Loïc Dachary, compagnon du Tour du Monde du Libre
Unique membre d’honneur de l’April, fondateur de FSF France, Loïc Dachary a mis ses pas dans ceux du Libre voilà vingt-cinq ans.
De son diplôme en 1986, dans la première promotion de l’EPITA, à sa rencontre avec Stallman, en passant par la fondation de la FSF France (Free Software Foundation) et le poker, Loïc Dachary poursuit une quête, celle de suivre l’étoile du logiciel libre. C’est un voyageur impénitent à la rencontre des autres qui forge son savoir-faire sur l’expérience. Loïc Dachary se définit lui-même par comparaison avec les Compagnons du Tour de France. Lui, il fait le tour d’un monde plus vaste encore, le monde du Libre. Suivons pas à pas ses étapes.
L’apprenti
S’il y avait une date fondatrice à la vie de Loïc Dachary, elle se situerait quelque part en 1987, l’année où il a découvert le logiciel libre. C’est une révélation pour ce diplômé d’un BTS informatique un an avant, de la première promotion de l’EPITA, quand l’école était encore dans une cave du 18° arrondissement.
Quand t’es gamin on te martèle la tête avec le fait qu’il faut que tu partages tes jouets. Cela veut dire qu’on n’est pas câblé égoïste, on est éduqué partageur. Je trouve formidable de pouvoir vivre avec le logiciel libre et en vivre, en partageant.
L’informatique n’est jamais qu’un moyen supplémentaire de communiquer, ce dont on a toujours besoin. Il lit de la science-fiction, Hypérion, par exemple, ou du James Ellroy. Il fait ses armes en étant « chanceux » de jamais s’être mis en position d’utiliser un produit Microsoft. D’abord sous Unix, puis sous GNU/ Linux, il apprend dans les années 90 à fabriquer du logiciel libre, son métier « d’artisan du logiciel ». C’est la pratique qui le guide, en lisant et en écrivant du code, il apprend lentement car il avoue ne pas être très rapide.
Au début des années 2000, il prend la décision consciente de ne plus jamais utiliser de logiciel propriétaire, ce que l’expansion du logiciel libre permet alors. Plusieurs raisons dirigent ce choix. D’abord le manque d’intérêt :
C’est hyper rare qu’il se passe quelque chose dans le propriétaire qui n’existe pas ailleurs.
Ensuite parce qu’il a conscience que le propriétaire n’est pas bénéfique à l’humanité, parce que ce monde ne prend pas en compte une valeur fondamentale à ses yeux : le partage. « L’humanité existe dans le monde numérique maintenant, on marche sur un sol numérique dans l’univers de la pensée. Et ce socle, ce substrat de l’univers dans lequel on pense, on éduque, on évolue, il ne peut pas être propriétaire, cela n’aurait pas de sens. Le logiciel c’est de la connaissance. Il serait inimaginable que le théorème de Pythagore soit breveté. En Europe on a cette sagesse là d’avoir interdit cela. L’idée du droit d’auteur, par exemple, c’est que pour stimuler la création que des portions de l’immatériel sont octroyées temporairement et de façon exclusive. Mais les idées, les méthodes intellectuelles, jamais ! L’humanité serait infiniment plus riche si le logiciel rentrait dans cette catégorie. » Pour que le logiciel soit libre et reconnu comme tel, Loïc Dachary a milité et tenter d’être prosélyte.
Il rencontre Stallman lors d’une conférence qu’il organise à Paris VIII. Il fonde la FSF France. Les piliers de l’activité de la FSF France sont d’une part le rappel à l’ordre des industriels indélicats, et notamment les opérateurs de téléphonie, qui volent du logiciel libre, ce qui fait sourire Loic : « Je ne parlerai pas du ridicule qu’il y a à voler quelque chose dont tu disposes librement. » ; et d’autre part, la mise à disposition d’infrastructures pour que des projets libres puissent se développer. Il lancera d’autres initiatives comme EUCD.info, parent tutélaire de la Quadrature du Net.
En écrivant pour eucd.info, il découvrira Victor Hugo, se fabrique une philosophie personnelle, mais se rend compte de son peu d’appétence pour le prosélytisme. La barrière des codes de communication lui semble parfois insurmontable. « On a plus une absence de culture qu’un trop-plein. Sans culture, on fait les choses de façon incomplète, on se bat avec les armes qu’on a et on réussit moins bien. Mais si on prend conscience de ses limites, on ne le fait pas. « Il renonce à convaincre mais appelle à publier pour communiquer : « l’avantage de publier du logiciel libre, c’est que c’est disponible et donc un communicant peut s’en emparer et gloser dessus, transmettre le message. »
La formation philosophique
Au cours de ces années, Loïc Dachary a fondé des convictions, une philosophie qui sous-tend son savoir-faire. Le logiciel libre est une philosophie personnelle, qui ne correspond pas aux philosophies construites existantes, parce qu’elle est issue d’une révolution des usages, de la pensée. Pour lui, c’est une philosophie de la transcendance : « le truc qui s’en rapproche le plus c’est la construction des mathématiques. Mais le logiciel libre parle plus aux gens. C’est un édifice intellectuel d’une dimension qui te dépassera toujours. » C’est un artisan du logiciel libre. « Il faut plein d’hommes pour faire un logiciel, mais pas une chaine, des artisans. Cela ressemble à l’ébénisterie, une activité individuelle créative qu’on insère, créative individuellement mais qui existe indépendamment de soi. C’est multiforme, cela n’a pas d’équivalent dans le monde des objets. C’est quelque chose qui existe à la fois une seule fois et un million de fois et qui au même moment se transforme. Cela explose et se réconcilie en même temps. Le plus difficile c’est de s’adapter mentalement à l’idée que malgré le fait que cela ne soit pas centralisé, c’est possible. » C’est un trésor pour l’humanité, Loïc Dachary en est convaincu.
J’ai fortement le sentiment d’être au cœur, d’appartenir à une foule, à un pays. Je suis dans une bulle, le logiciel libre, qui ne sent pas le renfermé, dans laquelle il y a des butineurs, des passants, des artisans. À aucun moment je ne sens l’enfermement.
Le grand œuvre
Il y a 8 ans de cela, Loïc Dachary est à maturité. Il entreprend son grand œuvre du logiciel libre : un jeu de poker. Pourquoi le poker ? Parce que c’est un jeu fabuleux, unique. Il en existe des centaines de variantes, comme le poker chinois, qui se joue à 13 cartes. Parce que le jeu est la vie en miniature et que le poker recèle toute l’agressivité et l’animalité humaine. Parce que le poker est le seul jeu dont l’argent fait partie intégrante, le seul qui prend en compte la rareté du monde réel pour fondement ludique, ce qui crée un business model efficace. Mais surtout parce que techniquement les possibilités sont immenses. En effet, le poker est un jeu d’agression que l’on ne peut pas automatiser : « l’intelligence artificielle, dans un jeu de poker, au-delà du face à face, le commun des mortels lui claque le beignet. » Un défi que Loic Dachary va mener pendant 7 ans à bien et qui finalement l’a fait se poser la seule question utile : « qu’est ce qu’il reste à l’humain lorsque l’intelligence artificielle n’y arrive pas ? »
Le Maitre compagnon du Libre
Depuis janvier, Loïc Dachary est un journalier du logiciel libre. « J’ai fait mon grand œuvre. Mais sinon je suis à l’intérieur d’un grand œuvre encore plus immense qui est l’ensemble du logiciel libre. Je me promène dans tous les projets et c’est mon univers, c’est dans ma machine et je suis dedans comme chez moi puisque c’est à tout le monde. »
Son projet est de continuer à voyage et tenir un journal de ses voyages. Il le verrait bien écrit dans le style de Johann Sfar, illustré de photos, pour « raconter son sentiment d’être à l’aube des temps ». Mais pour l’instant il se contente d’un journal de sa journée de travail. Son métier de journalier du Libre répond à un besoin : « celui d être socialement utile dans un contexte qui a un sens philosophique à long terme, qui est de consolider ce trésor de l’humanité qu’est le logiciel libre. »
Alors il va de projet en projet, parle à des gens, se sent accueilli partout où il passe. « L’esprit du Libre dans l’abstrait, c’est ce que je vis dans mon quotidien. J’arrive sur un projet en ayant le sentiment profond d’arriver chez quelqu’un. Je lui dis que je suis à lui pour la journée, que je suis avec lui. C’est comme dans une ferme si tu ne sais pas tenir une charrue, ce n’est pas pour autant qu’on ne va pas te mettre à faire la vaisselle. Moi, je sais coder, mais il n’y a pas de niveau de contribution, de niveau de participation qui n’existe pas dans le logiciel libre. À un niveau quelconque si tu utilises, tu contribues. »
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Article initialement publié sur Silicon Maniacs. Retrouvez la série de portraits “Le web mis a nu” sur SiliconManiacs
Crédits Photo- Le Web Mis à Nu : Claire Dorn et Flickr gisleh
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