Enfermés dans un “centre ouvert” à Malte
Les camps de réfugiés à Malte sont censés donner aux Africains l’espoir d’une vie meilleure en Europe. En réalité, ces centres deviennent leur destination permanente.
Article inédit publié initialement sur Owni.eu, sous le titre “Trapped in the Open Centre”
Le long du port industriel de Marsa, le centre des réfugiés est un point gris sous le brillant soleil de mars qui génère des odeurs subliminales remontant de la rivière toute proche. Un groupe d’hommes africains est assis autour de bancs improvisés près de la porte d’entrée. Ils ne dissimulent pas leurs regards furieux quand des reporters passent à côté d’eux pour entrer sur leur terrain, une ancienne école reconstruite pour héberger les migrants venus d’Afrique.
Les visiteurs européens sont rares, même si ces dernières semaine, une vague de journalistes internationaux a conquis cette petite île nation de la méditerranée, en raison de ses liens avec la Libye de Kadhafi. CNN, la BBC et toute la communauté internationale était en train de regarder comment des milliers d’américains, de britanniques et de chinois étaient temporairement évacués de Tripoli et Benghazi vers Malte.
C’est aussi là que les réfugiés africains viennent d’abord pour échapper aux dangers de leurs pays d’origine, principalement la Somalie, mais aussi l’Érythrée, le Soudan et le Nigeria. Leur séjour, cependant, devient dans la plupart des cas permanent.
Ahmed Bugri, Directeur de la Fondation pour l’hébergement et le soutien aux migrants (FSM) nous dit:
Vous devez comprendre que nous sommes responsables des arrivées en urgence du plus grand nombre de réfugiés de ces dernières années.
C’est un centre pour “hommes seulement”, explique-t-il, avec une moyenne d’âge de 24 ans “ils sont donc jeunes et actifs”. En raison de la dangerosité de la traversée de la mer, il y a peu de femmes et d’enfants à Malte. Ils sont placés dans l’autre centre pour réfugiés, Hal Far, séparés des hommes.
Les camps de réfugiés à Malte sont issus d’un projet commun d’organisations et du gouvernement, qui décide au final. L’ONG de Bugri gère un de ces “centres de rétention ouverts” [NDLR : "open center"] à Marsa sous la supervision du Ministère maltais des affaires étrangères qui finance le projet. Son grand sourire est accueillant et semble dire aux journalistes : “Vous êtes les bienvenus, nous n’avons rien à cacher”. Il doit tout de même contacter le “big boss” avant de laisser la presse faire un tour sur les lieux.
Je ne peux pas vous faire d’autre faveur. J’ai fait le maximum. Cela ne me pose pas de problèmes, faites les interviews avec qui vous voulez, soyez témoins des conditions, du moment que l’attaché de presse du Ministère concerné donne son feu vert.
Tout le monde (Bugri et les autorités maltaises compris) sait qu’ils ne sont pas dans la position du chevalier blanc qui part à la rescousse des pauvres africains, loin de là. L’argent est un problème, autant que le racisme, hors de ces murs. Bugri nous donne deux raisons derrière l’échec des africains à trouver un job, et à avoir une vie décente à Malte :
Premièrement, Malte a un marché de l’emploi très saisonnier, donc ces hommes peuvent difficilement y décrocher des jobs en hiver. Cela signifie aussi qu’ils sont forcés de rester ici parce qu’ils ne peuvent plus payer le loyer. Donc, si on veut que ces gens restent en sécurité, [il fait une pause sur ce mot], il faut qu’ils restent au centre. Deuxièmement, la rapatriement est une tâche très difficile à mettre en œuvre et la relocalisation en elle-même participe d’un processus très lent.
Après que le Big Boss a donné son feu vert, Bugri nous fait faire un tour du propriétaire. Dans une pièce plongée dans la pénombre, des groupes d’hommes jouent aux cartes, au billard ou s’assoient sur un canapé des années 70, hypnotisés par la télé. Bugri appelle ce lieu de retrouvailles le restaurant soudanais.
“C’est notre vie”, dit le résident du centre ouvert Mohammed Hassan alors qu’il nous montre sa chambre. Il s’agit plus d’un matelas et d’un casier parmi 35 autre lits-superposés et trois cabinets de toilettes dégueulasses dans lesquels des excréments surnagent encore en surface. Le somalien de 28 ans a laissé un message à sa copine restée à Mogadiscio, écrit à l’encre noir sur son casier : “Je t’aime, tu me manques”.
“Si la situation s’améliorait demain et qu’ils avaient le choix et l’argent, ils retourneraient chez eux immédiatement”, nous dit son ami Eude Mohammed, 29 ans, qui vient lui aussi de Somalie. Ils sont tous les deux arrivés à Malte en 2006 après un périple extrême à travers l’Éthiopie, le Soudan, et jusqu’aux côtes Libyennes avant “d’attendre un an et payer une certaine somme” pour passer trois jours sur un bateau avec 27 autres réfugiés. Depuis, ils ont passé un an dans la prison de Malte et ont été libérés pour être placés dans le centre ouvert.
“Les blancs dedans, les noirs dehors” : c’est comme cela qu’ils perçoivent le principe de l’immigration. Cependant, ils ajoutent : “Nous comprenons bien qu’il n’y a pas d’espace pour tant d’Africains. Malte est une petite île”. Quand on leur demande de nous dire quels étaient leurs rêves avant de venir en Europe, leurs rires sont amères. “Nous sommes venus ici pour changer nos vies. Nous pensions que l’Europe serait mieux que l’Afrique, mais nous n’avons en fait pas amélioré nos vies par rapport à notre situation en Somalie.”
Nous étions sur le rivage et nous cherchions un endroit pour dormir. Des gens nous ont vu et ont appelé la police. Nous leur avons demandé où nous étions. Ils nous ont répondu “Malte”. Nous avons demandé, “Est-ce que ça fait partie de l’Europe ?” Ils ont dit “Oui”, et nous avons alors pu souffler, prêts à nous reposer enfin. Ils ont promis de nous aider, mais cette aide s’est révélée être la prison.
Selon la loi maltaise, la détention est automatique et obligatoire pour tous les migrants en situation irrégulière, demandeurs d’asile inclus. Donc, avant d’être libérés dans un “centre ouvert” comme celui de Marsa ou Hal Far, les réfugiés doivent être gardés derrières les barreaux pour un maximum d’un an.
“Le temps que nous avons passé ici à Malte a consisté jusqu’à maintenant à vivre en prison et à avoir une vie dure”, résume Ahmad:
Croyez-moi, personne ne peut vivre ainsi. Personne à la maison ne s’imaginait que la vie en Europe ressemblerait à ça. L’eau n’est pas bonne à boire, la nourriture se mange mal, il n’y fait pas bon vivre, l’éducation est absente – pour nous en tout cas. Nous en souffrons tous maintenant.
L’échappée d’Ahmad vers l’Europe ressemble à celles racontées par les résidents du “centre ouvert” de Marsa :
La situation à la maison était très mauvaise quand j’ai quitté Mogadiscio en 2007. Je traversais Djibouti, l’Érythrée, le Soudan et la Libye quand j’ai pris un petit bateau pour Malte. J’ai du d’abord traverser le désert. Il faisait très chaud à ce moment là. Une centaine de gens étaient étendue sur le sable, attendant la mort. Il n’y avait pas d’eau, pas de nourriture. Certain d’entre nous ont aussi été battus par des soldats.
D’abord traverser plusieurs pays, ensuite prendre un bateau, et enfin être jeté en prison à Malte pour ensuite être libéré dans un “centre ouvert” – c’est le processus habituel. L’étape finale qui permettrait de faire sa vie en Europe se fait toujours attendre pour la plupart d’entre eux.
J’ai quatre enfants et une femme qui crèvent de faim en Somalie, mais je ne peux pas les aider parce que je suis incapable de subvenir à mes propres besoins ici. Je les ai laissé dans une zone grise, je leur ai promis de l’aide depuis l’Europe. Tout le monde à la maison parlait de la Scandinavie. Mon rêve était d’aller en Norvège.
Cependant, “Tu ne peux pas sortir du camp”, explique Ahmed. “Une fois que tu arrives dans un autre pays européen, et que tu leur dit que tu viens de Malte où il est très difficile de se faire une vie décente, les autorités vous disent que vous êtes sous responsabilité maltaise et ils vous renvoient là bas.” C’est exactement ce qui est arrivé à Ahmed. Il a traversé toutes les frontières jusqu’en Hollande, il y est resté un an et demi avant de monter plus au nord, en Norvège. A Oslo, la police l’a attrapé, pour le renvoyer à Malte, cela fait maintenant trois semaines.
Cette histoire illustre très bien le règlement de Dublin, une loi européenne qui stipule que les immigrants illégaux, lorsqu’ils se font pincer par les autorités en chemin vers le continent, doivent toujours être renvoyés vers le premier pays par lequel ils sont entrés en Europe.
Nous ne nous sentons pas encore les bienvenus dans l’Union européenne, conclut Ahmed au nom de ses amis qui ne parlent pas assez bien l’anglais pour s’exprimer eux-mêmes. Pour le moment, nous n’avons goûté qu’à la prison et au dur labeur pour si peu d’argent qu’il est impossible d’en vivre.
Le directeur du centre, Bugri, connait ces problématiques. Il a entendu toutes ces histoires et n’a toujours pas le pouvoir de faire bouger beaucoup les choses. En plus des lois qui lient ces réfugiés à un marché du travail maltais hautement qualifié, les “centres ouverts” sont surchargés et marqués par le manque d’hygiène et de soins appropriés. Cela n’est un secret pour personne et c’est même bien documenté.
Cependant les autorités, maltaises ou européennes, n’ont pas amélioré de manière significative les conditions de vie. Quand on leur demande si des préparations sont envisagées pour un accueil éventuel de réfugiés en provenance de Libye, Burgi nous dit qu’il est prévu de couper les mosquées en deux afin de prévoir des espace avec d’étroits lits superposés. Il ajoute :
Il est préoccupant de savoir que nous avons déjà atteint le maximum de notre capacité, 600 personnes. Accueillir plus de gens sera un vrai problème. Mais s’ils viennent, on ne pourra pas les arrêter.
Publié initialement sur Owni.eu sous le titre “Trapped in the Open Centre”
Traduction : Ophelia Noor
Crédits photo via Flickr : Olmovich [cc-by]
Retrouvez notre dossier “Morts aux frontières” et son application interactive
Laisser un commentaire