Les Ramones, l’analogique par excellence
Jean-Christophe Féraud revient sur l'histoire d'un groupe mythique qui a inventé le mot punk, musique libératrice pour toute une génération mais maltraitée par le mp3.
Retrouvez cet article et bien d’autres, sur OWNImusic.
“Hey Ho Let’s Go !”…
Bientôt trente ans que leurs trois accords primitifs et supersoniques ont cueilli comme un uppercut le jeune keupon dingo que j’étais. Et le “One two three four” séminal qui lançait invariablement la machine sonique infernale des Ramones me donne toujours autant envie de pogoter comme un crétin… à 44 ans sonnés haw haw
Drôle de manière de commencer l’an 2011 que de vous parler d’un groupe fondé voilà plus de 35 ans, séparé il y a pile poil 15 ans et dont les membres fondateurs Dee Dee, Joey et Johnny sont tous trois occupés à descendre des bières au Paradis des punk-rockers.
Joey (de son vrai nom Jeffrey Hyman), le chanteur moins demeuré qu’il ne paraissait, s’est fait bouffer par un méchant crabe en 2001. Dee Dee (Douglas Colvin), bassiste et authentique voyou, a été retrouvé tout bleu une piquouze dans le bras en 2002 après une énième détox ratée. Johnny (John Cummings), le guitariste qui jouait plus vite que son ombre, a rejoint ses deux faux-frères en 2004, cancer bis repetita. Seul survivant de la formation originale, le quatrième Ramone, Tommy, qui tapait sur ses fûts comme un bûcheron a quitté le groupe dès 1978 (et poursuit aujourd’hui une paisible carrière de producteur de country… bluegrass). Une vraie série noire qui signait la fin d’une époque No Future.
Mais que viennent donc faire ces loosers proto-punks magnifiques sur ce blog en forme de “Chroniques du Big Bang Numérique”. Pas très raccord avec cette deuxième décennie de XXIème siècle. Plus analogiques que les Ramones ? Tu meurs ! Aucune accroche d’actu, les faux frères (pour les mal-comprenants Ramone était un pseudo-patronyme ;) ne risquent pas de se reformer… sauf dans un foutu film de Zombies de Romero. Et leur musique ? Préhistorique. Limités techniquement l’improbable quatuor a fait de cette faiblesse une force: renouer avec le rock primal des origines en le boostant au surf-garage et au doo-wop des sixties. Leurs morceaux c’étaient en général trois accords bègues joués à la vitesse de la lumière, guitare et basse omni-présente formant un mur du son à faire pleurer Phil Spector (qui les menaça d’une arme sur un enregistrement). Et cette voix de retardé “gabba gabba hey” irrésistible… Oh Joey. L’ensemble donnait une envie irrésistible de sauter en l’air en bousculant ses petits camarades et en souriant comme un abruti (pour les jeunes cette figure de danse s’appelle un Pogo.
Ils ont inventé le mot “Punk”
Un bon Ramones se déguste sur galette vinyle avec le son crade et les craquements vintage de rigueur. Oubliez ces saloperies de lecteurs MP3 totalement apocryphes. Ils ne restituent qu’une scie musicale métallique et froide là où la musique doit être brute, baignant dans son jus de l’époque. Bref moins numériques que les Ramones tu meurs aussi ! Ce groupe de prolos du Queens new-yorkais biberonné aux Stooges d’Iggy Pop et aux Beatles (si si) a juste INVENTE le mot Punk (“vauriens”) et l’attitude rien à foutre de rien qui va avec.
Et ce en trois albums fondateurs sortis à un rythme de mitraillette: The Ramones (1976), “The Ramones Leave Home” (1977) et “Rocket to Russia” (1977). Et une série de concerts immémoriels au fameux club CBGB où ils cotoyaient Patti Smith, Richard Hell et ses Voïvoids, j’en passe et des meilleurs. Sans leur furia new-yorkaise pas d’explosion Anarchy in the UK à Londres, pas de Sex Pistols ni de Clash. Et putain quel look…inimitable et tant imité. Un sacré leg à la mode des années 2000: jean’s slims troués, basquettes converse pourries, cuirs noirs et coupes au bol dans les yeux. On trouve même aujourd’hui des T-shirt portant l’aigle des Ramones chez H&M ou Uniqlo. De la marge underground à la récupération mainstream…cela faisait quelques royalties en plus pour ces vieux punk qui ne furent jamais des millionnaires engraissés par le rock business.
La nostalgie camarade
Les Ramones c’était la famille Pierrafeu jouant tête baissée de la Fender avec une massue, frange grasse dans les yeux. Foin d’échantillonnage et de réédition remastérisé qui tiennent avec ces quatre fous furieux de l’ère proto-digitale.
Alors comment expliquer cet étrange rétropédalage régressif au moment où tout blogueur un peu sérieux dégaine sa prophétie digitale annuelle, après le marronnier internet rétrospectif de rigueur. Et bien l’envie, la fulgurance irrépressible, la liberté du blogueur justement. Mon confrère blog-star Guy Birenbaum et quelques autres compères générationnels comme l’érudit KMS m’ont récemment encouragé sur Twitter dans ce projet de billet.
Bon c’est sûr, ce n’est pas avec ces grands échalas venus d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître que je vais faire de l’audience…
Mais “I don’t Care, I donnn’t Caaare” comme le chantait Joey. Que veux-tu, la nostalgie ça ne se monnaie pas camarade. Elle m’a chopé, la garce, à la faveur d’un cadeau d’avant Noël offert par mon frangin Fred, qui tout en me traitant de sale Geek, sait bien mon vieux penchant pour le rock paléolithique. Le bougre. Je déballe le papier kdo, et merde, je lis sur la jaquette du livre: “Mort aux Ramones” signé Dee Dee, le dit Ramone shooté fièrement (si j’ose dire) sur scène sa FenderPrecision en bandoulière. Et là tout me revient. La troisième, le lycée, mes quatre lads Sylvain, Cédric, Jérôme et Marc, la fièvre keupon du samedi soir… version petits-bourgeois se la jouant destroy (moins un cinquième Punk au premier degré, Pascal, qui lui a fait une OD en vrai). Mais l’amour de cette musique en forme de shoot d’énergie pure était 100 % sincère.
A quinze ans on a tous pris le Punk-Rock des Ramones et des Pistols comme une putain de Li-bé-ra-tion. A l’époque, trois chaînes télé qui se battent en duel (heureusement il y avait “Les Enfants du Rock” de Philippe Manoeuvre qui préface évidemment le bouquin de Dee Dee), pas encore de radio libre (heureusement il y avait Radio 7 concédée par Giscard pour faire patienter les jeunes), et bien sûr pas d’internet, de smartphones et de réseaux sociaux pour s’épancher, délirer et échanger avec ses amis boutonneux. Le téléphone, vraiment fixe pour le coup, était sous bonne garde parentale là haut dans l’entrée. Alors on se retrouvait #IRL à chaque fois que l’on pouvait pour écouter cette incroyable musique. Le “One, two, three, four” lancé par Dee Dee c’était quelque chose qui vous faisait vous sentir libre et vivant et vous donnait envie de tout exploser. Destroy vraiment pour le coup. Écoutez plutôt:
Victor Hugo Punk
Quelle claque isn’t it ? Mais revenons au livre de Dee Dee: “L’un des trois meilleurs bouquins rock de tous les temps” assène le préfacier de rigueur Philippe Manoeuvre. Et en plus traduit par Virginie “Baise Moi” Despentes, la seule plume made in France capable de restituer la fureur et l’obscénité d’une vie de Ramone. Un bouquin en forme de testament sorti en 2001 juste avant l’ultime bad trip de l’auteur (et en 2003 en France au Diable Vauvert) qui renvoie dans sa sincérité et pour la poésie de la rue au tout récent et très beau “Just Kids” de Patti Smith… hum Rimbaud en moins. Quoique. Le livre de Dee Dee débute lui aussi au fameux Chelsea Hotel, “ce que j’ai pu me défoncer dans cet hôtel, et aujourd’hui je suis là pour décrocher”, écrit le Ramone. Et d’envoyer, philosophe, cette phrase définitive comme s’il sentait la grande faucheuse venir :
Si jamais il existe une quelconque logique dans cette vie, alors je voudrais beaucoup la connaître.
Recoller les morceaux de sa pauvre vie en miettes, “renvoyer en enfers tous les souvenirs merdiques“, mais aussi entretenir la mémoire des Ramones et faire oeuvre de transmission avant de passer l’arme à gauche… Dee Dee le fait tout seul comme un grand, dès le début du livre, en pourchassant une libellule dans sa chambre qui devient le dragon imaginaire des femmes de sa vie. Celui de sa mère alcoolique qui était du genre à le poursuivre avec une batte de baseball (d’où la chanson “Beat on the Brat”, bastonne le morveux).
Et celui de sa petite amie mauvais génie Connie bien sûr, qui, était du genre à vouloir l’égorger avec un tesson de bouteille avant de lui dire “Va te faire enculer” en guise de bonne nuit. “C’était en 1974, ou en 1975. Connie était go-go danseuse, j’étais un Ramone. On était tous les deux des junkies”…
“Mort aux Ramones” commence ainsi, passe par la prostitution pour la came, les bas-fonds de New-York façon Selby, avant le salut en forme de punk-band, les concerts, les disques, les tournées… le mépris des puristes du rock boursouflé et l’enthousiasme des Kids jusqu’à aujourd’hui qui allaient faire des Ramones une légende toujours vivante du rock’n roll. Je n’en suis qu’aux premières pages du livre alors je m’arrête là et je reviendrai ici pour vous rendre ma fiche de lecture une fois l’objet digéré.
Mais voilà ce qu’en dit Philippe Manoeuvre:
Une superbe tentative de Victor Hugo Punk (…) du Jules Vallès branché 220 volts (…) un livre à l’image de son rock: décapé, désossé, drit au but, phrases de quinze mots aussi courtes que définitives, pas moyen de reprendre son souffle avant la conclusion vicieuse du petit chapitre, tout est restitué en direct, baffes, lignes, shoots, marques d’amplis et accidents de bagnole…une vie.
Ca donne foutrement envie de lire n’est-ce pas ? Dee Dee était un voleur, un toxico, un bagarreur capable de rédécorer votre appart à coup de batte pour un mot de travers. Mais c’était aussi une belle gueule et un gentil garçon. Derrière sa basse il était aussi le compositeur des principaux tubes des Ramones, un peu éclipsé par la voix du géant myope édenté Joey. Voilà en sa mémoire “I wanna be a good boy”. Il aura essayé toute sa vie…sans succès:
Les Ramones vous font penser à des personnages de cartoon ? Bingo. Voilà en bonus leur apparition dans un épisode des “Simpsons”. Plus crétins que nature dans une reprise de “Happy Birthday”:
Et en deuxième bonus, je ne resiste pas au plaisir de vous offrir cet hommage de l’ex-Pixies Franck Black: “I heard Ramona Sing”…Une chanson dans laquelle il explique que les Ramones ont changé sa vie, “I heard Ramona Sing, and I heard everything, the speed they’re travelling…”:
Voilà bonnes gens c’était un fragment d’histoire des Ramones, une nouvelle réminiscence de l’ère analogique que j’avais envie de partager avec vous pour tirer un pont entre hier et aujourd’hui. Un pur moment de bruit et de fureur comme on n’en fait plus à l’heure du marketing musical standardisé et de la dématérialisation du rock et de ses poussières d’étoiles passées. Comme l’écrit Philippe Manoeuvre, l’industrie musicale, qui n’a jamais aussi bien porté son nom, peut dormir tranquille sur ses lauriers fanés:
Qu’on se rassure: dans le rock du troisième millénaire, on ne verra plus trop de voyous comme ce monsieur Dee Dee Ramone.
Belle épitaphe No Future que je fais mienne pour conclure ce billet. Sur sa pierre tombale, Dee Dee a fait plus sobre: “OK…I got to go now” (merci à l’incollable Ulrich pour cette chute encore plus rock’n roll).
*Pour en savoir plus sur les Ramones et leur discographie voir cet article très complet de Wikipedia et le site officiel post-mortem du groupe : Ramones World.
Article initialement publié sur “Sur mon écran radar”
Illustrations CC FlickR Affendaddy, Michael Markos
Laisser un commentaire