Homoparentalité: la fin du vide juridique français?
Le Sénat a voté ce jeudi un amendement sur la PMA (procréation médicalement assistée). Il pourrait constituer la première vraie brèche législative reconnaissant officiellement le droit à l'homoparentalité.
Le Sénat a voté ce jeudi 7 avril un amendement au projet de loi sur la bioéthique élargissant la procréation médicalement assistée (PMA) “à tous les couples”. S’il est adopté, les lesbiennes pourraient ainsi bénéficier de cette technique, jusque-là réservée aux couples hétérosexuels, et ainsi mettre fin au phénomène des “bébés Thalys”.
En parallèle, la communauté gay et lesbienne milite pour que les politiques s’emparent, à l’horizon 2012, de la question des nouvelles formes de parentalité qui résultent d’une évolution de la science d’une part, de la société d’autre part.
Alexandre Urwicz, co-président de l’Association des familles homoparentales (ADFH) insiste sur la nécessité de cette réflexion :
Si aucune action pédagogique ne vient sensibiliser les enfants sur la diversité familiale, les enfants de couples homosexuels pourraient être confrontés aux mêmes discriminations que les enfants de divorcés il y a vingt ans quand ils n’avaient pas le droit d’aller jouer avec les autres…
On peut logiquement penser que la banalisation de ces enfants aura naturellement lieu. Pourtant, il existe encore un vide juridique autour de cette question qui, d’après l’association, concerne 300.000 familles dont l’un des parents est homosexuel (contre 40.000 en 1999). Des chiffres qui ont une valeur indicative, tant la mesure de l’homoparentalité est complexe.
Une réalité niée
Concrètement, la parentalité est pour l’heure inaccessible aux couples homosexuels :
- la procréation médicalement assistée (PMA) exclut les homosexuels, puisque l’insémination avec donneur est encore réservée aux couples hétérosexuels, à moins que l’amendement du Sénat ne soit validé.
- La gestation pour autrui (GPA) est strictement illégale sur le sol français.
- L’adoption est réservée aux couples hétérosexuels ou aux célibataires.
Résultat de cette législation : les couples n’ont d’autre choix que de la contourner et se rendent à l’étranger pour accéder à la PMA (en Belgique notamment) ou la GPA. Aux États-Unis, les Français sont les deuxièmes plus gros clients après les Américains pour la GPA.
Sur ce sujet pourtant, les mentalités évoluent plus vite que les lois. En témoigne ce sondage IPSOS qui montrait, en 2009 déjà, qu’une majorité de Français était favorable à la GPA, unique recours pour les couples homosexuels masculins d’avoir un enfant sans passer par l’adoption.
Pour l’adoption justement, même hypocrisie. Les couples homosexuels en étant écartés, c’est un seul des partenaires qui peut faire la demande d’adoption, en tant que célibataire. Souvent, les demandeurs sont encore contraints de dissimuler leur orientation sexuelle pour avoir une chance de recevoir l’agrément des conseils généraux. Alexandre Urwicz résume :
Pour certains travailleurs sociaux chargés des enquêtes, un homo est forcément considéré comme ayant une activité sexuelle intense, ce qui est aberrant, d’autant plus que dans le cadre de ces enquêtes, personne ne s’intéresse à l’activité sexuelle d’un hétéro !
En l’absence d’une législation favorable à l’adoption par les couples homosexuels, les demandeurs sont soumis au bon vouloir des enquêteurs et à leur vision de l’homosexualité.
Autre problème dans le cas de l’adoption, lorsqu’elle a été effectuée : seul le demandeur bénéficie du statut légal de parent, ce qui peut conduire l’autre parent social a des situations ubuesques. À l’hôpital par exemple, explique Alexandre Urwicz, qui pointe à nouveau le décalage entre la réalité et la loi :
Pour sortir un mineur de l’hôpital, il faut soit avoir le même nom de famille, soit jouir de l’autorité parentale. Dans les faits, l’hôpital peut confier l’enfant au parent social mais légalement, il n’en a pas le droit.
Des affaires récentes ont ouvert le débat
Ces derniers mois, différentes juridictions ont dû statuer sur des affaires qui ouvrent de fait le débat sur la législation actuelle.
En février dernier, la cour d’appel de Paris reconnaissait la validité en France de deux adoptions conjointes par des couples homosexuels. Dans ces deux couples ayant adopté pour l’un au Canada, pour l’autre au Royaume-Uni, les deux partenaires jouissent désormais du même statut juridique de parent.
Si ces arrêts constituent une petite brèche vers la possibilité pour les deux parents réels d’en obtenir le statut légal, ils ouvrent aussi à une discrimination de nationalité et invitent à “un exil juridique après l’exil procréatif” estime Philippe Rollandin, porte-parole de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL).
Par ailleurs, ce 6 avril, la cour de cassation refusait aux époux Mennesson l’inscription à l’état civil français de leurs jumelles conçues en Californie par GPA. Réaction et analyse d’Alexandre Urwicz :
C’est consternant! Ce jugement n’est pas une application du droit mais l’interprétation d’une idéologie. Cela ouvre une discrimination sur l’origine conceptionnelle de l’enfant : certains enfants mériteraient d’être français et d’autres pas ! Par ailleurs, en droit français, la sanction s’applique au contrevenant et ici la sentence s’applique aux enfants, qui n’ont rien demandé à personne.
Le couple va déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme, et d’ici quelques années les jumelles pourront de toute façon obtenir la nationalité française par une procédure de naturalisation.
Conservatisme idéologique
Globalement, la justice reconnaît le malaise et invite les politiques à se prononcer. Idem pour la communauté gay et lesbienne qui devrait voter massivement à gauche en 2012, face à l’”autisme” du gouvernement actuel :
À titre personnel, les hommes et femmes politiques nous disent qu’ils sont favorables à une évolution sur ces question, mais ils préfèrent avoir des lois qui font plaisir à leur électorat conservateur que de regarder la réalité en face.
Xavier Bertrand s’est déclaré opposé à l’amendement du Sénat adopté hier, estimant que le recours à la PMA ne devait avoir lieu que dans le cadre du “constat d’une infertilité médicale”. “Le gouvernement n’est pas prêt à suivre” a-t-il ajouté :
L’AMP est une réponse médicale à un problème médical.
Un nouveau vote devrait être demandé par le gouvernement sur cette question.
Associé à l’UMP, le mouvement Gaylib tente de faire bouger les lignes au sein de parti. Son président Emmanuel Blanc signait cette semaine sur son blog une tribune intitulée “si vous voulez nos voix, donnez-nous nos droits“. Il y reproche “la sortie des LGBT de l’agenda gouvernemental” et la stagnation du débat :
En 2011, nos familles ne sont toujours pas traitées comme les autres familles et ne bénéficient pas de la même considération vis-à-vis de la loi. Nos couples ne sont pas reconnus comme aussi valables que les couples hétérosexuels qui eux, ont le choix entre PACS ou mariage en fonction de leur projet de vie. Ce choix nous est refusé. Comme si nos choix de vie ne pouvaient être compatibles avec la stabilité familiale et la durée.
Crédits photos CC FlickR par Etsy Ketsy
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