Pénurie de lits: les HP HS
Au "plan santé mentale" succède "la réforme de la psychiatrie", qui facilite l'hospitalisation d'office. Une réforme qualifiée de "dérive sécuritaire", quand le secteur psychiatrique estime surtout manquer de moyens et d'effectifs.
2004. Une aide-soignante et une infirmière sont assassinées par un patient dans un hôpital psychiatrique, à Pau. La profession monte au créneau et dénonce le manque d’effectifs. En réaction, le ministre de la Santé de l’époque, Philippe Douste-Blazy, annonce un grand “plan santé mentale“, qui projette notamment de diversifier les alternatives à l’hospitalisation complète :
L’objectif est d’aboutir à une meilleure répartition géographique des professionnels médicaux et de favoriser le développement des réseaux de professionnels en santé mentale.
2008. A Grenoble, un homme atteint de schizophrénie s’échappe d’un hôpital psychiatrique et poignarde un étudiant. Nicolas Sarkozy demande alors une réforme des soins psychiatriques. Il souhaite notamment durcir l’hospitalisation d’office, conditionnant la sortie des détenus jugés dangereux à un accord du préfet.
2011. A l’appel du Collectif des 39, plus de 25.000 personnes ont signé la pétition “Réforme de la Psychiatrie : Une déraison d’État“. Les signataires reprochent au gouvernement l’assimilation “de la maladie mentale à une supposée dangerosité”.
Surtout, depuis plusieurs années, la profession dénonce des moyens de plus en plus limités. En 20 ans, le nombre de lits des services de psychiatrie en hôpitaux a été divisé par deux1.
De 79.150 lits pour une hospitalisation complète en service psychiatrie en 1996, le chiffre est passé à 57.141 en 2008. Soit plus de 22.000 lits supprimés en l’espace de 12 ans, selon la base de données Ecosanté.
Cette diminution constante répond à une volonté de développer la psychiatrie de secteur, c’est-à -dire de mettre en place des soins de proximité, dans des structures adaptées, plus facilement accessibles pour les malades mentaux. Un projet jusqu’ici resté sans effet, selon le constat du député (Nouveau Centre) et docteur Claude Leteurtre, énoncé en 2008 :
L’économie réalisée sur les lits d’hospitalisation n’a pas été réaffectée dans le circuit des activités psychiatriques et les temps médicaux se sont réduits dans le médico-social.
La psychiatrie de secteur reste trop peu développée pour accueillir les malades mis à la porte des hôpitaux. Ce qui donne lieu à de véritables aberrations : en raison du manque de place, les demandes d’hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers sont prioritaires. Comme l’explique Mathieu Bellahsen, membre du Collectif des 39 :
Lorsqu’un psychiatre de secteur nous appelle en urgence, en nous demandant de prendre un patient qui souhaite se faire hospitaliser de lui-même – donc en hospitalisation libre -, nous lui répondons qu’il n’y a pas de lit pour les hospitalisations sans contrainte. Le psychiatre n’a qu’à le mettre en hospitalisation sans consentement et le patient arrive alors à la demande d’un tiers alors qu’il voulait de lui-même se faire soigner. De manière libre !
Le nombre de lits ne permet plus d’accueillir des malades sans que ceux-ci ne soient “forcés” de se faire soigner.
En 2008, d’une région à une autre, le nombre de lits en service psychiatrique varie de 63 à 125 pour 100.000 habitants2.
Le nombre de psychiatres oscille, lui, de 9,8 à 22,6 pour 100 000 habitants. On est encore loin de la “meilleure répartition géographique des professionnels médicaux”.
En France, un peu plus de 12.000 médecins psychiatres prennent chaque année en charge près d’1.2 million de patients. Et il est difficile de croire que les conditions d’accueil des malades mentaux vont s’améliorer quand la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique (Drees) estime que le nombre de psychiatres devrait diminuer d’environ 30 ou 40 % d’ici 15 ans [pdf].
Les conséquences sont pourtant d’ores et déjà inquiétantes. Le nombre de malades psychiatriques en prison est en constante augmentation, selon un rapport d’information du Sénat qui relève “les limites de l’organisation actuelle de la psychiatrie”. En cause ? La diminution du nombre de lits -encore et toujours-, et l’absence de suivi des patients :
La désinstitutionalisation (NDLR: de la psychiatrie) suivie d’une diminution forte du nombre de lits en psychiatrie est, pour de nombreux experts entendus par le groupe de travail, l’une des raisons de la présence accrue de malades mentaux en prison, même si aucun élément statistique ne permet de l’affirmer avec certitude. [...]
De tels chiffres suggèrent qu’un certain nombre de personnes arrivent en prison après un suivi par le secteur psychiatrique sans que celui-ci ait été en mesure d’assurer une continuité des soins suffisante pour éviter des passages à l’acte. [...]
Le 3 mai dernier, le contrôleur des prisons Jean-Marie Delarue s’est inquiété une fois de plus dans son rapport annuel de “l’état des soins psychiatriques en prison”. Paradoxal.
Photo Flickr CC BY par Alebonvini.
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Image de Une, création et photo : Pascal Colrat (cette image n’est pas en Creative Commons)
Le déclin de la psychiatrie française par Grégoire Osoha
Psychiatrie sous contrainte: une loi inique par Claire Berthelemy
- On dénombrait plus de 100 000 lits en psychiatrie en 1980 [↩]
- source Ecosanté [↩]
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