Fin de règne pour le Roi Soleil de la comédie musicale?
De l'opérette à Broadway, la comédie musicale a fait son chemin et fait partie intégrante de la culture anglo-saxonne. Qu'en est-il chez nous ?
Sarah Dahan est journaliste musicale et collabore à Metro, VoxPop, Brain Magazine et maintenant à OWNImusic.
John Lennon a un jour dit que « Le rock Français, c’est comme le vin Anglais », c’est tout dire…Qu’en est-il des comédies musicales « à la française » ? Si les Frenchies sont bel et bien les inventeurs du genre, la place qu’ils lui réservent est réduite et quasi monopolistique. Mais depuis quelques années, on voit apparaître une poignée de passionnés qui se rebelle contre un système régit par quelques businessmen aguerris…Owni a dressé l’état des lieux de la comédie musicale en France aujourd’hui.
La comédie musicale, qui recouvre les champs de la comédie, de la danse et du chant n’est rien d’autre que la digne héritière de l’opérette. Un genre musical et théâtral qui fut popularisé au XIXème siècle par le Français Jacques Offenbach, grâce notamment à «La vie parisienne» en 1866.
L’opérette fut très populaire jusque dans son entrée au XXème siècle puis elle disparut à l’après guerre au profit d’autres formes de divertissement.
Plus récemment, au début des années 80, deux hommes répondant aux noms d’Alain Boublil et Claude-Michel Schonberg nous ont donné l’occasion de constater que les Français étaient plutôt doués dans l’exercice de la comédie musicale, en se chargeant de la titanesque adaptation théâtrale et musicale du roman «Les Misérables» de Victor Hugo.
A sa sortie en 1980, le spectacle ne fut joué que trois mois au Palais des Sports de Paris, on imagine le désespoir des producteurs lorsqu’il fut exporté à Londres cinq ans plus tard pour ne jamais en repartir. «Les Misérables» est d’ailleurs le spectacle détenteur de l’affiche la plus longue du West End !
Sachant la présence d’un tel talent à domicile pourquoi la France ne se retrouve-elle donc pas avec son Broadway ou son West End à elle ?
Pour Alain Perroux, conseiller artistique au festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, auteur de «La comédie musicale , mode d’emploi» (éditions Avant scène Opéra), dramaturge et auteur de l’adaptation Française de Sweeney Todd, la France a développé un rejet pour ce genre qu’elle trouvait «has been» :
Dès les années 60 les jeunes trouvaient démodé de dire qu’ils aimaient les comédies musicales, il fallait aimer le rock. Les gens trouvaient ça kitch. Aussi, il y a un problème très propre aux Français, qui ont un rapport particulier avec la confrontation dans une même œuvre entre le parlé et le chanté, c’est un sujet de friction. J’ai parlé à des personnes qui avaient vu « Les parapluies de Cherbourg» à l’époque, et qui virent ou qui eurent des réactions très violentes : des gens huaient, criaient ou riaient tellement ils étaient mal à l’aise.
Si «Starmania», crée en 1978 par le tandem Berger/ Plamondon a connu un grand succès, c’est grâce à la vente de l’album studio original qui s’est élevée à 2,2 millions d’exemplaires, et à la présence des stars de l’époque Daniel Balavoine et France Gall. Mais la véritable comédie musicale scénographiée «Starmania» ne s’est jouée qu’en 1993 au Théâtre Mogador à Paris. Avant et après cela : pas grand chose.
Il serait cependant dommage de passer sous silence le travail d’Alain Marcel, comédien et metteur en scène, qui fit ses armes dans l’opéra lyrique et l’opérette avant d’adapter des standards de Broadway tels que «La petite boutique des horreurs» en 1987 au théâtre Dejazet, «Peter Pan» au Casino de Paris en 1991 et «Kiss me Kate» au Théâtre Mogador en 1993.
Il se distingue également par ses productions originales, qu’il a écrit, composé et mis en scène, comme par exemple «L’Opéra de Sarah» où un seul comédien est présent sur scène et relate la tumultueuse vie de Sarah Bernhardt en dialogues et en chant. De même son dernier spectacle musical «Encore un tour de pédalos» qui évoque avec humour (et en chansons !) l’homosexualité aujourd’hui, fait de lui un véritable ovni dans le monde théâtral parisien… mais qui parvient tout de même à voler de ses propres ailes depuis plus de 25 ans.
A l’instar d’Alain Perroux, Grégory Antoine, le collaborateur artistique d’Alain Marcel depuis 18 ans, s’accorde à dire que le genre de la comédie musicale n’a pas pu prendre son envol en France à cause de l’image ringarde qu’ont dégagé les opérettes, mais pour lui le problème reste plus profond :
L’après guerre a tué le spectacle musical, l’opérette a été usé jusqu’à la corde, le mauvais goût, le manque d’argent, le manque d’envie de se renouveler a tué le genre et par conséquent dégouté les Français. Au delà de ça je pense que les Français détestent ce qui cartonne ailleurs, et par esprit de chauvinisme et de contradiction ils n’aiment pas les shows made in Broadway ou West end.
Mais l’implantation en France en 2005 d’une filiale de Stage Entertainment, société spécialisée dans la création, la production et la commercialisation de spectacles vivant, qui reprend à Paris des grandes franchises de Broadway et du West End comme «Le Roi lion», «Cabaret» ou actuellement «Mamma mia !» met à mal l’analyse de Grégory Antoine.
On ne peut cependant pas nier la création dès 1998 d’un genre de comédie musicale bien Franco-Française avec «Notre Dame de Paris». Tant et si bien que l’ appellation «comédie musicale», d’origine très contrôlée par les passionnés du genre, n’est peut être pas tout à fait appropriée.
En effet le propre de la comédie musicale est de se jouer dans un théâtre, de 1000 à 2000 places maximum, or les machines de guerre que furent «Notre Dame de Paris», «Le Roi Soleil» et aujourd’hui «Mozart l’opéra rock» sont faites pour êtres jouées dans des salles énormes, de type Palais des Sports, Palais des Congrès, ou encore Zénith.
Alain Perroux regrette que la dimension théâtrale doive être remise au second plan pour s’adapter à de telles structures :
Les productions de ces spectacles (Dove Attia et Albert Cohen en tête) s’inspirent du concert rock, car c’est une suite de chansons qui s’enchaînent grâce à un fil conducteur assez simpliste. Du coup cela donne lieu a des mises en scène très peu recherchées, avec des costumes qui sont faits pour être vus de loin, de gros micros , et une sono qui est faite pour des stades, à la place d’un orchestre.
Le producteur Serge Tapierman a dû, lui, user des coudes pour pouvoir se faire une place dans le circuit des comédies musicales parisiennes. Revêtant l’habit de David contre Goliath, il a réussi à tirer son épingle du jeu face aux superproductions avec sa propre version du «Violon sur le toit» de Stein et Harnick qui fut nominé aux Molières en 2006.
Il regrette que le monde de la comédie musicale en France se divise selon lui en deux mondes distincts : celui du marketing pur et celui, plus artisanal, à qui il dit appartenir :
L’une des bases les plus essentielles des comédies musicales est la présence d’un livret, d’une histoire, les chansons ne doivent pas être interchangeables, contrairement à celles de «Mozart l’opéra rock» qui sont écrites par des auteurs différents. Dans les comédies musicales Anglo-Saxonnes il y a une règle : les chansons participent a l’action. Donc vous ne dites pas : « maintenant je marche », vous vous contentez de marcher. En France il y a des redites.
Luc Plamondon avait-il oublié ces bases essentielles lorsqu’il a voulu évoquer le douloureux problème des rave party ?
Dans les comédies musicales à la Française l’intrigue a donc plutôt tendance à se cacher en coulisses pour pouvoir ainsi mettre toute la lumière sur des «tubes» qui pourront s’écouter en radio, avant et après la vue du spectacle. Allant ainsi complètement à l’encontre des préceptes d’Howard Ashman l’auteur de comédies musicales telles que «La petite boutique des horreurs», «La belle et la bête» ou encore «Aladdin» qui disait : « A stage song is not a pop song», signifiant qu’une chanson issue d’une comédie musicale se doit de servir une histoire.
Pour Serge Tapierman il ne s’agit pas de comédie musicale mais plus d’ «entertainment» où la production du spectacle est vue comme un projet de maison de disque :
Pour pouvoir monter ces projets il faut un triptyque : des producteurs plus ou moins connus, un grand groupe qui fait de l’édition musicale et une maison de disque associée au projet. Tous ensemble ils produisent le show comme s’il s’agissait d’un disque de variété, en traitant avec les radios en amont pour accoutumer les gens à ces « tubes ». Moi je me suis fait virer un nombre incalculable de fois de maisons d’éditions car je n’avais pas de tubes, mais une histoire.
A défaut de remplir les canons de Broadway, ces comédies musicales cartonnent : plus de 3,5 millions de spectateurs en 1998 pour «Notre Dame de Paris», 1,8 million de spectateurs en 2000 pour «Les Dix Commandements», 1, 6 million de spectateurs en 2005 pour «Le Roi Soleil» et plus de 800 000 spectateurs pour  ”Mozart l’opéra rock“.
Cela ne semble pas inquiéter Grégory Antoine qui voit là une opportunité pour se démarquer davantage d’un genre qu’il estime de toutes façons très différent des productions artisanales sur lesquelles il travaille :
Je ne pense pas qu’il faille opposer ces deux modèles. On fait juste deux métiers différents, nous on fait de la comédie musicale et eux du divertissement pur. Je ne connais pas une personne de 35 ans articulée et bien dans sa tête qui va sortir de « Mozart » en me disant que c’est magnifique, c’est formaté pour les jeunes ! Le but du jeu pour ces grosses productions est de sortir un single un an auparavant, d’en vendre 300 000 et de monter un spectacle derrière. Nous sommes de toutes petites choses à côté mais en même temps on ne part pas au combat, il faut chercher l’inspiration ailleurs, il faut trouver des thèmes novateurs. On aime les idées originales, moi je pense qu’on peut écrire une comédie musicale à partir de tout, même la ménopause !
On note d’ailleurs qu’avec le succès actuel de “Encore un tour de pédalos” qui passe du Théâtre du Rond point au Théâtre Marigny fin janvier, Paris est en train d’opérer un changement en profondeur, d’élargir son esprit et ses propositions sur les planches. L’équation est d’ailleurs bouleversée par l’attrait depuis quelques temps du Théâtre du Châtelet pour le genre. En effet le théâtre public connu pour la qualité de ses opéras, a opéré un virage depuis 2009 en introduisant des grands titres de Broadway et du West End, joués d’ailleurs à l’identique, tels que «La mélodie du bonheur», «Les Misérables» à l’été 2010, «Show Boat» à l’automne 2010 qui fut suivi par «My Fair Lady», et qui sera succédé par «Sweeney Todd» au printemps 2011.
Alex Jennings qui s’est illustré il y a quelques semaines sur les planches du Châtelet dans «My Fair Lady» vient du théâtre dit « classique » mais a brillamment démontré ses capacités vocales et musicales. Fait non négligeable : il eut la chance de suivre une formation britannique où le chant compte tout autant que l’aspect dramatique.
Inspirons nous donc de nos amis d’Albion pour pouvoir nous réapproprier un genre bel et bien Gaullois et étendre la «French Touch» à la comédie musicale !
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Vidéos en plus : Les Misérables, Mozart L’opéra Rock
Crédits photos : FlickR CC jerryzz; labgab; deja-dew; kiddocone
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