Radiohead : réapparition remarquée
JC Ferraud invite Benoît Georges pour analyser la stratégie de réapparition très attendue de l'album de Radiohead, "The Kings of Limbs".
La sortie du nouvel album de Radiohead, c’est LA news de la semaine. Nous avons sélectionné ce billet écrit par Benoit Georges et publié sur l’excellent blog de JC Ferraud. Sa pertinence et sa qualité nous ont séduits et nous vous le recommandons chaudement.
Benoît est un ami : journaliste, geek, passionné de musique et fan de Radiohead comme moi. Comme il frémissait d’excitation à l’idée de la sortie du nouvel album de la bande de Thom Yorke, “Kings of Limbs”, qui sera disponible en téléchargement dans quelques heures sur Radiohead.com, je lui ai demandé de revenir sur cette “réapparition”. En 2007, pour “In Rainbows”, le groupe le plus aventurier et aventureux de l’ère post-rock et digitale avait fait le pari de laisser les internautes libres de payer ce qu’il voulait. Y compris rien. Une manière de créer le “buzz”, mais, aussi de tester un nouveau modèle du disque à l’heure de “l’économie de la gratitude”. Cette fois, la mystérieuse tracklist dématérialisée de ce huitième album sera proposé à prix fixe. Alors Radiohead a-t-il tout bon ou tout faux ? En attendant de pouvoir écouter ce précieux nouvel opus dans quelques heures (et de signer, pourquoi pas, une chronique musicale jubilatoire à quatre mains avec Benoît), je lui laisse le soin de vous expliquer le pourquoi et le comment de cette sortie très attendue du point de vue du business du disque et surtout du consommateur internaute… JC
Une autre industrie musicale est-elle possible ? L’annonce, mardi dernier, sur le site de Radiohead, de la sortie d’un nouvel album, « King of limbs », téléchargeable dès ce samedi 19 février pour 7 euros a été vue par beaucoup comme un renoncement. Il faut dire qu’il y a quatre ans, le plus grand groupe de rock du monde (bon, d’accord, JC, après les Ramones, mais en beaucoup moins morts) avait marqué les esprits: pour l’album « In Rainbows », fin 2007, les internautes étaient libres de payer ce qu’ils voulaient, y compris… rien du tout. Alors, la bande à Thom Yorke est-elle rentrée dans le rang en abandonnant la gratuité ? A mon avis, non. Histoire de s’occuper en attendant d’écouter le disque, quelques réflexions en vrac. Mais comme vous n’en pouvez plus d’attendre voici ce qui ressemble fort à un premier extrait, “Lotus Flower”, un superbe titre que le groupe joue et teste sur scène depuis un bon moment déjà :
Combien coûte une œuvre intellectuelle à l’heure de la dématérialisation ? La question agite le monde de la musique (et empêche les majors de dormir) depuis une bonne décennie. La réponse a d’abord été: « rien du tout, puisqu’on peut échanger des fichiers gratuitement ». De l’histoire ancienne : Napster a ouvert en 1999 et fermé en 2001, mais grâce à ses successeurs, elle reste d’actualité. En 2007, Radiohead, qui vient de claquer la porte de la major EMI, trouve une autre réponse en solo avec « In Rainbows » : « le disque vaut ce que vous voulez, du moment que vous payez ». Au premier abord, ça fait un peu coup marketing ou caprice de star, au choix. Avec le recul, c’est un peu plus malin. Il y a quatre ans, pas grand monde n’achetait de musique en ligne – rappelez-vous, toute le monde se goinfrait de Gnutella à l’époque. Pour beaucoup, la sortie d’ « In Rainbows » a permis d’apprendre que la musique pouvait se payer, et pas seulement sur iTunes.
HOW I MADE MY MILLIONS
Et pour le groupe, l’opération a-t-elle été rentable ? Oui, sans aucun doute. Un mois après le lancement d’ « In Rainbows », Comscore avait publié une étude tous avaient téléchargé l’album, mais le plus souvent (62%) sans payer. Pas de quoi pleurer sur le sort du quartet d’Oxford : selon des chiffres dévoilés par le groupe un an plus tard, « In Rainbows » s’est vendu au total, tous supports confondus (CD, coffret bonus, téléchargement) à 3 millions d’exemplaires… dont 1,75 du CD, sorti un mois plus tard. C’est trois fois plus que l’album précédent du groupe sorti chez EMI.
Moralité : à condition d’être suffisamment connu pour que l’info circule, vendre (et même donner) un album sur Internet est un formidable produit d’appel pour… vendre des disques ! Et je ne parle pas des tournées… D’ailleurs, dès mercredi dernier, l’excellent label indépendant XL Recordings , qui est devenu la maison de Radiohead, annonçait la sortie de «King of Limbs » version CD et vinyle pour le 28 mars. Il sera intéressant de voir si, cette fois encore, l’album se vend mieux en version physique ou immatérielle.
EVERYTHING IN ITS RIGHT PLACE
Dernière question: quel est le juste prix d’une œuvre dématérialisée ? « The King of Limbs » coûte 7 euros en MP3 (320 kbps) et 11 euros en Wav (« qualité CD », comme ils disent). Pourquoi 7 euros, et pas 5 ou 10 ? A mon avis, deux explications.
D’abord parce que c’est le prix que les internautes payeurs sont prêts à verser : selon Comscore, les personnes qui avaient acheté « In Rainbows » en ligne à sa sortie en 2007 avaient payé en moyenne 6 dollars (8 ,05 aux Etats-Unis, 4,64 en dehors). Quatre ans après, l’opération peut donc être vue comme un belle (et peu coûteuse) étude de marché. Ensuite à cause… d’Apple.
Explication : la domination de l’iTunes Music Store dans le monde du téléchargement a, de facto, créée un quasi-prix unique de l’album numérique : 9,99 euros dans la plupart des cas (hors promotions, EP, doubles albums…). Sur ces 9,99 euros, Apple prélève sans vergogne 30%. Ce qui laisse grosso modo aux artistes et maisons de disques… 7 euros. Un excellent prix, donc, pour un groupe désireux de pratiquer la vente sans intermédiaires. estimant le nombre de visiteurs du site de Radiohead à 1,2 million.
B.G.
(*) Sans compter une version collector à 36 et 39 euros (cette fois appelée « newspaper CD »), un énervant attrape-bobo qui en plus va totalement à l’encontre due côté écolo du groupe – la démarche « j’achète à la fois un CD + 2 vinyles du même disque que j’ai déjà téléchargé + plein de dessins moches qui finiront au fond d’un tiroir », même si l’enveloppe est en plastique biodégradable, c’est pas ce qui se fait de mieux en matière d’empreinte carbone…
Et moi JC, je vous offre en bonus deux des titres cités en creux dans cet excellent billet:
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Article initialement publié sur : Mon écran radar sous le titre “Radiohead, How To Reapper…”
Crédits photos CC flickr: antoinegiret
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