Copiepresse vs Google: de l’index au majeur
La décision de Google de désindexer les médias belges francophones a provoqué un vif débat sur la relation entre la firme de Mountain View et les éditeurs de presse. Damien Van Achter a ouvert son Google + à la discussion.
Ce billet a été initialement écrit sur Google+. Afin d’ouvrir la discussion à ceux qui ne sont pas encore présents sur cette plate-forme (et d’en conserver une trace, #justincase), je le retranscrits ici avec ses commentaires, dont la qualité est vraiment assez remarquable. N’hésitez pas à poursuivre la discussion ci-dessous. (Tx @ Damien Spleeters pour la suggestion)
Le conflit entre Google et les éditeurs belges francophones, représentés par Copiepresse, a connu vendredi une nouvelle péripétie avec la désindexation des sites de ces médias du moteur de recherche. Ce comportement (qui ne fait qu’appliquer – avec une dose certaine de cynisme – le jugement prononcé en défaveur de Google et dont Copiepresse espère toujours qu’il fera jurisprudence) renforce un bras de fer économique, technique et même, à mes yeux, philosophique, entamé en 2006.
Pour vous rafraichir la cache (mwouarf !…désolé), voici une série de 20 articles que j’avais publiés à l’époque où je couvrais le procès, notamment pour le compte de l’agence Belga. Étonnant de voir qu’en 5 ans, les arguments sont toujours les mêmes…. et que le schmilblick n’a in fine pas avancé d’un iota.
[MàJ - lundi, 18h15 : Une solution vient d'être trouvée entre Copiepresse et Google qui va réindexer les sites de presse.]
Commentaires
Pascal Alberty - J’ai beau entendre des arguments dans tous les sens, j’ai toujours la même petite phrase qui me revient dans la tête “le beurre, l’argent du beurre … et les miches de la crémière”. Je sais, c’est réducteur, mais le scénario de ce qui s’est passé aujourd’hui n’a-t-il pas été écrit par CopiePresse elle même ?
François Schreuer - Ce qui est étonnant, c’est que Google ait attendu aussi longtemps avant de prendre cette décision qui a le mérite de placer les éditeurs devant leurs contradictions. Parce que, personnellement, je ne vois guère de différence entre Google News et un moteur de recherche quand on sait un peu s’en servir…
Pascal Alberty – @François Schreuer pour une explication (un peu technique il est vrai) voir la vidéo de Philippe Laloux. En gros, l’explication de Google provient du fait du changement de son algorithme qui lie beaucoup plus le fonctionnement de Google News à Google Search. De ce fait, retirer du contenu de Google News (ordonné par le jugement) provoque le retrait de Google Search. “Comme par hasard” dirait les responsable de CopiePresse.
Cédric Motte – Ah ben voilà, un historique intéressant ! Tout lu. Et je n’ai pas de réponse ;o) mais on se rejoint sur la question de fond quasi philosophique, développé sur le post de Christophe Lefevre tout à l’heure : en tant qu’éditeur, je dois avoir la possibilité de demander à Google de retirer un contenu que j’ai publié. Dans l’absolu, c’est aussi débile que Coca qui souhaite se retirer de Carrefour. Mais c’est un droit, me semble-t-il, quand le distributeur est identifié et gagne de l’argent grâce à ce que je produis, de décider de ne plus lui donner accès à mes produits. Et si Google était en opt-in sur Google News et son cache, il est fort probable que les éditeurs eussent agi différemment !
Protocole de désindexation
Benoît Marchal - Mais ce droit tous les éditeurs l’ont ! Il y a même un protocole Internet qui est défini pour communiquer ce droit. Le fond de l’affaire c’est que les éditeurs ne veulent pas mettre en œuvre les normes techniques définies sur Internet. Et un juge leur a donné raison, mais on est dans un pays où quand un type se fait braquer on lui répond qu’il devait acheter une voiture moins voyante…
François Schreuer - @Pascal, oui, j’ai lu ça quelque part. Cela dit, les contraintes techniques servent souvent à masquer des choix politiques.
Pascal Alberty – @Cédric Motte : c’est possible pour un éditeur de ne pas faire indexer tel ou tel contenu ! Mais c’est aussi le but de l’éditeur d’avoir beaucoup de contenu indexé pour générer du trafic à partir des recherches naturelles… (d’ailleurs ces mêmes éditeurs ne se privent pas de faire du contenu pour faire du contenu dans ce but unique, même au détriment de la pertinence du contenu et de l’intérêt des lecteurs) : “le beurre et l’argent du beurre”… Même si je reconnais qu’il y a des droits d’auteur et tout le toutim, c’est délicat de dire d’un côté “on ne veut pas que Google se fasse de l’argent en stockant nos articles dans Google News” et de l’autre côté “on veut bien quand même que Google nous amène du trafic comme ça nos annonceurs seront contents”. A nouveau, je suis un peu réducteur, mais c’est tout de même un peu le nœud du problème.
Cédric Motte - [Je ne parlerais pas forcément de Google News, parce que c'est effectivement un autre problème - il ne s'agit que de citation dans Google News, là où l'on parle de copy paste pour le cache.] Pour le cache, donc, merci de vos précisions, je sais qu’il y a tout ce qu’il faut techniquement pour bloquer l’indexation, notamment pour ne pas apparaitre dans le cache.
@Benoît Marchal, l’exemple que tu donnes sur la voiture va justement dans le sens de copiepresse, il me semble. J’ai le droit de publier ce que je veux, et un jour je peux avoir une belle voiture, un autre une voiture pourrave, mais dans tous les cas c’est moi qui dois etre en position de décider, pas les éventuels mecs qui vont te piquer ce qui est en ta possession.
@Pascal Alberty je ne suis pas sûr de voir en quoi c’est délicat. Ce qui me gêne dans l’histoire, c’est que la réutilisation du contenu est très bien gérée en ligne par la notion de licence CC. Il s’agit alors d’un choix déclaratif et non d’une contrainte technique imposée par l’un des acteurs de mon circuit de distribution. Google me fait penser aux ouvriers du livre en France, tiens ! Un peu gamins, voulant imposer leurs règles… L’ensemble des textes, photos et vidéos que je pousse en ligne sont en licence CC, donc je n’ai pas de problème de fond sur le partage de contenu :-) !
Plus loin, et plus largement, il y a peut être quelque chose de gênant dans tout cela. En intervenant à ce point à la main sur l’index, Google devient éditeur de contenu . S’ils s’étaient contentés de ne suivre que la décision de justice, alors pas de souci, ils restent dans leur rôle d’hébergeur. Non ? Désolé c’est alambiqué comme réponse.
fabrice massin1 – J’en profite donc pour rappeler à tous que ces mêmes éditeurs ont aussi entamé une action en justice pour que le service public arrête de faire des sites internet (en fait on devrait juste plus faire de textes ni mettre de photos… plus de site quoi), arrête d’être présent sur FB, sur Twitter, arrête les newsletters… Bref disparaisse du web pour leur laisser la place.
Benoît Marchal – Sur l’affaire Copiepresse tu n’as pas l’air bien au fait du fond. Les faits sont les suivants : depuis plus de 15 ans il existe un moyen technique très simple pour demander non seulement à Google mais à tous les moteurs de ne pas indexer un site ou de ne pas citer un extrait du site dans les résultats. Un webmestre bourré le met en place en 15 minutes (c’est ce qu’explique Pascal Alberty). Il est essentiel de comprendre deux choses :
- Ca répond parfaitement à ce droit fondamental sur lequel nous sommes d’accord et que Google n’a jamais violé : c’est à l’éditeur de choisir ce qui sera repris dans l’index
- La communauté Internet a élaboré un protocole c’est à dire un mode de travail commun. Il est évident que dans une communauté si on ne respecte pas quelques règles communes c’est invivable (en droit on parle d’us et de coutume).
Fondamentalement le procès gagné par Copiepresse, c’est que la presse belge obtient le droit de ne pas respecter le protocole Internet. C’est donc la presse belge qui dit à l’ensemble de la communauté Internet du monde entier “nous on veut pas travailler avec vous.” J’aurais envie de dire qu’ils restent sur le papier et qu’ils ferment leurs sites…
Déconnexion (de la réalité)
Francois Lamotte - On avait un épisode de PodCafé à l’association des journalistes professionnels sur ce sujet là : je n’ai pas mes archives sous la main mais je pense qu’on avait abordé ce qui s’est passé ce vendredi. Quand on relit les déclarations des différents intervenants des “victimes” de ce vendredi (Philippe Laloux, M Boribond, …), cela confirme ce que Benoît Marchal dit : ce conglomérat vit sur sa planète. Ils imaginent qu’ils sont sur une île perdue dans l’océan. Ils ont toujours une mentalité de broadcasteurs qui fondamentalement méprise son environnement (ses lecteurs etc). Mais la réalité est un écosystème avec différents modes d’interactions entre les ensembles. Reprenons l’image des vases communiquants, ce qui passe d’un coté revient d’un autre.
Ils minimisent l’impact du trafic “gratuit” offert par Google (le trafic organique venant de Google). Mais 30 à 40% de visiteurs gratuitement obtenus, cela représente 30 à 40% du chiffre d’affaire publicitaire réalisés par ces journaux. Voir plus si ces segments de visiteurs passent en moyenne plus de temps sur leurs site. Franchement si j’ai un “partenaire” qui est responsable au minimum du tiers de mes revenus, je le traiterai autrement que de simple “voleur”.
Les chiffres du CIM nous montreront rapidement s’ils veulent entendre raison… Parions que dans quelques semaines un accord sera obtenu et que certains acteurs mangeront leur chapeau, leur chemise et leurs arguties jusqu’ici défendues.
Christophe Lefevre - Assez d’accord avec Benoit Marchal. On ne peut pas imposer à Google de suivre les règles de la presse sans accepter de suivre celle du web. Et Google n’est pas un service à la carte, c’est comme si je un journaliste m’interviewait et que je lui répondais que je veux choisir l’emplacement de l’article sur le journal, que je veux qu’ils oublient mon nom après publication… Chacun son métier et à chacun ses intérêts ! La semaine prochaine, je dois travailler sur une solution pour indexer des articles qui ne se publient pas encore dans Google News : ben oui, chez RTL.be, on aime bien Google !
Erwann Gaucher - Au moment où de plus en plus d’éditeurs affirment vouloir les faire plier, Google a voulu faire un exemple avec les sites belges. Cela prouve que, pour le moment, ce n’est pas via la loi que l’on peut faire plier Google, mais en les battant sur le terrain de l’innovation. Ce qui n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour les entreprises médias ayant déserté ce terrain pendant de longues années…
Cédric Motte - Attention, suis en mode troll ce matin ;-). En suivant votre logique de raisonnement sur facebook, par exemple, vous n’avez donc rien contre le fait que les photos de vos enfants ou de votre femme/copine soient réutilisées pour des pubs ?
@Christophe Lefevre À la différence que ta réponse en interview dans un journal, c’est de “l’opt in”. Tu choisis de répondre, ou pas, à un journaliste.
@Francois Lamotte Google a bâti son business sur sa capacité à crawler les pages web et à les rendre accessibles. Il a utilisé le principe même du web pour ça, il fournit un service de qualité, il en a tout à fait le droit. Mais il a profité de nouvelles capacités techniques qui passent au dessus de la notion de propriété (et c’est le vol comme disait Proudhon :-)). Je sais, “c’est comme ça”. Mais si, techniquement, je construis une clé qui me permets de rentrer chez vous pour piquer vos ordinateurs, les revendre, tout en créditant l’acte de vente “Ordinateur trouvé au 32 de la rue de Flandres”, comment réagiriez-vous ? Est-ce à vous de mettre un autre verrou ? Pour finir, un billet rédigé sur mon blog en 2006, afin de vous montrer que je ne suis pas totalement étranger à la problématique !
Francois Lamotte – @Cedric Motte pour les photos sur Facebook, il y a différentes options pour limiter l’usage du contenu. A-t-on déjà vu des images “privées” ré-utilisées par Facebook pour en faire des publicités ? L’analogie avec la clé pour rentrer chez les gens est plutôt mal trouvée (mode troll)… Google passe là où les portes sont grandes ouvertes. A priori si tu laisses les portes et les fenêtres grandes ouvertes de ta maison, de tes bureaux, de ton musée, de ta bibliothèque municipale et personne à l’entrée pour contrôler qui entre et qui sort : personne ne sera étonné à ce qu’on vienne te “voler” tes objets. Dans notre société, il y a des techniques et des conventions utilisées pour les espaces qu’on souhaite protéger : des portes, des serrures, des volets métalliques… Des éditeurs qui laissent les portes grandes ouvertes (en feignant de croire qu’il n’y aucun moyen de se protéger) et en reprochant aux “voleurs” de venir se servir, c’est un peu grotesque, mesquin et malhonnête.
Vision limitée du droit d’auteur
Alexandre Dulaunoy - En 2006, Alain Berenboom estimait des “pseudo” pertes pour les quotidiens francophones, et Copiepresse (la SCCRL) suivait l’avis des juristes pour une procédure légale. Le monde Internet savait que c’était une grosse bêtise juridique mais Copiepresse et la JFB (SCRL Les Journaux Francophones Belges) croyaient ses juristes ayant une vision limitée du droit d’auteur (dans ce cas, on devrait plutôt parler du droit d’éditeur…). Nous sommes en 2011, tout le monde est perdant dans ce cas sauf les juristes “pro” droit d’éditeur qui essayent de pousser pour une judiciarisation de la société de l’information. La solution n’est pas juridique…
Jacopo GIOLA – Qui sont les avocats de CopiePresse ?
Alexandre Dulaunoy - Alain Berenboom était un des experts commandés pour l’évaluation des pertes. Mais l’avocat de Copiepresse est Bernard Magrez. On peut même lire dans sa bio :
Il a reçu, à Londres, le “Global MIP Award 2008 (Best Europe case)” de la revue “Managing Intellectual Property” pour le procès mené par COPIEPRESSE contre GOOGLE Inc.
Tout le monde perd sauf les juristes…
Christophe Lefevre - Un des problèmes, c’est que la plainte date de 2006 et que la situation a changé aujourd’hui. Je veux bien croire qu’en 2006, Google News était considèré comme un probable concurrent. Aujourd’hui, c’est un module du moteur de recherche. Il aurait été plus intelligent de réanalyser la situation, mais ça aurait été trop difficile pour CopiePresse d’avouer qu’ils se sont tromper. Pour moi, c’est une histoire de sous, d’ignorance ET de fièreté mal placée !
Jacopo GIOLA – D’accord avec tous, mais le fond reste… Il n’y a pas partage des revenus (même symbolique) de la part de Google pour des contenus qu’il n’a pas produit. Par exemple Google Maps ne “pompe” pas les adresses des rues mais les achète à TeleAtlas… C’est en ce sens que Google aurait pu faire un geste… aurait ;-)
Francois Lamotte – @Jacopo GIOLA Franchement je ne te suis pas là dessus pour le “geste à faire” et alors pour le trafic “gratuit” que Google envoie (30 à 40% du trafic des journaux) ces derniers pourraient faire aussi un geste pour Google. 30% de ton chiffre d’affaire qui vient d’un partenaire cela peut avoir une importance qu’on sait mesurer facilement. Sans tenir compte du fait que le flux des ces médias est du copié/collé d’agences de presse à 95%. Ce contenu est déjà amorti en amont dans sa logique de création.
Cédric Motte – @Christophe Lefevre fierté mal placée, peut être, mais il n’empêche que cela soulève de vraies questions. La réponse de Google est claire, en tout cas : votre contenu ne vous appartient pas.
@Francois Lamotte tu es un peu dur avec les sites des journaux. La proportion de dépêches à tendance à se réduire – ou est sur le point de l’être. Mais surtout, je ne suis pas ton raisonnement. Les sites des journaux existaient avant Google – ie celui du Soir dont la première capture par archive.org remonte à décembre 1996, quand Google est né en 1998. Google a basé son business sur une commodité, celle de faciliter l’accession aux pages web non éditées par lui. Ce n’est pas Google qui a apporté de la valeur au web en premier, c’est le web qui a apporté de la valeur à Google.
Jacopo GIOLA - exact Cedric, et au début Google ne proposait que le lien direct sans résumé ! Juste pour garder les proportions :
Astreintes journalière menacées : 25.000 €
Reserves en cash ou équivalent de GGL: 36 BLN $
Francois Lamotte – @Cédric Motte “C’est le web qui a apporté de la valeur à Google”… Je m’excuse mais c’est l’inverse. Si Google détient une position dominante au niveau de la recherche, c’est bien qu’il a innové sur la façon de classer l’information. Et sa valeur ajoutée est là. On peut contester les logiques de classement (mais c’est une autre discussion). Si ce n’était pas le cas, nous aurions 3 à 5 services de recherches qui se partageraient ce marché là. Et pourtant les montants colossaux investis par Bing et les startups du secteurs ont du mal à progresser. Tu peux avoir autant de sites plus anciens que Google, cela ne change rien : si tu reposes sur un modèle publicitaire et que tu n’as pas de trafic, tu n’existes pas ou moins facilement. Et Google te propose deux services de bases : un service de trafic payant par ses régies publicitaires, et un service gratuit par ses classements de résultats (sous différentes formes).
J’aimerais bien comprendre pourquoi les journaux veulent bien être présents sur les résultats de recherches et pas dans les news alors que la mécanique de classements, d’extraits etc est la même (et si les fonctionnalités sont adaptées sur le thème de l’actualité pour Google News). Google exploite aussi ses résultats pour sa régie publicitaire. Sauf si je me trompe, Google ne récupère pas les contenus pour le transformer : par exemple faire un seul article sur une actualité en extrayant des contenus séparés (illustration, photo, vidéos…) mit en page autour d’un résumé textuel ? A l’instar de DJ ou de sampleurs, il extrait le titre et quelques 160 caractères pour présenter un article. On reste dans l’ordre de la citation. Je ne suis pas un défenseur de Google à tout prix, je trouve juste que dans cette histoire CopiePresse se met le doigt dans l’oeil au mépris des avantages qu’il en tire déjà et de pratiques d’un écosystème comme Benoît Marchal l’expliquait très bien.
Jacopo GIOLA – @Francois Lamotte Le problème avec les news c’est que si Google publie ça:
PM’s Murdoch press links defended
BBC News – 8 minutes ago
Foreign Secretary William Hague has defended David Cameron, saying he was “not embarrassed” by the extent of the PM’s dealings with News International.
Moi, je n’ai plus besoin d’aller à la source. Mais si je publie ça :
PM’s Murdoch press links defended
BBC News – 8 minutes ago
Je suis “obligé” d’y aller… Alors, que chaque titre définisse, lui, ce qu’il veut donner à Google pour que Google crée son agrégateur.
Les choix de l’éditeur
Benoît Marchal – @Jacopo GIOLA le problème n’a jamais été la quantité d’information partagée, indexée ou affichée dans le résultat de la recherche. Avant le procès, après le procès, chaque site web (y compris donc ceux de la presse belge) a toujours été libre de définir très précisément ce qu’il permettait d’afficher dans l’index. De même que Google a toujours été libre de choisir ce qu’il indexait dans ce qu’on lui proposait. Il est essentiel de comprendre que ça n’a jamais été ça l’objet du procès. Google ne décide pas s’il affiche un résumé ou s’il envoie à la source. C’est l’éditeur qui avait et a toujours tout pouvoir là-dessus et le jugement n’a rien changé à ça.
Mais comme Internet, ne se résume pas aux seuls titres de presse belge, la solution pour établir ce que Google (et les autres moteurs) affichent fait l’objet d’un protocole… Protocole c’est le terme technique pour “règles de vie en commun.” La seule chose que Copypresse a demandé dans ce procès, c’est de pouvoir ne pas respecter les règles de vie en commun. Donc, en fait, ce qu’ils ont voulu obtenir c’est la création d’un Internet à deux vitesses. D’une part les sites de la presse belge et d’autre part le reste de l’Internet. Les deux obtiennent le même résultat mais la presse belge le demande autrement.
C’est très grave parce que c’est une atteinte à la neutralité d’Internet : si je suis assez riche pour me payer un procès, je peux demander mon protocole à moi. Si je ne suis pas assez riche pour ça, j’utilise le protocole commun. Non seulement c’est grave mais en plus c’est stupide. C’est stupide parce que déterminer ce qui s’affichait dans les résultats de recherche a toujours été sous le contrôle exclusif de l’éditeur (je me répète mais c’est important). Leur problème n’a donc jamais été devant la justice puisque le problème, le vrai problème c’est la monétisation. Le billet de Cédric Motte (voir son commentaire) est d’ailleurs instructif et contrairement au jugement, contrairement à l’opposition en cours, ce billet pose les vraies questions. Ce conflit juridique n’est qu’une distraction qui nous éloigne du vrai problème, qui nous éloigne donc d’une solution et qui, comme Christophe Lefevre le notait, ne sert qu’à enrichir les avocats.
Damien Van Achter – Très intéressant ce que tu dis Benoit, notamment à propos de la neutralité. Philippe Laloux disait exactement l’inverse !
Alexandre Dulaunoy - L’article du Soir ne fait plus référence à l’acte du tribunal et aux analyses de leur juriste faites en 2007. Dans l’acte de cessation, il est clairement indiqué “cache” et Google” dans l’acte rendu par le tribunal de première instance de Bruxelles N° 2006/9099/A :
Condamnons la défenderesse à retirer de tous ses sites (Google News et « cache » Google sous quelque dénomination que ce soit), tous les articles, photographies et représentations graphiques des éditeurs belges de presse quotidienne francophone et germanophone représentés.
Le cache est une partie intégrante de l’indexer puisque les pages sont indexées à partir de ce contenu. De plus, les avocats “pro Copiepresse” considéraient même que le droit de reproduction n’était pas autorisé pour faire l’indexation2. Le Soir devrait râler sur ses avocats et sur Copiepresse et non sur Google… qui applique simplement les demandes de 2006-2007.
Jacopo GIOLA – @Benoit Marchal je retrouve dans les “papiers de Damien Van Achter :
Google ne s’est pas le moins du monde séparé de son cache. Ce sont les journaux qui ont juste accepté d’utiliser le tag “noarchive”… La différence est de taille, surtout quand Mme Boribon nous “vend” ça comme LE mérite de cet accord. Ca ne manque pas de piquant quand on reprend l’argumentaire de Copiepresse développé jusqu’ici et qui, en gros, disait “il n’est pas normal que nous devions nous protéger du vol de Google en taguant nos articles”.
C’est donc bien un problème de gestion des contenus et aussi, de monétisation car comment justifier une monétisation si on a pas “le contrôle de ses contenus” ?
Benoît Marchal – @Jacopo GIOLA : on est tout à fait d’accord. Cette accord démontrait par l’absurde que les éditeurs belges ont toujours eu le contrôle sur la gestion de leur contenu, qu’il n’y avait nul besoin de procès pour l’affirmer et qu’il n’y avait là nulle victoire pour la presse belge. Comme tu le rappelles, les termes de l’accord (survenu quand la presse a mesuré le coût de la désindexation qu’elle avait obtenue en justice) se résumait à ce que la presse belge utilise le protocole Internet accessible à tous depuis toujours (protocole accessible à tous donc neutre). Damien Van Achter avait à l’époque bien fait son travail de recherche.
Xavier Lambert - Le pire c’est que sans Google on va avoir un mal de chien s retrouver certaines de nos pages…
Christophe Lefevre – @Xavier Lambert C’est drôle, je me posais la question, les moteurs de recherches natifs aux sites sont souvent catastrophiques :-). La presse de façon générale est géniale : elle refuse de rétribuer Apple pour la vente d’abonnements sur sa plateforme iOS comme tout le monde, elle veut interdire la RTBF de faire du web, elle voudrait des règles d’indexations spécifiques ! Moi je pense que la presse devrait s’associer aux majors de la musique pour faire un procès à Dieu qui n’a pas fait le monde exactement comme ça les arrange ! Oui, les temps changent, c’est pas de bol !
Ce qui m’ennuie, c’est que la presse qui s’est mise dans cette situation risque de revenir en arrière, peut-être pas tous les journaux, mais certains ont trop besoin de Google. Je les vois mal faire un procès à Google pour désindexation abusive (quoique) mais plutôt faire un accord à l’amiable, ce qui pourrait que renforcer le géant américain et décrédibiliser la presse belge. Le gagnant dans cette histoire, c’est Google, certainement.
Les producteurs de contenu oubliés
Mehmet Koksal - On parle toujours des intérêts de Google contre les éditeurs mais tout le monde semble ignorer le travail des producteurs de contenu (aka “journalistes”) qui sont les véritables spoliés dans cette affaire, non ?
François Schreuer - Spoliés par qui ? Par la bêtise de leurs employeurs ? Sans doute, oui…
Xavier Lambert - Google facilite l’accès aux contenus produits par les journalistes. La question de la monétisation et donc de la rétribution vient après il me semble. C’est d’ailleurs le délicat exercice des sites qui veulent passer à un accès payant, tout en continuant à être indexés.
Mehmet Koksal – @François Schreuer Que les choses soient bien claires : Google n’est ni plus ni moins qu’une vulgaire société cherchant d’abord à maximiser ses profits (comme toutes les autres Facebook, Twitter et consorts), il convient de la traiter comme telle et non comme une organisation humanitaire œuvrant sur base des principes démocratiques régissant une communauté (Internet). Google ne doit pas nécessairement changer d’algorithme ou de modèle, il peut faire quelque chose de plus simple : payer ou créer une plateforme soutenant financièrement le travail des producteurs de contenu qui alimentent son modèle économique. C’était à mon avis le sens de la démarche judiciaire de Copiepresse et de la SAJ en assignant en justice ce géant américain. Maintenant il semble que ce soit le retour des flammes et la guerre des tranchées entre les deux camps. Je n’ai non plus aucune sympathie pour ces patrons de presse belge qui font signer des contrats de travail où le travailleur cède gratuitement tous ses droits d’auteur et de reproduction à vie et sur tous les supports. Ils font en interne avec leur propre personnel ce qu’ils reprochent à Google de faire. C’est ça qui est quand même positif dans les mesures de rétorsion utilisées par Google à l’égard des titres et qui rappelle aux patrons ce vieil adage : ne faites pas aux autres ce que vous n’aimeriez pas qu’on vous fasse.
Damien Van Achter – @Mehmet Koksal “vulgaire société” ? c’est très péjoratif comme qualificatif. Sauf si “vulgaire” =”commun”. Mais tu as raison. Journalistiquement, il faut traiter les big company du web comme on traite les big pharma ou les big de l’agro-alimentaire. Et je te rejoins tout à fait aussi sur la détestable habitude qu’ont les patrons de presse (et médias en général, sans distinction) à considérer leurs forces vives comme du bétail, payé au lance-pierre avec des contrats ultra-précaires. On ne peut produire de la qualité (et revendiquer d’être traité comme tel) si l’on procède en interne comme à l’abattoir et au canon à dépêches. Le conflit auquel nous assistons est vraiment à la croisée de tous les chemins et montre bien les limites de chacune des parties. Et +1 sur ta conclusion (qui est pile-poil pour un dimanche :-))
fabrice massin - Pour ce qui me concerne, il me semble que cette attitude de conflit des éditeurs envers tous les concurrents ou supposés l’être n’est pas saine, le web belge a tout intérêt à s’auto-stimuler positivement en développant des nouveaux contenus et services en tentant de faire preuve d’innovation avec pour seules finalités de servir la communauté de tous les internautes. Sommes-nous si forts qu’il soit nécessaire de perdre son temps, son argent et ses ressources pour devoir se défendre/s’attaquer les uns contre les autres ? Et bientot on va aussi attaquer Facebook et puis Twitter etc. ? Tous ces puissants acteurs du web doivent bien évidemment faire des profits c’est vrai, mais ils contribuent aussi au développement d’autres activités web et aussi à relier entres elles des millions de personnes dans notre pays.
Comme certains l’ont fait justement remarquer, aucun média n’est correctement référencé dans Google à moins d’avoir fait les développements techniques nécéssaires et ce, pour tous les services de Google. Alors pourquoi cracher dans la soupe ? Ok, l’argent est une bonne raison pour certains. Rien de repréhensible mais quand on envoie des missiles il ne faut pas s’étonner de ramasser une bombe en retour ! Quels sites de médias peuvent se permettre de vouloir se passer de ces acteurs quand on sait que dans les 5 ans, plus de 50 à 75% du trafic passera par ces acteurs ? Evidemment certains pensent qu’ils sont indispensables et que tous les moyens sont légitimes pour obtenir de l’argent et donc pour entraver ceux qui ne pensent pas comme eux… So be it, nous ne sommes plus au siècle des Lumières, mais je pensais à la citation de JJRousseau “l’homme nait naturellement bon, c’est la société qui le corrompt…. je paraphaserais :
Le web est né naturellement bon, ce sont certains acteurs qui tentent de le corrompre et de le foutre en l’air
Et ça, c’est pas démocratique.
Article initialement publié sur Blogging The News
Crédits photo FlickR CC : by-nc-sa ekaï / by-nc-nd keso / by-sa manfrys / by Giles Douglas / by Michperu
- Damien Van Achter - en 2006, c’était Bernard Marchant (admin délégué de Rossel) qui était venu commenter un post sur mon blog. En 2011, c’est +fabrice massin (Head New Media de la RTBF) qui vient commenter un post sur mon G+ … interesting :-) [↩]
- Pourtant la directive 2001/29/CE autorise une exception sur le “caching” pour le fonctionnement des infrastructures… [↩]
Laisser un commentaire