2012 : tournant du journalisme web
Fact-checking, datajournalism, montée en puissance des pure-players : les élections de 2012 devraient être celles du journalisme web, et d'une autre façon de traiter la présidentielle.
2012 ne sera pas une année comme les autres dans PDF (Paysage Digital Français). Présidentielles obligent, les desks numériques vont eux aussi chauffer et le journalisme en ligne tiendra là l’occasion de se faire enfin une vraie place auprès des aînés. Mais surtout, il pourrait bien changer, si ce n’est la face du monde, du moins la physionomie de cette grand messe électorale, mère de toutes les batailles politiques (et deux clichés en une phrase, deux !).
Investigation, data journalisme et fact-checking pourraient changer la donne médiatique de 2012. Tour d’horizon d’une année charnière pour le web-journalisme en trois points.
Pour la première fois, il faudra compter avec les pure-players
Comme les bons vins, les pure players se bonifient en prenant de l’âge. 2012 devrait donc être pour eux l’année de la maturité. Si leur arrivée dans le paysage a été remarquée, l’année constituera pour la plupart le plus grand rendez-vous d’actualité française qu’ils auront eu à traiter, mais ils auront eu pour cela le recul et l’expérience de grands événements pour les mettre en jambe (notamment en ce début d’année 2011).
Rue89, Médiapart, Slate et les autres sont désormais des médias à part entière, reconnus comme tels par le grand public. Leurs équipes sont structurées, expérimentées et pèseront dans le grand baroud médiatique de 2012. Charge à eux de prouver qu’ils peuvent apporter autre chose et renouveler le genre éculé de la couverture médiatique d’une présidentielle.
Si les historiques sont attendus au tournant de la présidentielle, les nouveaux devraient eux aussi essayer de bousculer les règles du genre. Owni sera sans doute l’un des plus observés, et devrait être à la pointe des nouveaux formats journalistiques tels que le journalisme de données, le fact-checking ou le serious game. La mise en scène de l’information devrait elle aussi connaître une dimension nouvelle dans le traitement de la campagne.
La nouvelle donne des réseaux et du participatif
Théorisée par Alice Antheaume, la “rédaction secrète du web” sera-t-elle encore de mise en 2012 ? Cette solidarité, ou tout au moins cette capacité à travailler en commun d’un média à l’autre, aura-t-elle encore cours en pleine année présidentielle, période décisive pour les marques médias ? Plus crucial encore : quelle sera la place des réseaux sociaux, des wikis et de l’info participative en général dans cette présidentielle ?
Encore majoritairement ignorés par les hommes et femmes politiques français, les réseaux et le participatif pourraient faire irruption dans la campagne de façon tonitruante. Karl-Theodor zu Guttenberg, le ministre de la défense allemand, en a fait les frais il y a peu en voyant les internautes débusquer et mettre à jour le plagiat de sa thèse de doctorat (lire toute l’histoire racontée par Frédéric Lemaître dans Le Monde). Les candidats à l’élection de 2012 ont-ils pris conscience de cette nouvelle dimension de l’info ? Réponse dans quelques mois…
Fact-checking et droit de suite
Fondamentalement, les deux axes du web-journalisme qui pourraient vraiment changer la donne en 2012 sont le droit de suite et le fact-checking. Dans un édito du 8 avril 2010, sur France Inter et Slate.fr, Thomas Legrand pointait déjà du doigt cette dimension et annonçait, avec raison, qu’elle jouerait un rôle inédit dans la prochaine présidentielle.
Jusqu’ici confinés au traitement humoristique popularisé par Le Grand Journal de Canal+, le fact-checking et le droit de suite pourraient gagner leurs lettres de noblesse en 2012. Le mouvement s’accélère et outre les pure-players, de nombreux médias “traditionnels” essayent de se mettre en ordre de bataille pour appliquer ces deux préceptes au grand rendez-vous de l’année prochaine.
Les rédactions web seront sans doute au rendez-vous de ces nouvelles pratiques journalistiques. On peut du moins l’espérer. Mais qu’en sera-t-il des autres médias ? La télévision, notamment, saura-t-elle enfin saisir cette opportunité ? Quelle chaîne osera proposer un débat entre candidats ou politiques dans lequel le fact-checking aurait enfin sa place ? Une émission pendant laquelle une équipe de journalistes pourrait vérifier, contre-dire, confirmer ou préciser les affirmations trop souvent péremptoires des uns et des autres ? Un débat où la contradiction ne serait pas amenée par l’un de ces éternels éditorialistes, qui ont couvert toutes les présidentielles de la Ve République ou presque, et qui ne serait pas idéologique mais factuelle ? Un journalisme version 2012, capable d’aller plus loin, de placer un candidat devant ses contradictions, de ressortir et diffuser des archives si besoin ?
Les journaux, eux, sauront-ils utiliser réellement leurs rédactions web et tirer profondément profit de leurs compétences, et non pas se limiter au “buzz” ?
De leur côté, les rédactions web auront-elles encore la capacité d’innover, d’étonner, de créer de nouveaux formats, de proposer un autre ton, une autre façon de fabriquer l’info ? Sauront-elles se faire une place dans ce qui reste le plus grand événement politique du pays, jusqu’ici ultra-dominé par les éditorialistes de tout poil et les “grandes signatures” souvent peu promptes à l’innovation ? Les web-journalistes des médias “traditionnels” sauront-ils gagner leur place et le respect de leurs confrères à cette occasion ?
Si le journalisme en ligne tient ses promesses, 2012 pourrait ne ressembler à aucune autre présidentielle… De quoi donner envie de relever le défi !
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> Article publié initialement sur Cross Media Consulting sous le titre 2012 : une année décisive pour le journalisme web ?
> Illustrations Flickr CC A.Goffard et Mcarpentier
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