La transparence, une ressource inexploitée…

Le 1 juin 2011

La transparence financière est l'une des armes les plus efficaces contre l'évasion fiscale. Mais la mise en place de normes exigeantes nécessite des accords multinationaux difficiles à atteindre... surtout avec les lobbies miniers et pétroliers.

Michel Roy, économiste et linguiste, est directeur de la section internationale du secours catholique. Il a été membre du bureau de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans l’industrie extractive) durant quatre ans, et coordinateur de la plate-forme internationale Publish what you pay. Il fait le point sur les différentes initiatives en faveur de la transparence financière.

Qu’est-ce que l’ITIE aujourd’hui et quels en sont les résultats?

En 2003, Tony Blair cherchait une réponse aux interpellations des ONG anglaises sur la transparence des grandes entreprises. Il a donc lancé l’ITIE (initiative pour la transparence dans l’industrie extractive, NdR), qui avait pour mission originelle d’établir une norme internationale de transparence pour les activités extractives : pétrole, diamants, minerais. Mais il s’agit d’une norme sur le mode anglo-saxon. Pas vraiment de contraintes ou de règles fermes, mais plutôt une recherche de consensus, de solutions acceptables par tous.

En 2007 a été lancé le processus de validation des pays producteurs selon les critères de l’ITIE. Les pays concernés sont ceux qui tirent plus de 25% de leurs revenus des industries extractives.

Pour être certifiés conformes à l’ITIE, les pays candidats doivent produire un rapport donnant des informations chiffrées sur ce que versent les compagnies à l’État, et sur ce que l’État reçoit. Un expert indépendant doit valider ce rapport, qui a vocation a être actualisé tous les ans. Aujourd’hui, sur 60 pays potentiellement concernés, 35 sont engagés dans le processus, dont 11 sont déjà certifiés.

Huit ans après son lancement, cette initiative n’est pas encore arrivée à maturité. Les critères restent trop souvent subjectifs. Nous souhaiterions plus d’objectivité, plus de solidité. Il faudrait également faire entrer les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine, NdR) dans le processus, ainsi que les plus gros producteurs. Le G20 incite tous ses membres à participer à l’ITIE.

Quel intérêt ont les pays producteurs à une meilleure transparence dans leurs affaires?

Beaucoup de ces pays ont de sévères problèmes de gestion des ressources. Des années de conflits, des gouvernements autocratiques… le contexte politique de certains pays a abouti à une opacité totale. Plusieurs raisons peuvent les pousser à participer au processus ITIE.

D’abord pour des questions d’image vis-à-vis de l’extérieur. Beaucoup veulent prouver au monde qu’ils sont bons gestionnaires. Ensuite, ces pays sont souvent très endettés, or le FMI met l’adhésion à l’ITIE comme condition pour annuler la dette d’un État. La banque mondiale fait également pression, cette fois pour lutter contre la corruption.

L’ITIE peut également aider les dirigeants de ces pays à y voir plus clair. J’ai entendu le ministre des Finances du Mali dire qu’il ne savait pas ce que l’or rapportait à son budget…

Tous les pays ne s’engagent pas avec la même force. J’ai pu l’observer au Congo Brazzaville. Le président Denis Sassou-Nguesso a envoyé une lettre à la banque mondiale en 2004, pour annoncer que son pays souhaitait entrer dans l’ITIE. Mais les premières démarches concrètes ont été effectuées en 2006… et des membres de l’organisation Publish What You Pay (PWYP) ont été incarcérés entre temps. Dans ce cas, la démarche ITIE s’est limitée à une déclaration d’intention. C’est le cas de beaucoup de pays, qui s’engagent, mais mollement.

A l’inverse, la présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, a utilisé l’ITIE pour réformer son administration, et mettre en place un cadre contraignant. On se libère difficilement de décennies de mauvaise gestion. Au final, elle a dépassé le cadre de l’EITI, en imposant également la transparence dans les industries forestière et agroalimentaires.

Les compagnies pétrolières sont-elles également coopératives?

En 2003, elles sentaient déjà la pression de la société civile dans certains pays, comme le Nigeria. Quand un pays entre dans le processus, cela devient contraignant pour toute les compagnies qui y travaillent.

Les majors, qui ont une image à défendre, jouent le jeu en général. Elles ont un intérêt à avancer vers plus de transparence, cela rassure les investisseurs. Mais entre ce que décide le siège et la manière dont c’est mis en Å“uvre par les filiales sur place, il peut y avoir un décalage. A un tel point que Total a dû consacrer du personnel dédié à la transparence dans ses filiales.

Une compagnie cherche à produire du pétrole, à créer de la richesse. Le reste, ce n’est pas prioritaire. Néanmoins, les majors pétrolières soutiennent presque toutes l’ITIE. Total et Areva ont signé en 2003, GDF Suez un peu plus tard. C’est parfois indispensable pour entretenir de bonnes relations avec les États.

Dans les pays les plus riches, sentez-vous une volonté politique d’imposer plus de transparence aux multinationales?

Les pays du Nord sont plus moteurs que ceux du Sud. La crise les a encouragé à aller vers plus de transparence. Les États sont marginalisés sur la scène internationale. L’économie financière dirige le monde à leur place. La transparence peut aider les États à récupérer des fonds. Dans tous les pays, le fisc pousse fort dans ce sens.

Par exemple, la loi Dodd-Franck, adoptée aux États-Unis, oblige les compagnies cotées à publier des informations pays par pays et projet par projet. Votée en juillet 2010, elle n’est toujours pas effective : les décrets d’application ont été reportés à décembre 2011, suite à un lobbying très fort des multinationales. Elles demandent des exemptions quasiment sur tout…

Notre objectif, c’est que cette norme devienne planétaire. On pousse l’Union Européenne à adopter les mêmes règles. Notre opportunité : la révision de la directive sur l’obligation de transparence. Dans l’idéal, la nouvelle version de cette directive se baserait sur la loi Dodd-Franck.

Mais les discours publics restent flous… Les compagnies sentent qu’elle ne pourront pas éviter de donner des informations pays par pays. Ce qui les amènera à corriger d’elles-même leurs pratiques d’évasion fiscale. Mais les données projet par projet, c’est une autre affaire. Les compagnies pétrolières sont vent debout contre ce projet. Bercy est également contre. L’argument utilisé, c’est toujours celui de la concurrence. Publier des données projet par projet, cela donnerait un avantage aux concurrents. Ce ne sont pas les Américains qui sont visés, mais les Chinois, qui ne seront pas soumis aux mêmes contraintes. C’est un argument qu’on peut comprendre, et c’est pourquoi il faut établir une norme globale.

L’un des freins les plus importants à cette logique planétaire, c’est la position des pays émergents. Aucun d’entre eux ne soutient l’ITIE. Même si leurs compagnies nationales s’engagent, comme Petrobras au Brésil ou Pemex au Mexique.

Quelle institution pourrait valider une telle norme? Le G20?

Il n’y a pas d’autorité boursière mondiale… La norme s’établira d’elle même, si les États-Unis lancent la dynamique et que l’Europe suit. Singapour a également lancé une initiative moins ambitieuse.

C’est le sens du message que nous répétons à Total depuis des années : « Anticipez, les choses vont bouger, n’attendez pas d’être contraints ».

Vous êtes donc optimiste?

Oui, je pense que la crise oblige à développer des logiques de transparence. Si les politiques espèrent reprendre la main sur le cours des choses, ils n’ont pas le choix. Les grandes décisions sont globalisées, et le resteront. Nous vivons dans un monde beaucoup plus inter-dépendant que par le passé, donc pour s’y adapter les politiques vont devoir contraindre la sphère financière.

Il faut avancer vers une régulation financière réelle, avec la fin des paradis fiscaux et des mécanismes d’opacité. Tant que tout cela ne sera pas régulé, les chefs d’état n’auront pas de réel pouvoir sur la situation économique. Ils l’ont bien compris.

Toutes les normes de transparence avancent aujourd’hui. On sent la résistance des compagnies, on sent l’impact de leur lobbying quand on parle aux politiques. Mais j’ai le sentiment que la réalité va amener les responsables publics à faire avancer les choses. Signe positif : le G20 a repris des propositions formulées au forum social de Belem, qui vont dans ce sens.


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