Lykke Li : “L’industrie, c’est un bateau qui coule”
A l'occasion de la sortie de son second album, l'artiste suédoise Lykke Li nous a accordé une interview où elle évoque sans langue de bois son statut d'artiste de major, l'état actuel de l'industrie musicale ainsi que les réseaux sociaux.
Lykke Li, c’est le genre d’artiste qui tranche par rapport à ses congénères. Loin des poupées pop outrageusement sexy, elle incarne une voie plus indé et s’affirme détachée des excès du show-biz. Sa musique, un savant mélange de pop, d’électro teintée de rock semble, comme son interprète, faire fi des tendances et privilégier une approche brute et sincère. L’artiste, que l’on sent viscéralement attachée à sa liberté artistique et peu friande des obligations promotionnelles nous a néanmoins reçus à l’occasion de la sortie prochaine de son second album Wounded Rhymes, prévu pour le 28 février. L’occasion d’interroger Lykke Li sur sa vision de l’industrie musicale, son processus créatif, la Suède et les usages liés au web. Des réponses sans détour et une vision acérée.
Pour accompagner votre lecture, voici une playlist Spotify spéciale Lykke Li reprenant ses titres phares et ceux qu’elle évoque au cours de cette interview.
Je sortais de quasiment trois ans de tournée, donc j’étais exténuée. J’avais besoin de dormir, de me reposer. J’avais passé tellement de temps dans des avions, des chambres d’hôtels, des bus de tournée, que je ressentais un vrai besoin de me poser quelque part. Mais bon c’était un peu un rêve et je n’osais même pas y penser ! Du coup je suis allé me poser quelques temps à New York, mais il y avait trop de monde, donc j’ai eu besoin de partir.
Je suis allée à Los Angeles, et pendant quatre mois j’y ai loué une maison. Être là bas, pouvoir me balader, cuisiner, fumer des joints, c’était le pied. Rien que de traîner un peu, d’aller à des concerts, de lire. Au bout d’un moment j’avais fait le tour de tout ça, et même si j’étais encore crevée j’ai trouvé que les démos que j’avais composées avait un son très brut dont je pouvais faire quelque chose. Je me suis alors dit qu’il fallait que je fasse un album : si je mettais ces titres de côté, je n’allais jamais être capable de les reprendre.
Clairement. Je souffrais un peu à ce moment là , tu sais. Mais bon, il y a toujours de bonnes choses qui émergent de la souffrance. D’une certaine manière, la musique me remplit d’énergie et m’aide à aller mieux.
… Non non, je n’y appartiens pas, pour la simple raison que je n’ai vécu là bas qu’une partie de ma vie et que je n’y suis quasiment jamais. Je suis une artiste, je ne crois pas que l’art appartienne à un seul endroit. L’art, c’est pour les gamins du monde. Et moi, je n’ai rien à voir avec qui que ce soit. J’enregistre avec Bjorn (du groupe Peter Bjorn & John) mais ça s’arrête là . Vous savez, ces cinq dernières années j’ai passé à tout casser trois mois en Suède.
(ndlr : Lykke s’est illustrée en 2010 en participant à l’écriture de titres pour l’album de la gagnante de l’émission Swedish Idol, Tove Styrke. Elle a notamment écrit son gros tube (à l’échelle Scandinave) Million Pieces).
J’en sais rien, puisque je crois que je n’appartient à aucun courant. Je me sens très différente des autres, et je pense que je n’ai rien à voir avec les artistes que tu cites. Pourquoi je suis différente ? Je ne sais pas. Je sais que je le suis, c’est tout. Mais je crois que s’il y a pas mal de choses intéressantes qui viennent de Suède c’est parce que c’est difficile d’y vivre. Il y fait tellement froid, c’est tellement sombre, les gens sont tellement fermés… Y’a rien.
Prenez New York : les gens du monde entier y viennent parce qu’ils ont un rêve en tête. Et si vous regardez, au cours de l’Histoire il y a tellement de personnages qui sont arrivés aux États-Unis avec un rêve en tête. C’est un endroit pour les gens qui rêvent, pour les stars, les prostituées, les travestis… La Suède… y’a pas d’émotions. Tout le monde se ressemble. Si tu es un peu différent, tu te sens tellement en marge que tu te réfugies dans ton petit monde, tu t’enfermes dans ta chambre et tu commences à découvrir et écouter la scène underground (comme Suicide par exemple) et puis tu commences à créer ta propre musique. En fait on veut être comme New York dans les années 70 !
Je déteste l’industrie. C’est un bateau qui coule. Il faut faire avec, c’est tout. Je n’aime pas le fait d’en faire partie, je ne veux pas en faire partie, mais le fait est que j’y suis et que j’en dépends. Mais j’ai vraiment l’impression que tout le reste bouge alors que l’industrie de la musique est au point mort. Plus personne n’achète de disques, mais ils continuent à en fabriquer. Et moi j’suis là (bruit de ronflement)… Il n’avancent pas assez vite !
Mais bon, il existe de vraies opportunités pour que quelqu’un d’intelligent arrive et fasse quelque chose. Regardez ce qu’ont fait certains, comme Napster ! Le côté business de mon métier ne me plaît pas, et j’essaie autant que possible d’y rester extérieure.  Malgré tout, mon label me laisse une grande liberté, et heureusement. Ça ne pourrait pas marcher autrement. Je leur dis juste “tenez, c’est mon nouvel album, j’espère qu’il vous plaira !”.
J’essaie juste de rester fidèle à moi même et de ne pas changer, même si les choses autour de moi bougent beaucoup. Moi ce que j’aimerais, c’est être capable de créer une communauté qui me suive, pour ne pas avoir à dépendre de quoi que ce soit d’autre. On s’en fout que mes chansons passent à la radio, que l’une d’entre elles deviennent un tube ! Si cette communauté est là et me suit, si je peux lui proposer ma musique en direct, sans intermédiaire, c’est le scénario rêvé. Ce que j’adorerais, c’est que les choses se fassent rapidement. Genre j’enregistre, je grave et je le donne aux gens. Enfin, je le leur vend, plutôt !
Ouais. On a essayé de faire les choses un peu différemment avec le dernier single (Get Some). On l’a donné en téléchargement gratuit. Et puis moi, j’y vais sur ces réseaux. En revanche je n’utilise pas Twitter. On a pris le nom, histoire que personne ne puisse s’en servir, mais ça ne m’intéresse pas de poster que je viens de boire un café. Tout le monde s’en fout, non ? Je déteste ça. J’écris sur ma page Myspace, c’est moi qui m’occupe de son design et qui décide ce qui y est publié. Ce qu’on a fait avec les paroles de Get Some (permettre aux gens de les partager sur Twitter et Facebook), c’était mon idée. On essaie d’être vraiment  connectés avec le public. Moi de toutes façons, tout ce qui m’importe c’est que les gens puissent entendre ma musique.
Ça craint vraiment que plus personne ne veuille acheter de musique, ça veut dire que je suis tout le temps fauchée, mais aussi que c’est dur de continuer à bosser parce qu’il faut de l’argent pour faire des albums, donc au bout d’un moment quand ton label investit pour que tu puisses créer et qu’il ne récupère pas sa mise, il ne recommencera pas. Pour faire un clip, tu dépends d’un budget pour la pellicule, la lumière etc, donc pour faire des trucs, il faut de l’argent. Moi je m’en fous d’avoir de l’argent dans mon portefeuille. Mais le problème, c’est que si les gens volent en permanence, comment je vais pouvoir faire des disques ? Il va falloir que je prenne un job la journée pendant trois ans pour pouvoir financer mon prochain album, c’est ça ? C’est un vrai problème, et je pense que les gens devraient en prendre conscience. S’ils aiment un artiste, ils doivent le soutenir d’une manière ou d’une autre. S’ils ne veulent pas acheter le disque, eh bien qu’ils aillent le voir en concert. Il doivent faire quelque chose.
Tu sais, moi je suis une “hustler”, pas une hipster. Je n’en ai rien à faire qu’une poignée de gens me trouve cool. Tout ce qui m’intéresse c’est de faire mon art, sans influence extérieure. Tu sais, je fais de la musique depuis ma chambre. Quand une de mes chansons est utilisée dans un film ou à la télé et qu’on me rémunère pour ça, ça ne me pose pas problème car je leur donne quelque chose de pur, il me donnent de l’argent en échange, ce qui me permet de continuer à produire des choses pures. Il y a bien des pubs à la radio, c’est juste la réalité de l’industrie.
J’ai déjà écrit une chanson pour un film (Twilight). Jamais je ne ferai quoi que ce soit juste pour l’argent, mais si je crois au projet, s’il est suffisamment excitant créativement parlant, s’il me permet de m’ouvrir à un nouveau public (comme ce fut le cas pour Twilight), je n’hésite pas, je fonce ! J’ai pu constater à quel point les gens prenaient ce film à cÅ“ur, comme ça les rend fous et comme ils sont également animés de sentiments très purs. Ils croient toujours en l’amour, ils sont gentils, et s’ils pouvaient se dire “oh ça me rappelle une histoire d’amour” en entendant ma chanson, ça m’irait très bien ! Le film, je m’en fiche, il est… (grimace).
Ma façon de communiquer à moi, c’est par la musique, mes clips etc. Et déjà là , je me livre énormément. Plus, ce serait trop, et ça me mettrait mal à l’aise. Je n’ai pas envie de surmonter cette appréhension, je ne veux pas lâcher d’avantage d’intimité. Je trouve déjà que j’en dis beaucoup. Il n’y à qu’à écouter mes chansons. Je n’ai aucune envie de dire des choses toutes les cinq minutes.
Je me ferais une mixtape, c’est sûr ! C’est trop difficile de choisir. Il y aurait du Nina Simone, Hallelujah de Leonard Cohen, Such A Woman et Only Love Can Break Your Heart de Neil Young, Song To The Siren de Jeff Buckley …
Alors, d’abord l’Europe en février et mars, puis je retourne aux États-Unis, ensuite pendant l’été, je ferai des festivals un peu partout dans le monde, puis l’Australie, et peut être le Japon, j’espère. Mais ils n’ont pas trop l’air de m’aimer là -bas !
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Lykke Li sur le web : site / Myspace / Facebook
Interview réalisée par Lara Beswick et Loïc Dumoulin-Richet
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