Autopsie de l’immortalité
Richard Grandmorin recense et analyse les différentes possibilités d'immortalité : allongement de la vie, clonage, mind uploading ou encore mobilisation des archives personnelles. Il rappelle que ces techniques ont aussi leurs limites.
Cet article a été publié initialement sur Silicon Maniacs.
Owni.fr, l’Atelier des médias et Silicon Maniacs organisent une soirée ludique #jesuismort avec débats, réflexions et expériences autour de l’immortalité à l’ère numérique le 9 février 2011 à La Cantine (Paris).
#jesuismort est un événement multicanal et exploratoire de nouvelles formes médiatiques mêlant web, radio, vidéo, flux, automations, applications webs et réseaux sociaux. Il est organisé dans le cadre de la Social Media Week.
Les pistes pour une potentielle immortalité sont nombreuses : allongement de la vie, clonage, mind uploading ou encore mobilisation des archives personnelles sont autant de techniques possibles. Selon les prédictions les plus optimistes, les immortalités biologiques et numériques devraient toutes nous être accessibles dans le courant du siècle. Au sein de cette concomitance, la plus rapidement démocratisée sera sûrement l’immortalité Facebook.
Immortalité biologique versus numérique
L’immortalité n’est rien d’autre que la continuité de nos informations et de nos fonctionnalités dans le temps. Cet objectif peut être assuré par 2 stratégies : le maintien du substrat ou le transfert vers un nouveau. Les espoirs du premier cas reposent sur la médecine et les prophéties d’Aubrey de Grey selon qui nous pourrions être les premières générations à atteindre l’âge de 1000 ans.
Dans le cas des transferts de substrats, l’immortalité est dégradée (perte d’information et/ou perte de fonctionnalité) :
- l’immortalité numérique ne retranscrira pas avant longtemps la complexité de notre cerveau ni notre interaction avec le monde
- le clonage ne transmet que l’information génétique (l’intérêt est donc relativement limité).
Certes le transfert nous fait perdre en définition, mais on gagne en robustesse notamment grâce à la possibilité de faire des sauvegardes. Même si la médecine nous garantissait un allongement éternel de la vie, nous ne serions pas à l’abri d’un simple accident de voiture. L’immortalité biologique et numérique sont donc des opérations complémentaires.
Le mind uploading
Le mouvement transhumaniste s’est très vite emparé de l’ idée de télécharger une personnalité dans un substrat non-biologique (mind uploading). L’ordinateur reconstituerait l’esprit d’un individu par la simulation de son fonctionnement. Les avancées dans les domaines des neurosciences, de l’informatique et le flair de Ray Kurzweil laissent présager l’existence de systèmes d’intelligence artificielle capables de modéliser le fonctionnement du cerveau dans une quinzaine d’années.
Sébastien Seung déclare que, par analogie avec le génome, le connectome est une carte de la structure du réseau neuronal d’un cerveau. L’ensemble de ses connexions synaptiques y sont retranscrites. Le mind uploading repose sur le postulat du connectome comme support de l’information : nos souvenirs, expériences, pensée seraient codés uniquement par la structure du réseau neuronale. Autrement dit, la disposition et le poids des connexions entre neurones serait responsable du codage de l’information. Pour reproduire une conscience humaine et donc accéder à l’immortalité, il suffit de cartographier le réseau neuronal et de le modéliser sur un ordinateur.
Les limites techniques
L’immortalisation doit donc passer par un recensement complet des connexions synaptiques du cerveau. Pour l’heure, la cartographie des neurones est un facteur techniquement limitant. Les techniques de scanning ont des résolutions de l’ordre du neurone (0,1 mm), or il faut descendre jusqu’aux synapses (0,001 mm).
La deuxième limite est informatique : modéliser 100 milliards de neurones et 1014 connexions demande des capacités de calcul énormes. Mais en extrapolant la loi de Moore on prédit la fin de la contrainte informatique pour 2018. En 2007, le Blue Gene (l’un des plus puissants ordinateurs du monde) modélisa 1 seconde d’activité de 10 000 neurones (et 108 connexions) avec 10 secondes de calculs.
Faisabilité
Les premiers résultats seront forcément dégradés car il ne prendront pas en compte l’ensemble des interactions ioniques ou hormonales qui peuvent influencer le cerveau. Mais l’absence de ces interactions permettrait peut être d’obtenir un cerveau plus raisonnable.
Le mind uploading (et l’immortalité qui va avec) bénéficie des enjeux économiques et scientifiques de la simulation informatique du cerveau humain dont les applications sont nombreuses :
- modélisation de l’activité d’un médicament ;
- modélisation du développement des maladies neuro-dégéneratives
- modélisation des maladies mentales (dépressions, psychoses, etc… )
- connaissance du cerveau
Les financements publics et privés sont donc conséquents, ce qui laisse présager un développement technologique rapide.
La mobilisation des archives personnelles
Puisqu’il est difficile de cartographier la chaîne cognitive et ses 1014 connexions, une des solutions serait de la reconstituer par apprentissage. Au lieu de recréer exactement le réseau neuronal d’un individu on va plutôt essayer de créer la chaîne logique en se basant sur la lecture d’archives. Il en résultera un avatar aux réactions identiques. On estime que la vie entière d’un individu (ce qu’il voit et entend, ce qu’il lit, ce qu’il dit) ne devrait pas passer 1 TerraByte de stockage (selon Microsoft Research), ce qui est techniquement envisageable. On pourrait toutefois commencer plus humblement en compilant nos activités sur les réseaux sociaux et notre boîte email.
L’immortalité : une application Facebook
Imaginez votre compte Facebook après 40 ans d’activité : toutes vos blagues, commentaires, messages, articles partagés, etc.. représenteront une masse de données descriptives considérables sur vos goûts, votre façon de penser, votre logique, vos intérêts, votre histoire, vos valeurs, etc.. Après une formalisation et une analyse sémantiques de ces contenus, on obtient votre portrait.
La formation de la chaîne logique résultera probablement de l’apprentissage d’un réseau de neurones artificiels ou d’un dérivé plus puissant. On retrouve leurs applications depuis plus de 10 ans dans de nombreuses disciplines (sciences économiques, biologie, environnement, etc..) comme outil de prédiction ou de reconnaissance. Les réseaux de neurones artificiels ont la propriété de s’organiser automatiquement pour répondre au mieux à la tâche demandée. En 2007, je fus amené à collaborer à la réalisation d’un réseau des neurones pour la modélisation des effets d’un barrage contre les inondations. L’apprentissage consiste à établir des valeurs pour chacune des connexions entre neurones en confrontant les entrées avec les sorties. Dans le cas du barrage, les entrées étaient le débit en amont, la réserve du barrage, et la hauteur de la retenue. Les données de sortie étaient le débit en aval.
En faisant passer des entrées/sorties dans réseau de neurones, on obtenait progressivement une simulation quasi parfaite du débit aval. Au bout de 1000 valeurs, l’apprentissage donnait des résultats très convenables : les courbes des valeurs simulées et réelles se confondaient, les connexions entre neurones étaient correctement pondérées. Pour affiner le réseau, nous avions poussé l’apprentissage jusqu’à 7000 valeurs.
Simuler un esprit humain est évidemment bien plus complexe et nécessite un réseau de neurones beaucoup plus conséquent, mais le concept reste le même: pondérer chaque connexion en confrontant des valeurs entrées et sorties. A la place des débits de rivières, nous utiliserons des données sémantiques.
pour résumer :
semantic analysis + social internet use + Artificial Intelligence = immortality
Certes le pan sémantique reste un facteur limitant, mais l’immortalité Facebook sera toutefois la plus rapidement abordable et démocratisée car :
- les réseaux sociaux pourrait facilement constituer une bonne base d’archives car ils sont très répandus au sein des populations et reflètent notre comportement social
- la sémantique fait d’énormes progrès (car les enjeux économiques sont énormes avec la publicité contextualisée) ;
- l’intelligence artificielle se développe rapidement
- cette technique ne repose sur aucune contrainte biologique puisque la reconstruction du réseau neuronal se fait progressivement par apprentissage des archives
- les besoins en puissance informatique sont moins importantes que le mind uploading et sa reproduction complète du connectome
En attendant, National Science Foundation a récompensé d’une bourse de 500 000 $ les universités de Central Florida à Orlando et de l’ Illinois à Chicago pour « l’exploration et l’utilisation de l’intelligence artificielle, de l’archivage et de l’imagerie numérique afin de créer des copies digitales de personnes réelles comme première étape à l’immortalité virtuelle« .
Les applications de l’immortalité Facebook
L’immortalité Facebook sera pour longtemps une continuité fortement dégradée d’un individu. Le mind uploading est beaucoup plus prometteur en termes de qualité avec la restitution de la conscience (comme son nom le laisse entendre). Quelle qu’elle soit, la technologie risque de poser des problèmes éthiques. Il est évident que les premières applications d’immortalité Facebook ne porteront pas leur nom pour des raisons marketing : elles seront utilisées uniquement du vivant de leurs utilisateurs pour des raisons psychologiques (travail de deuil pour les proches). On parlera d’Archives Actives, de second life+ , de MyLife… et puis (bien après) d’immortalité.
De ce fait, il est intéressant de se pencher sur les applications proches (et détournées) de l’immortalité Facebook:
- Le Alain Minc search
Des sociétés en conseils pourront créer de moteurs de recherches pour répondre à des questions stratégiques en s’appuyant sur des archives de sages ou d’intellectuels. - Le mappage politique individuel
Des sociétés en conseils pourront créer de moteurs de recherches pour répondre à des questions stratégiques en s’appuyant sur des archives de sages ou d’intellectuels. Des applications permettront d’analyser la proximité des programmes politiques des partis avec votre profil numérique et ainsi vous conseiller pour un vote. - Le mappage politique collectif
Les adhérents d’un parti politique pourraient partager leur profil numérique, ce qui permettrait de définir une ligne directrice au parti en sommant automatiquement l’ensemble des valeurs de ses membres. - La modélisation de la démocratie
En généralisant le mappage collectif à l’ensemble de l’électorat d’un pays on peut modéliser l’acceptabilité de reformes ou propositions de loi. - L’aide à la prise de décision : qu’aurais je fait?
Sur le même principe que le Alain Minc search, mais avec ses propres archives. - Les Love comparateurs
sites de rencontres basés sur l’analyse de la compatibilité amoureuse entre profils numériques - Lady Gaga en Tamagotchi
S’occuper d’un ami numérique possédant la personnalité d’une célébrité. - Le paradis numérique (immortalité)
Un site du genre Second Life permettrait de laisser évoluer des profils numériques de personnes décédées. La famille et les proches pourraient se loguer afin de converser avec le défunt.
Pour aller plus loin :
- La série “Living Longer, Better and Maybe Forever” de Big Think (immortalité biologique)
- Présentation “The Web Within Us : When Minds ans machines Becomes One“ de Ray Kurzweil à Google (2009) (développement technologique dans le cadre du mind uploading)
- M.L. Caliusco, G. Stegmayer, “Semantic Web Technologies and Artificial Neural Networks for Intelligent Web Knowledge Source Discovery“. Springer-Verlag London Limited. 2010. (notions de base en sémantique)
Retrouvez tous les articles du dossier #jesuismort de Silicon Maniacs :
- La mort vous web si bien, entretien avec le sociologue Antonio Casilli.
- « i-résurrection », mode d’emploi : retour sur l’expérience Total Recall
>> Illustration FlickR CC : minifig
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