Un sous-marin de l’armement
On connaissait Heine, la société chargée de distribuer les commissions en marge des contrats d’armement du dossier Karachi. De l’histoire ancienne. Ses activités ont été reprises par Tecnomar, une discrète structure basée en Belgique, dont OWNI publie les procès-verbaux.
Elle s’appelle Tecnomar et c’est une société de droit belge. Selon les divers documents que nous nous sommes procurés (voir plus bas), elle est dirigée par des cadres de l’armement français de premier plan. Pour plusieurs acteurs du dossier Karachi, ce serait la boîte noire la plus récente pour continuer de payer des commissions sur les contrats d’armement de DCNS, le géant français spécialisé dans la marine de guerre (détenu par l’État et Thales).
À les croire, Tecnomar distribuerait des honoraires en marge des ventes de bâtiments de guerre à l’étranger – vedettes furtives ou sous-marins – comme le faisaient autrefois d’autres sociétés luxembourgeoises, déjà identifiées dans le dossier Karachi.
L’acte d’enregistrement de Tecnomar montre bien qu’il s’agit d’une société fondée par Armaris, l’entreprise commune à DCNS et Thales pour gérer les exportations de leurs matériels de guerre. Il est établi au 30 octobre 2003. Et ce sont les propres responsables d’Armaris qui prennent alors en charge la direction de Tecnomar ; Pierre Legros et Alain Bovis.
Commissions occultes
Récemment, ce nom de Tecnomar est apparu dans le courrier d’un ancien cadre financier de DCNS, Jean-Marie Boivin, longtemps chargé de payer les prestations des fameux intermédiaires – capables de faire aboutir ou capoter un contrat.
Dans une lettre de 2008, mais révélée la semaine dernière seulement par Le Nouvel Obs, Jean-Marie Boivin désigne bien Tecnomar comme le successeur de la société Heine. Cette dernière est une vieille connaissance pour les policiers de la Division nationale des investigations financières (DNIF), travaillant sur les dossiers de corruption découverts au gré de l’enquête sur l’attentat de Karachi. La société Heine fut l’une des structures jadis utilisées pour verser les commissions occultes lors de la vente par le gouvernement Balladur de trois sous-marins au Pakistan, en septembre 1994.
Cependant, depuis l’entrée en vigueur de la Convention OCDE contre la corruption, au mois de septembre 2000, interdisant aux sociétés de mettre de l’argent dans la poche des fonctionnaires ou des militaires étrangers pour arranger des accords commerciaux, ce genre de coquille planquée en dehors de l’hexagone n’a plus de raison d’exister. Si des honoraires sont payés pour des interventions irréprochables, le paiement devrait être effectué par le siège social établi en France.
Dans un mémorandum remis à la justice, au détour d’une démonstration, un ancien responsable financier du groupe, Gérard-Philippe Menayas, levait les ambiguïtés sur le sujet. Évoquant d’autres petites sociétés luxembourgeoises spécialisées dans les commissions, en l’occurrence Gifen et Eurolux – sorte de petites sœurs de Heine – il affirmait :
Après discussions avec les services compétents de THALES (actionnaire à 50 % d’ARMARIS), le binôme EUROLUX / GIFEN a été remplacé par une société filiale à 100 % d’ARMARIS, dénommée TECNOMAR, domiciliée à Ixelles en Belgique.
Dans le contexte un rien crispé du dossier Karachi, l’apparition de cette société Tecnomar rend donc nerveux en hauts lieux. D’autant que les procès-verbaux de son conseil d’administration dénotent une activité ininterrompue, de 2003 jusqu’à aujourd’hui. Qu’elle que soit la période politique. Avec, selon les années, des personnalités importantes de l’armement qui se retrouvent à sa tête.
Photos et illustrations par Eifon [cc-by-nc-sa] et Mateus [cc-by-nc] via Flickr
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