Printemps arabe©, si jeune et déjà marketé
Le "printemps arabe" n'a que quelques mois, il est déjà réutilisé dans le marketing et les campagnes de publicité. Souvent pour le pire, comme l'analyse, exemples à l'appui, le chercheur Yves Gonzalez-Quijano en poste à Damas.
Écrire pour ce Carnet est loin d’être facile alors qu’il se déroule des choses autrement plus graves dans la région. C’est particulièrement vrai au regard de ce qui se passe actuellement en Syrie. En cette veille de ramadan [ndlr : article initialement publié le 31 juillet], karîm (généreux, magnanime…) selon la formule consacrée, l’ironie n’est plus exactement de saison…
Avec le Printemps arabe©, les publicitaires prolongent encore un peu plus « l’extension du domaine de la lutte » et, fort logiquement en définitive, se mettent à vendre la révolution arabe à toutes les sauces possibles. C’est dans son blog que Ted Swedenburg a publié, il y a un mois environ, un billet sobrement intitulé Coke & Pepsi and the Egyptian Revolution sur les nouvelles publicités pour Coca et Pepsi. Dans la droite ligne de leur éternelle rivalité commerciale (voir ce billet sur la manière dont ils embrigadent les vedettes de la chanson arabe), les deux géants américains du soda chantent aujourd’hui à qui mieux mieux les charmes de la révolution arabe.
Pepsi pour commencer (30 s), avec ces jeunes des classes moyennes (forcément révolutionnaires) qui ont tous des idées en surfant avec la technologie moderne (ordis et téléphones portables) et qui, littéralement parlant, « redonnent des couleurs à la ville ». Un peu subliminale, l’allusion à la révolution du 25 janvier n’est pas bien loin : introduit par l’image d’un journaliste à la télé sur fond de paysage urbain, le lien avec les événements est implicite avec l’image, presque en fin de clip, du personnage initial saluant depuis son balcon un rassemblement qui pourrait bien être une révolution (qui ne dit pas tout à fait son nom malgré tout)…
Coca (60 s) aussi file la métaphore des couleurs, avec ce récit du centre-ville du Caire qui sort peu à peu de la grisaille pour que « demain soit plus beau » (c’est le slogan final). Là encore, c’est avec la fin du clip que l’évocation des événements politiques se fait plus précise, lorsque, sur fond de paroles où il est question de demander l’impossible, la caméra dévoile la désormais incontournable place Tahrir.
Bien sûr, tout est beau et sans violence dans le monde enchanté de la pub ! Bien sûr, c’est loin d’être la première fois que la « réclame » pille l’imaginaire politique révolutionnaire en général et la contre-culture en particulier (Ted Swedenburg rappelle ainsi que Coca et Pepsi ont naguère accommodé à leur sauce l’underground américain des années 1960).
La révolution, presque un business forum
Mais au moins, dans l’exemple américain, la récupération a-t-elle eu lieu a posteriori. On peut être ainsi quelque peu choqué à découvrir, dans le centre de Beyrouth en avril, alors que le printemps arabe n’était pas si loin, cette publicité qui associe la participation à un business forum à une manifestation de rue…
Mais on est franchement atterré quand on découvre dans le centre de la capitale de la Syrie cette publicité qui fait sans doute allusion aux codes vestimentaires des supporters de foot mais qui fait surtout irrésistiblement penser aux manifestants pro-régimes, alors que les « événements » (comme on disait en métropole autrefois lorsqu’il s’agissait de l’Algérie) ont vraisemblablement déjà entraîné la mort de près de deux mille personnes…
Plus bête que méchant en revanche, ce clip du jeune chanteur libanais Sijal Hachem pour sa chanson Khalas (la version libanaise du kifaya égyptien) où l’on voit de beaux mâles derrière des barbelés enflammer, masque sur le nez, des pneus. De superbes créatures hésitent – comme l’armée égyptienne ? – entre répression et séduction !… Sommet de la métaphore érotique (volontaire on l’espère), le puissant jet de la lance à eau… qui noie l’hybris des manifestants ! Le tout se termine par un interrogatoire… troublant (surtout quand on pense aux méthodes trop souvent utilisées dans la région…)
Les noces de la publicité et de la politique ne sont pas si anciennes que cela dans le monde arabe (2005 est sans doute une date repère : voir ce billet). Aujourd’hui encore, plus d’un régime (par exemple en Syrie : voir ces deux billets, 1 et 2) hésite entre la bonne vieille propagande de papa et la communication politique moderne et ses spin doctors. Patrie d’une bonne partie des « créatifs » de la publicité arabe et base régionale d’un certain nombre de grandes agences internationales, le Liban a été l’un des premiers terrains où des forces politiques opposées (en l’occurrence les camps du 7 8 (!) et du 14 mars) se sont clairement livré bataille par campagnes médiatiques interposées (voir ce billet).
Et le Liban est encore le lieu où cette communication politique a été non seulement tournée en dérision (sur ce plan, on trouverait facilement d’autres exemples ailleurs), mais également, « retournée » tout court, c’est-à -dire déviée de ses objectifs politiques pour être rendue à ses fins premières, faire de la réclame pour des produits de consommation (voir, dans ce billet, les réemplois publicitaires de la campagne J’aime la vie).
Comme le suggère l’auteur(e) d’un article à ce sujet sur le site Muslimah Media Watch, la révolution du Printemps arabe est non seulement télévisée, mais aussi marchandisée et sexualisée !
Article initialement publié sur Culture et Politique arabes sous le titre : “Dieu que la révolution est jolie ! Le printemps arabe© est en vente…”
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