Ben Laden dans les archives des services secrets

Le 2 mai 2011

Pendant plus de dix ans Oussama Ben Laden a étrangement échappé aux services secrets lancés à sa poursuite. Notes exclusives et revue des archives d'État consacrées au chef d'Al Qaida.

Selon la Maison Blanche, à 53 ans et après treize années de traque, Oussama Ben Laden a été tué dans une opération des services spéciaux américains, menée en territoire pakistanais. L’intervention héliportée s’est déroulée à 150 km au nord de la capitale Islamabad, dans la ville d’Abbottabad, où est installée une académie de l’armée pakistanaise. Oussama Ben Laden emporte dans la mort les secrets d’une cavale entamée après le premier mandat d’arrêt international émis par Interpol, le 16 mars 1998.

Activement recherché depuis les attentats du 11 septembre 2001, sa longévité s’explique par l’importance des réseaux qui lui étaient fidèles. Les archives des services secrets, auxquelles OWNI a eu accès, permettent de mesurer la portée de ces soutiens, et de mieux comprendre comment le chef d’Al Qaida a été perçu au fil du temps par les états-majors européens ou américains.

Des années de renseignements, pour quoi ?

Le 14 septembre 2001, trois jours après les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, les services secrets français de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) rédigeaient une notice biographique mettant en évidence la dimension internationale de son réseau. Voici le verbatim complet de cette note:

Elle synthétisait brièvement plusieurs années de surveillance menées pour l’essentiel par les services américains, égyptiens, jordaniens, israéliens, britanniques et français. Plus d’un an avant le 11 septembre, ceux-ci semblaient déjà disposer d’une large connaissance des relais et des soutiens d’Oussama Ben Laden. Une note de la DGSE du 24 juillet 2000 affirmait ainsi:

Les bases afghanes d’Oussama Bin Laden, si elles bénéficient de l’argent investi localement, sont également financées par les investissements réalisés par l’ex-Saoudien lors de son séjour au Soudan de 1994 à 1996. En effet, les entreprises qu’il a fondées dans ce pays lui ont permis d’acquérir son indépendance financière. Bénéficiant de l’appui de dirigeants soudanais, Oussama Bin Laden a fondé une holding industrielle au Soudan, probablement organisée autour de la société XXXXXXXXXX (…) Bin Laden est actionnaire majoritaire de ces sociétés, détenues également en partie par des investisseurs soudanais (…)

Les pays du Golfe jouent également un rôle important dans le réseau financier d’Oussama Bin Laden qui y regroupe et prélève les fonds finançant son organisation terroriste. Ces sommes sont ensuite transférées de cette zone vers le Pakistan, de banques à banques, parfois sur des comptes appartenant à des particuliers, ou d’entreprises à entreprises (…) Dubai, qui dispose de liaisons aériennes directes avec l’Afghanistan par la compagnie Ariana Airways, joue dans ce dispositif un rôle particulier. Zone importante de trafics, cet émirat est souvent cité comme point de passage ou centre logistique pour des lieutenants d’Oussama Bin Laden. Aussi son matériel de communication provient-il de ce pays. Mamdouh Mahmoud Salim, l’un des responsables financiers de Bin Laden, y aurait installé sa famille, avant son arrestation le 16 septembre 1998. Il aurait investi dans l’émirat voisin de Sharjah [NDLR: un des Emirats arabes unis].

Négociations avec les Talibans

À partir de l’année 2000, les implications politiques de ces divers soutiens ont conduit l’administration américaine de Georges W. Bush à privilégier des voies diplomatiques pour tenter d’obtenir l’arrestation d’Oussama Ben Laden. Évitant ainsi de fâcher leurs alliés du Golfe – l’Arabie Saoudite appartenait alors à la courte liste des pays qui reconnaissaient l’État des Talibans.

Des documents du département d’État américain – déclassifiés ceux-là – montrent comment les envoyés de l’administration républicaine ont préféré discuter avec les Talibans jusqu’au mois de juillet 2001, dans le but de se faire livrer Oussama Ben Laden. Alors même qu’un embargo des Nations-Unies frappait le régime:

Une synthèse du FBI accablante

Le FBI, limité dans ses investigations contre Oussama Ben Laden dans le courant de l’année 2000, devait reprendre ses travaux contre le chef d’Al Qaida juste après le 11 septembre 2001. Dans le cadre d’une opération de renseignement intitulée PENTTBOM. Le service de renseignement intérieur américain reconstituait les relations entre les réseaux d’Oussama Ben Laden et les 19 pirates de l’air à l’origine des attaques du 11 septembre 2001. De nombreux documents relatifs à cette enquête du FBI ont été rendus publics, mais souvent partiellement amputés. Ci-dessous une version exhaustive d’une synthèse datée du 5 novembre 2001:

Comme les documents des services français, cette note du FBI montre la portée des soutiens et des alliances internationales dont a profité Oussama Ben Laden pour développer son organisation – depuis la création formelle d’Al Qaida, lors d’une réunion du 11 août 1988. Des associations dans les monarchies du Golfe et en Afrique y sont également évoquées.

Jusqu’au dernier moment, il a semblé profiter de relais importants, expliquant ainsi la longévité de ses activités. Difficile en effet de penser que des membres des services secrets pakistanais de l’ISI n’étaient pas impliqués dans l’organisation de son refuge à 150 km d’Islamabad. Récemment, plusieurs notes dévoilées grâce à Wikileaks permettaient de confirmer la duplicité de l’ISI à l’égard des Occidentaux combattants Al Qaida. Tandis qu’une autre note provenant des dossiers de Guantanamo, révélée ces dernières semaines, toujours par Wikileaks, livrait le nom d’un courrier personnel de Ben Laden, Maulawi Abdal Khaliq Jan, cité dans un rapport de l’armée américaine au sujet d’un lieutenant d’Al Qaida, Abu al Libi, emprisonné à Guantanamo. Selon ce document, ce courrier avait conseillé à Abu al Libi de se déplacer vers la ville d’Abbottabad. Depuis hier, plusieurs officiels américains ont indiqué que la localisation de Ben Laden dans cette ville pakistanaise avait été rendue possible grâce à un renseignement obtenu à Guatanamo, au sujet d’un courrier d’Al Qaida.


Illustration CC flickr IceNineJon


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