La CGT d’EDF atomise les sous-traitants
Si la CGT, majoritaire, s'est montrée la plus active pour soutenir les sous-traitants, ce fut tardif, avant un récent retropédalage. Tout en gardant un discours de façade.
La prise de position de la CGT sur la sous-traitance dans le nucléaire : « Un discours de façade pour ne pas perdre la dimension militante. Le syndicat est en perte de vitesse, il a connu une chute aux dernières élections, poursuit le chercheur. Là -dessus, il adopte la même stratégie de communication d’EDF, qui a aussi un site sur l’intérim, où ils expliquent que tout va bien. » La critique est signée Cédric Suriré, doctorant en Socio-Anthropologie du risque et des vulnérabilités, suite au communiqué du 13 avril de la Fédération Nationale Mines Énergie CGT (FNME-CGT). Selon lui, ce jour-là , la CGT se contentait d’affirmer : « La sous-traitance en France, c’est d’abord une maltraitance insupportable. »
Les rapports entre les syndicats représentants les salariés d’EDF et les sous-traitants, Cédric Suriré les connait bien pour travailler dessus dans le cadre de sa recherche. Il est de ceux qui estiment que la CGT, majoritaire dans la branche des industries électriques et gazières, a cessé de soutenir les sous-traitants dans leur lutte. Un ancien membre de la fédération nationale proche du dossier renchérit :
Ils ont sacrifié les sous-traitants pour maintenir des acquis corporatistes.
La CGT elle-même ne dément pas, remettant juste en cause la forme. Laurent Langlard, porte-parole de la FNME-CGT justifie :
Je veux croire que cela ne s’est pas fait volontairement. Sur les conséquences, oui c’est revenu à cela. Vous savez, les sous-traitants ont été considérés comme des gens qui prenaient le boulot. La priorité, c’était notre corporation, eux c’en était une autre.
Car, pour étonnant que cela paraisse, une partie des sous-traitants relèvent de la métallurgie. Et historiquement, la CGT représente les salariés statutaires car la sous-traitance est intervenue à partir de la fin des années 80.
« On les voyait comme des piqueurs de boulot »
À partir des années 2000, la prise de conscience commence, douloureuse. « La question de la sous-traitance n’a pas forcément été perçue par la CGT pour certains, explique Laurent Langlard, c’était considéré comme une forme d’abandon de leur statut. Comme on les voyait comme des piqueurs de boulot, cela générait un sentiment de frustration. Alors que le parc a doublé, le nombre de salariés EDF est resté stable, 20.000, et il y a maintenant 20.000 sous-traitants. Les relations ont été tendues, mais c’est dépassé maintenant. Nous nous sommes réorganisés, nous avons créé des syndicats multiprofessionnels par exemple. Et une de nos revendications, c’est justement qu’ils soient rattachés à la branche électricité et gaz. Et maintenant, nous pesons sur EDF en tant que donneur d’ordre, ce n’est pas toujours perceptible. »
Les avancées sont là , pas toujours contraignantes, mais témoignant de cette évolution. Ainsi, parmi ses « repères revendicatifs » émis en 2007, le syndicat demande « l’égalité des droits entre salariés des entreprises sous-traitantes et donneuses d’ordre. » Une grève, épaulée par la CGT, avait aussi débouché sur une « charte de progrès et de développement durable ». Et il est désormais bien obligatoire pour une entreprise sous-traitante qui vient de remporter un marché de faire une proposition de reprise aux salariés de l’entreprise dont elle prend la place Et depuis 2008, soit vingt ans après l’arrivée des sous-traitants, ils ont désormais droit à une restauration collective, en lieu et place du casse-croûte à part. « On a beaucoup progressé », conclut Laurent Langlard.
Le désengagement se manifestera avec l’affaire de la PGAC, pour Prestations Globales d’Assistance Chantier. Ce programme désigne un projet de fond d’EDF, entamé en 2004. Il impose que chaque site choisisse un unique prestataire. Via le Conseil supérieur des comités mixtes à la production – ancien terme du Comité central d’entreprise -, la CGT commande une étude au cabinet Émergences, aux conclusions sévères [pdf]. En apparence, la PGAC ne fait que simplifier les procédures en concentrant le marché. En réalité, c’est « la sous-traitance de la sous-traitance qu’elle met en place, analyse un sociologue du travail qui a participé à plusieurs travaux à ce sujet. La PGAC concrétise les reproches faits à EDF : ils ne font pas attention. EDF ne se soucie plus de savoir comment le travail est effectué, elle vérifie juste que le travail a été fait. C’est un enjeu crucial pour les conditions de travail. »
« Poussée par la base et les sous-traitants, la CGT monte au créneau et va au tribunal », poursuit Cédric Suriré. La démarche est couronnée de succès puisque le TGI de Nanterre du 4 janvier 2006 leur donne raison, comme l’écrivait NVO Espace Elu, un magazine du syndicat [pdf] :
“L’expérimentation de la PGAC, en cours depuis deux ans et demi, n’a pas eu de retour d’expérience. Mieux la PGAC a été entérinée par le conseil d’administration, le 19 novembre dernier, sans consultation préalable”, tempête Michel Estevez, responsable syndical à la fédération de la CGT énergie/ C’est ce passage en force qui a été sanctionné par le tribunal. Le référé a donc donné raison aux syndicats et aux salariés.
L’affaire ira en Cour de cassation, là encore, EDF est débouté. Officiellement, la PGAC est donc enterrée. « Elle est en fait rampante », estime l’ancien cadre de la fédération. Et de fait on tombe sur ce document de juillet 2009 d’EDF [pdf] qui y fait clairement référence. Mais rien sur le site et les attachés de presse ouvrent de grands yeux quand on demande des renseignements à ce sujet.
Abandon du volet pénal
Mais la CGT n’ira pas au bout de son combat, en laissant tomber le volet pénal de l’affaire comme l’explique l’ancien membre de la fédération :
La présidence d’EDF et des dirigeants d’entreprise de sous-traitance étaient visés. Des procédures étaient engagées mais EDF a fait pression sur la CGT qui a son tour a fait pression sur ceux qui suivaient le dossier.Â
« La CGT s’est replié sur la défense de l’outil de travail, estime Cédric Suriré. Ils ont arrêté de soutenir les sous-traitants, comme par exemple Philippe Billard. » Philippe Billard est une figure incontournable de la lutte des sous-traitants, un « lanceur d’alerte ». Ce syndicaliste CGT, employé d’un des gros de la sous-traitance, Endel, dénonce les conditions de travail dans son secteur depuis le début des années 2000. En 2006, son entreprise entame une procédure de licenciement, marquant le début d’un bras de fer juridique. En juin, il reprendra le chemin des tribunaux : la cour d’appel de Rouen statuera sur une décision prise par les prud’hommes le 17 février dernier.
« Il existe un enregistrement d’une réunion de la CGT où elle s’engage, à travers un de ses représentants, à soutenir Philippe Billard, développe Cédric Suriré. Et au final, elle l’a lâché. » Mis au placard, les lanceurs d’alerte ne sont pas soutenus ensuite par la CGT, poursuit-t-il. « La CGT ne sera plus partie civile aux prud’hommes de Rouen, complète Philippe Billard. L’explication qu’on lui donne : « je ne fais pas partie de la fédération. » Philippe est en effet membre de la fédération de la métallurgie, « qui ne [l]‘a jamais soutenu ». Il explique aussi que la CGT a cessé de payer ses frais d’avocats.
Pour autant, il n’abandonne pas : « je suis élu du personnel, je me bats pour tous les salariés. Le kilowatt/heure à trois centimes1, je m’en fous, mon souci, c’est ma santé et la sûreté des centrales pour les gens de l’extérieur. Ils ont pris la bagarre en cours de route. » Et si les syndicats arrivent à leur obtenir le statut de salarié, ce sera « pour pérenniser le leur. » Philippe Billard n’a pas été convié à la réunion du 13 avril.
La lutte se déplace vers les associations
Du coup, « la lutte se déplace des syndicats aux associations », explique Cédric Suriré. Les plus connues sont Santé sous-traitance nucléaire-chimie, qui rassemble chercheurs (dont Cédric Suriré), travailleurs, avocat, etc., et Ma zone contrôlée… VA MAL. Ce dernier a été lancé par Gilles Raynaud, délégué syndical CFDT-métallurgie chez Polinorsud. Il déplore que les sous-traitants soient « livrés à eux-mêmes, obligés d’adhérer à d’autres branches. Les syndicats c’est une usine à gaz. » Un bazar savamment organisé : « je tire mon coup de chapeau aux employeurs, qui divisent pour mieux régner, mettant en avant une branche… Il faut revenir au collectif. » Si la publication du communiqué du 13 avril le réjouit, il déplore que la CFDT et FO n’en est pas fait de même. Et il note que leur mouvement (intersyndical) des sous-traitants a commencé le 3 février, bien avant le très médiatique drame de Fukushima.
« Ils ne veulent pas entendre parler de nous, explique Cédric Suriré, ils nous voient comme un danger car nous incarnons une nouvelle voie de représentation salariale. À nos débuts, en 2009, nous avions émis l’idée de faire des tracts en commun, mais c’est tombé à l’eau. »
Pour l’ancien membre de la fédération, ce tableau à charge pour la direction doit être nuancé ensuite en fonction des sites. « Globalement, la mobilisation est mitigée. C’est parfois bien pris en charge, ignoré ailleurs. À Chinon, la CGT a fait de cette question une priorité, de même à Paluel, Golfech, Tricastin, Saint-Laurent-des-eaux aussi. Les autres, par déduction… » Il existe en France dix-neuf sites.
La CGT avance aussi que c’est aux sous-traitants de s’organiser : « À partir du moment où ils disent stop, ils disent stop. Mais ils n’osent pas. » Qu’il soit plus difficile pour un salarié du privé, qui plus est de la sous-traitance, de faire valoir ses arguments que pour un salarié du public n’est pas l’argument sorti spontanément. On l’avance alors sur la table : « C’est déjà difficile d’organiser un syndicat dans une entreprise, reconnait Laurent Langlard, alors dans la sous-traitance… »
Et les autres syndicats ? « Elles sont inexistantes, à côté de la plaque », juge l’ancien membre de la fédération. Laurent Langlard renchérit :
Si nous, qui sommes ultra-majoritaires, sommes passés à côté, alors les autres…
La CFDT-énergies devait rappeler, ils ne l’ont pas fait. Quant à FO-Energie, contacté à plusieurs reprises par téléphone, ils n’ont jamais décroché. Et au fond ils n’ont peut-être pas tort : Laurent Langlard conclura notre échange en relativisant le problème de la sous-traitance : « Il y a en a qui viennent en sifflant au travail. On parle beaucoup de salariés irradiés, mais où ? Quand ? Comment ? On n’a pas d’éléments factuels. C’est un exutoire. » À se demander pourquoi le syndicat a éprouvé le besoin de sortir ce communiqué du 13 avril.
MAJ le 22 septembre : Gilles Raynaud, qui s’occupe du site Ma zone contrôlée va mal, a affirmé qu’il avait retiré le lien qu’il avait mis sur son site vers cet article, à la demande de la CGT. De fait, il a bien disparu, comme en témoigne ces captures d’écran :
« C’est un copain qui m’a demandé, ça ne pouvait venir que d’en haut, raconte Gilles Raynaud. Je l’ai retiré, je ne voulais pas faire de polémique, il ne comprenait pas qu’on tire à boulets rouges et m’a expliqué que cela pouvait faire plus de tort que de mal. » L’air est plus à l’unité qu’aux dissensions.
La CGT a démenti : « Nous n’avons aucune emprise sur quoi que ce soit, à ma connaissance, nous n’avons rien demandé, répond Laurent Langlard. Ce site est un exutoire, la liberté de ton est totale, on y trouve tout et son contraire, c’est le cadet de nos soucis de demander à retirer un lien. »
—
- allusion au tarif préférentiel des salariés, actuellement remis sur la sellette [↩]
Laisser un commentaire