digestion quelque peu difficile devant un quelconque bêtisier de Noël sur écran plat 16:9 Full HD, les neurones nécessairement au repos pendant que l’estomac bataillera sous sa ligne de flottaison.
Pourtant, on en redemande…
Mais en fait ce que l’on préfère dans Noël, c’est qu’il existe. Même si les jouets vus à la télé sont d’une mochitude confondante dans la lumière pâle des petits matins blêmes. Même si la bouffe coûte un bras, pèse sur l’estomac et creuse le déficit de l’année qui s’annonce. Même si la moitié des convives fait la gueule et que l’autre fait semblant de passer un moment inoubliable. Même si la déco est plus clinquante que le bal de l’Élysée, version Sarko. Même si on ne sait jamais quoi offrir à ceux que l’on aime et que l’on sait encore moins recevoir. Même toute cette joie forcenée, tout ce gaspillage ont quelque chose de profondément pathétique.
On adore ça.
Et on en redemande.
Parce que pire que les conneries de Noël, c’est un Noël sans conneries.
Un Noël de petit nombril du monde.
Le moment précis où l’on mesure l’importance des réseaux. Pas les réseaux sociaux virtuels d’Internet sur lesquels le soleil ne se couche jamais.
Non, nos réseaux d’appartenance, ceux qui font qu’on est un humain parmi les humains, même si c’est souvent chiant et étouffant.
Car Noël bat la mesure de notre appartenance à l’humanité
Familles, je vous hais. Mais au moins, vu avez le mérite d’exister, de donner de la substance, un substrat à ma colère.
Saint-François-d’Assise prônait la pauvreté à ses disciples. Pour nous, la pauvreté, c’est ne rien posséder, à peine sa carcasse. À l’époque de Saint-François, la pauvreté avait un autre sens, bien plus profond, finalement. Les gens, dans leur grande majorité, vivaient de peu et possédaient encore moins. Ce qui faisait la valeur d’une personne, c’était son appartenance à un groupe, à une communauté, voire à plusieurs réseaux. On existait comme le fils de, le voisin de, le membre de telle guilde, l’habitant de tel village. Le pauvre, c’était le pauvre hère, le vagabond, celui qui n’a d’attaches nulle part, celui dont personne ne pouvait dire qu’il le connaissait. Celui qui n’appartenait à aucun groupe, on pouvait le chasser, le maltraiter, le dépouiller : il n’était protégé en rien, par rien et par personne.
Alors oui, il est de bon ton de détester Noël, ses pacotilles, son fatras de bonnes intentions coulées dans un océan de mercantilisme, mais comme tous les rites collectifs, il bat la mesure de notre appartenance à l’humanité. À une toute petite part de cette humanité. Peut-être pas la meilleure, mais sûrement pas la pire.
Parce que la pire des pauvretés, finalement, c’est de ne compter pour personne.
Photos CC Flickr masatsu (bûche), Stéfan (vendeuse et crèche), nirbhao (Prozac) et g.h.vandoorn (tablée)
Une CC Loguy pour OWNI /-)
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