Bonne résolution pour 2011 : guérir l’économie de la maladie de la croissance
Encourageant la casse sociale et écologique, la croissance n'est même plus capable de solder la dette des Etats... Une bonne raison pour se tourner vers d'autres critères de développement pour les sociétés.
A l’exception notable d’une branche d’Europe Ecologie, l’ensemble de la classe politique positionne ses programmes politiques dans des objectifs de recherche de la croissance économique. La croissance est ainsi vue comme le seul moyen de résoudre le chômage, de rembourser les colossales dettes publiques, et de réduire les inégalités.
Pourtant, alors que nous ne sommes qu’à l’aube d’une nouvelle crise financière, notre espérance de croissance a-t-il jamais été aussi faible ? Et alors que de plus en plus de voix se lèvent pour prôner la décroissance, n’y a-t-il pas des raisons légitimes de croire que le capitalisme arrive à la fin d’un cycle expansionniste ?
Après m’être attaqué il y a quelques semaines au mythe du plein emploi, c’est donc le mythe du retour de la croissance qu’il faut aujourd’hui abattre pour construire le monde de demain.
Quand la croissance ne permet plus de rembourser les dettes…
Tout d’abord, commençons par analyser la conjoncture actuelle. Les rocambolesques « sauvetages » de la Grèce ainsi que de l’Irlande nous présagent un avenir bien sombre sur l’ensemble de l’Europe. De quoi s’agit-il exactement ? Ce n’est pas aussi compliqué que cela puisse paraitre, et je vais en tout cas essayer de résumer la situation.
Les états européens accumulent les déficits publics depuis 30 ans. Pour se financer, ils se sont endettés sur les marchés en émettant des obligations (= des dettes à moyen terme). Qui achète ces obligations ? Essentiellement les banques, assurances et autres investisseurs de nos propres pays, parfois même des investisseurs étrangers (la Chine par exemple). Pourquoi le font-ils ? Parce que les états sont théoriquement des agents qui ne peuvent pas faire faillite, donc les obligations sont réputées « sans risque », la bonne affaire quoi!
Sauf que la crise financière des subprimes de 2008 a accéléré l’endettement des états, qui ont perdu leurs dernières plumes dans des plans de relance coûteux et inefficients. Du coup, ceux-là même (les banques) qui achetaient les yeux fermés les obligations d’état se sont levés un bon matin en réalisant que l’état grec n’était plus en état de payer. Ils se mettent donc à revendre massivement leurs titres, provoquant ainsi une panique et une hausse des taux des obligations vers 12-13% voire plus, ce qui signifie que la Grèce ne peut tout simplement plus financer son fonctionnement : c’est la faillite.
Afin d’éviter cela, l’Union européenne a décidé de créer un fond de stabilité, qui permet à l’UE de racheter des obligations grecques pour rassurer le marché et financer la Grèce à un coût raisonnable.
Le problème, est que la Grèce, bien que dans une situation exceptionnelle, n’est pas un cas isolé. Répétez le scénario au cas de l’Irlande (fait), de l’Espagne (ça arrive…), du Portugal, de la Belgique, de l’Italie et de la France, et vous comprendrez alors que la sphère financière est comme une épée de Damoclès au dessus de l’économie européenne. Notre espérance de croissance est complètement hypothéquée par les marchés. Combien faudrait-il de milliards d’euros pour sauver tous ces pays surendettés ? Certainement trop…
Mais d’ailleurs, quand bien même le fond de stabilité permet de remettre à flots les pays qui en ont besoin, il n’est pas du tout certain que cela suffise à remettre ces pays « dans le droit chemin ». Car la contrepartie de l’aide de l’Europe, c’est la mise en place de plans de rigueur. Or ces plans vont naturellement freiner la croissance par la baisse du pouvoir d’achat. Concrètement, un pays comme la Grèce n’a que 2 options : entrer dans la déflation afin de relancer sa compétitivité à moyen terme (comme le suggérait Dominique Strauss-Kahn) ; ou au contraire provoquer de l’inflation, ce qui permet de faire « fondre » la dette souveraine. Mais dans tous les cas, la croissance à court terme est très fortement compromise par les deux scenarii ! Or, en absence de croissance, comment feront les états pour rembourser les nouvelles obligations émises (et leurs intérêts !) ??!
Bref, vous l’aurez compris, nous sommes loin de la « reprise » que nous promettaient nos dirigeants il y a quelques mois. Mais la vérité est plus profonde que cela. Ce que nous rappelle cette crise, c’est que depuis les années 80, nous avons endetté toujours plus massivement encore la société (citoyens, entreprises et états confondus) pour tenter de stimuler une croissance inexistante et ainsi retrouver le plein-emploi. Mais cette croissance n’était que virtuelle, car, étant sans cesse dans l’impossibilité de rembourser les intérêts de la dette (vu que la croissance n’était pas suffisante…), son coût était sans cesse repoussé par de nouveaux emprunts… Après la crise de 2008 « sanctionnant » le niveau excessif des dettes privées, c’est aujourd’hui les dettes publiques qui se trouvent dans le collimateur de la méfiance des marchés. La boucle est bouclée…
La morale de cette histoire, c’est que le surendettement généralisé du système ne peut plus continuer. Nous touchons aux limites du système, la fin d’un cycle : nous devons nécessairement trouver d’autres moyens de financer l’économie (en reprenant par exemple la souveraineté de la création monétaire – perdue depuis Maastricht). Mais en attendant, il faut bien que quelqu’un paie… !
… ni de créer de l’emploi
Nous venons de voir comment, derrière une crise en apparence conjoncturelle, notre espérance de croissance à court et moyen terme avait été anéantie par la sphère financière. A présent, analysons comment les autres fondements de la croissance économique du XXème siècle sont remis en cause : les ressources naturelles et la démographie.
Ce n’est un secret pour personne, notre économie repose en grande partie sur la consommation de matières premières dont les réserves naturelles sont par nature limitées : le pétrole, le cuivre, le gaz, le charbon, l’uranium etc. Sans ces ressources là , nous serions incapables de produire et marchander autant qu’aujourd’hui. Certes, personne ne peut prétendre savoir quand nous serons à court de ces-dites ressources, mais nous savons tout de même que nous ne pourrions soutenir les besoins planétaires si le reste du monde avait le même niveau de vie moyen que celui des citoyens des pays développés. Autrement dit, dans l’état actuel, si la croissance de pays comme la Chine et de l’Inde continue, elle se heurtera nécessairement au manque de ressources planétaires (ce qui nuirait alors à la croissance mondiale).
D’autre part, nous savons que la population des pays développés est vieillissante et que notre population ne croît aujourd’hui que grâce à l’immigration. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Il est fort probable que la population actuellement stagnante va diminuer, réduisant de fait la consommation domestique (qui est le principal moteur de la croissance française de ces 15 dernières années…) Dans les pays du Sud qui n’ont pas achevé leur transition démographique (l’Afrique surtout), la population augmentera encore pendant quelques décennies, alors même que l’on ne sait même pas comment nourrir les populations existantes. Les capacités de production risquent de ne pas subvenir aux besoins des prochaines générations.
Tout semble donc indiquer que notre système économique n’est pas viable dans ces conditions. En fait, la notion de croissance (sous-entendu : illimitée) risque de se confronter à la réalité des limites de notre planète dans laquelle la plupart des ressources ainsi que la population ne peuvent pas être illimités. Nous avons tendance à l’oublier, mais la croissance des 50 dernières années a été exceptionnellement exponentielle. Il ne serait donc pas « anormal » qu’elle ralentisse fortement au XXIème siècle. Comme le suggère le graphique ci-dessous (déniché ici), nous ne ferions qu’entrer dans une nouvelle péridode : la phase de stabilisation de la croissance :
Que nous réserve un avenir sans croissance ? Avant de tenter d’en projeter quelques pistes, faisons tout d’abord la critique du modèle de croissance. La croissance n’est qu’une représentation statistique de l’expansion de l’économie. On sait bien que le PIB n’est pas du tout représentatif du bonheur d’une population. C’est évident, mais toujours bon à rappeler : si la croissance ne profite qu’à 10%, et appauvrit les 90% restants, alors à quoi bon la rechercher ?
Et c’est malheureusement à peu près ce qui se passe en France depuis les années 80.
D’une part, on constate que le lien entre croissance et emploi s’est affaibli. Autrement dit, la croissance économique n’est pas nécessairement créatrice d’emploi, notamment en raison des gains de productivité comme je l’expliquais dans mon dernier article, étroitement lié à l’augmentation du travail à temps partiel subi. Nous assistons donc à une « croissance sans emploi ».
Par ailleurs, nous savons également que la croissance des 30 dernières années est marquée par un partage déséquilibré de la valeur ajoutée entre capital et travail qui est la conséquence directe d’un rapport de force défavorable aux travailleurs (en raison du au chômage). Ce rapport est stabilisé à environ 67% depuis 1985 au lieu de 72% auparavant.
Pas grand chose me direz-vous, sauf que dans le même temps, la rémunération du travail a progressé très faiblement, à un rythme moins élevé que la croissance de la valeur ajoutée (0,7% pour les salaires contre 2% d’augmentation de la VA). Cette stagnation, couplée à une inflation (même sous contrôle), entraine naturellement une baisse du pouvoir d’achat dont plus d’un se plaint aujourd’hui. Cependant, plutôt que de se cantonner au clivage classique « actionnaires vs. salariés », n’oublions pas que la valeur ajoutée partageable est aussi plombée par le poids des cotisations sociales. Il résulte donc en partie d’un choix de société : une large couverture sociale en échange de moins de pouvoir d’achat.
Enfin, autre point à noter, la croissance économique ne tient pas compte des externalités négatives qu’elle commet. Ainsi, lorsqu’une entreprise pollue une rivière, ou qu’un secteur crée à lui seul une crise économique (suivez mon regard…) il contribue tout de même à la croissance. Pire, lorsqu’une autre entreprise dépollue, son activité génère également de la « croissance »… Je vous laisse imaginer ce que cela donne lorsqu’une seule entreprise fait les 2 activités (exemple de l’industrie de l’armement qui conçoit à la fois les mines anti-personnelles et les appareils de déminages…).
Pour conclure, malgré la croissance économique des 30 dernières années, il semble que les inégalités se soient creusées tout en remettant en cause la soutenabilité de l’environnement pour les générations futures. La croissance, n’est donc pas forcément positive en soi. Si elle ne profite qu’à certaines populations, au détriment d’autres, alors la croissance peut même avoir un effet nul sur le progrès d’une société. Sommes-nous en arrivé là ? Difficile de trancher en l’absence d’indicateurs précis sur ce sujet. Et puis surtout, on peut également objecter que la situation serait pire sans croissance. Cela est peut être vrai pour la période qui s’achève, mais qu’en est-il de la période à venir ? N’y a-t-il pas des moyens de faire progresser la société sans croissance économique ?
Puisque les fondements de la croissance économiques sont aujourd’hui abbatus, allons nous alors vers la catastrophe ? L’économie va-t-elle se réduire, nos niveaux de vie diminuer ? Allons nous donc vers la décroissance absolue, ou assistons nous simplement à une transition vers un autre paradigme économique?
De l’accaparement au partage : remettre l’économie dans le droit chemin
Le paragraphe précédent nous permet déjà de relativiser ces craintes : la croissance n’a de toute façon jamais permis de résoudre tous les problèmes. Au contraire, elle les a parfois aggravé. Mais outre cela, il faut nuancer le concept « décroissance ». Il ne s’agit en aucun cas d’une décroissance absolue : certains secteurs d’activités, zones géographiques continueront de croitre.
Par exemple, la pénurie prochaine de ressources naturelles nous incitera à trouver de nouveaux moyens d’économiser ou de recycler les matières premières : il faudrait faire plus avec moins, alors que le capitalisme se contentait de l’efficacité, nous devrons rechercher l’efficience. L’économie aura pour salut les gains de productivité qui seront source de croissance dans les secteurs qui en vaudront la peine (mais ce type de croissance ne sera pas créateur d’emploi, au contraire).
Par ailleurs, comme le notait Thierry Crouzet dans sa relecture de Paul Ariès (un des promoteurs de la décroissance), si les ressources physique sont effectivement limitées, le monde de l’immatériel, lui, ne l’est absolument pas. Ainsi, on peut aisément imaginer qu’à l’heure de la société de la connaissance, nous verrons apparaitre de nouvelles formes de croissance. L’économie de l’abondance, de la gratuité, des modèles open-source… voilà déjà des exemples de création de valeur émergents qui semblent échapper aux logiques économiques traditionnelles ! La valeur de wikipédia pour la société est incommensurable, pourtant sa contribution au PIB n’apparait dans aucune ligne de compte !
Au terme de « décroissance », je privilégie donc le terme de « post-croissance » car il sous-entend davantage l’arrivée d’une nouvelle ère, d’un nouveau paradigme : celui où la croissance économique n’est pas au centre du système.
Car finalement, le problème de notre système, c’est justement que sans croissance, il part en vrille : le chômage, les dettes, la finance etc… Nous avons construit une société dont la croissance est à la fois le moteur et le talon d’Achille. C’est donc précisément de cette relation de dépendance qu’il faut s’échapper. L’économie post-croissance, ce serait donc une économie qui permette de continuer à progresser quel que soit le niveau de croissance. Et vous serez peut être surpris, mais c’est possible.
Peter Victor, économiste canadien et auteur de Managing Without Growth a réalisé un logiciel permettant de faire des simulations économiques sans croissance (ou très peu) à partir de différentes hypothèses d’investissement, de consommation, de gains de productivité etc. Ses conclusions aboutissent à l’édification de plusieurs scénarios possibles, tous très différents : catastrophiques autant que positifs. La question n’est donc pas tant de savoir si notre société peut survivre sans croissance, mais de déterminer ce qu’il faut mettre en œuvre pour que cela soit possible !
Sur la base des meilleurs scénarios qu’il a trouvé, Peter Victor propose les directives suivantes :
- soutenir massivement et directement les populations les plus pauvres ainsi qu’une meilleur répartition des richesses en général (moins de « super-riches ») ;
- investir dans la production de biens publics plus que des « positional goods » (biens de consommation ostentatoires), ainsi que des investissements de productivité ;
- Dans l’idéal, les balances commerciales devraient être nulles (exports = imports).
- la population doit stagner.
- l’établissement de quotas d’utilisation des ressources naturelles ou de production d’externalités négatives.
Ces politiques sont loin d’être hors de portée. Des mesures comme le revenu garanti minimum associé à un système monétaire à dividende universel, les monnaies complémentaires, ou encore la réforme de la fiscalité, l’extention du domaine de la gratuité, sont des exemples de mesures concrètes et réalisables qui s’inscrivent parfaitement dans cette perspective.
Malheureusement, il semble que l’on soit en train de prendre une direction tout à fait opposée. Accrochés à leurs vieux dogmes obsolètes, les politiques vont continuer à nous vendre leur soupe à la croissance pendant un certain temps encore. Ils empireront encore plus la situation comme ils le font actuellement en essayant de sauver le système financier.
La crise de la dette souveraine qui vient va faire mal, très mal. Nous pouvons tout juste espérer qu’elle fera surtout mal aux « bonnes personnes » (i.e. les plus riches) et qu’elle sera le coup de fouet salutaire qui nous forcera à changer nos mentalités et nos comportements… Mais dans tous les cas, les 10 prochaines années risquent d’être longues avant que l’on entre enfin dans le XXIème siècle.
Sources des graphiques et autres données statistiques :
Le contenu en emplois de la croissance française (rapport Insee)
Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France (rapport Insee)
Consultez aussi mon pearltree sur la décroissance
Article initialement publié sur Tête de quenelle sous le titre La croissance économique est au bout du rouleau.
Photos FlickR CC Anne Oeldorf-Hirsch ; killthebird ; The US National Archive ; Josep Tomas.
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