Plainte contre Amesys en Libye
OWNI a obtenu copie de la plainte déposée par l'association Sherpa dans l'affaire Amesys, cette entreprise informatique française impliquée en Libye. Une commission d'enquête parlementaire pourrait suivre.
Dans un courrier adressé le 12 septembre au Procureur de la République de Paris, l’association Sherpa annonce le dépôt d’une plainte contre X dans l’affaire Amesys, du nom de cette société française qui a vendu des technologies de surveillance à la Libye du colonel Kadhafi en 2007. Le document, dont OWNI s’est procuré une copie, mentionne les articles 226 et R226 du Code Pénal, relatifs au développement, à la vente et à l’exportation de “procédés pouvant porter atteinte à l’intimité et à la vie privée d’autrui”. Dans son courrier, William Bourdon, président de Sherpa, déplore un court-circuitage:
A ce jour, aucune autorisation du gouvernement n’aurait été délivrée afin de permettre à la société AMESYS de vendre le système de surveillance susmentionné. C’est pour toutes ces raisons, Monsieur le Procureur de la République, que j’ai l’honneur, au nom de l’association SHERPA, de déposer plainte entre vos mains pour les faits dénoncés ci-avant, faits prévus et réprimés par les articles 226 et R 226 du Code Pénal.
L’ONG rappelle des faits qui accablent Amesys:
Au début du mois de septembre 2011, des reporters du Wall Street Journal et de la BBC découvrirent en Libye, dans un des quartiers généraux du colonel KADHAFI, un important dispositif de surveillance à distance, destiné à traquer les forces rebelles. Or, les recherches concernant la provenance de cet important système de surveillance a révélé que la société l’ayant vendu et mis en place est française : il s’agit de la société Amesys, filiale de la société BULL, spécialisée dans l’informatique professionnelle.
Interrogé par Libération, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) précise que les produits vendus par Amesys n’avaient pas besoin de passer devant une commission CIEEMG, pré-requis indispensable à l’exportation de matériel de guerre. Sibyllin, un porte-parole déclare:
Ce que la boîte en fait à l’international ne nous regarde pas.
Joint par OWNI, le SGDSN précise pourtant que le système Eagle, qui permet de surveiller les télécommunications à l’échelle d’un pays, ne figure ni dans la liste française des “matériels soumis à une procédure spéciale d’exportation”, ni dans celle – européenne – des “biens et technologies à usage dual”. La transaction aurait donc été effectuée en conformité avec la loi. En creux, Sherpa part donc en guerre contre des textes qui auraient oublié de prendre en compte le progrès technique de certains outils. Et l’association n’est pas seule.
Commission d’enquête parlementaire
Christian Paul, député PS de la Nièvre et conseiller de Martine Aubry sur les questions numériques, avait déjà évoqué Amesys dans une question écrite adressée au ministère des Affaires étrangères. A son initiative, une commission d’enquête parlementaire pourrait désormais voir le jour. Le parlementaire a d’ores et déjà envoyé un courrier au président du groupe socialiste à l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault, afin de proposer l’adoption d’une résolution à la majorité en séance plénière. D’après Christian Paul, celle-ci pourrait être soumise au vote “dès la fin du mois de septembre, à la reprise de la session parlementaire”. Son credo: “Surveiller les surveillants”1.
Pour le député, qui milite pour un renforcement des pouvoirs de la CNIL, “le sujet des libertés numériques ne fait que commencer”, et une commission devrait faire toute la lumière sur trois points:
- Le niveau de l’engagement français dans le “service après-vente”, évoqué par Le Figaro le 6 septembre.
- La vente à d’autres pays.
- L’usage hexagonal de ces technologies, puisque Le Figaro nous apprenait également qu”‘une version du logiciel Eagle, conforme à la loi, [était] utilisée en France depuis 2009.”
Conscient qu’il devra obtenir l’assentiment d’une partie du groupe UMP, Christian Paul compte sur une actualité chargée et troublée, “qui pourrait voir trois commissions d’enquêtes s’ouvrir chaque semaine”. Des écoutes de journalistes du Monde à la mise en examen de Ziad Takieddine (l’omnipotent intermédiaire libanais qui a également pris sa part dans le contrat Amesys), les occasions ne manquent pas. Après tout, Claude Guéant lui-même reconnaît le “vide législatif” autour des interceptions légales.
Retrouvez ici tous nos articles sur les affaires d’Amesys en Libye.
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Voir aussi « Gorge profonde: le mode d’emploi » et « Petit manuel de contre-espionnage informatique ».
Crédits photo: Flickr CC tienvijftien
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