Hollande au mot près
Ses outils d'analyse sémantique ouverts en onglet, OWNI a scruté le discours du Bourget de François Hollande pour y déchiffrer le nouvel ego du candidat socialiste, ses inspirations jospiniennes et sarkozystes... et le vrai objectif d'un discours faussement programmatique.
Le discours du Bourget du candidat socialiste révèle un nouveau François Hollande plus sûr de lui mais aussi perché dans la bulle d’un rêve français décroché de l’actualité. En comparant cette dernière allocution à son discours d’investiture, l’émergence de l’ego éclate dans les nombres : le “je” qui ne représentait que 26,3% des pronoms lors de la première intervention du candidat socialiste comptait le dimanche 22 janvier pour 45,2% des pronoms, écrasant le “nous” (15%) et le “il” (14%). Le candidat s’avance seul devant les “Français” (38 occurrences) et monte sur scène. Faute de descendre dans le public.
Un “rêve français” un peu cotonneux
S’il fait une référence furtive au lieu de son discours (en une phrase vantant le symbole de la Seine-Saint-Denis par rapport aux valeurs du Parti socialiste), c’est d’abord sur sa propre histoire qu’il fonde son propos :
La Gauche, je l’ai choisie, je l’ai aimée, je l’ai rêvée avec François Mitterrand dans la conquête. La Gauche, je l’ai défendue fermement dans ses réalisations : celles de 1981, celles de 1988. La Gauche, je l’ai servie comme élu de la République, comme député. La Gauche, je l’ai dirigée avec Lionel Jospin, quand nous gouvernions ensemble le pays avec honneur et j’en revendique les avancées. Aujourd’hui, c’est moi qui vous représente.
Les thèmes de cette mini biographie (la Résistance en Corrèze, les responsabilités à la tête de l’État, le rejet de l’argent…) sont ceux qui se répéteront dans la suite du texte pour structurer le propos. Le “storytelling” est celui du candidat, qui s’extrait presque de l’histoire récente pour centrer le propos sur ses solutions : les sommets du G20 sont évoqués sans en préciser le lieu, la crise financière pointée sans qu’un nom de banque n’apparaisse, la désindustrialisation ne vient en contrepoint d’aucune délocalisation emblématique… A l’inverse de Marine Le Pen qui évoquait Gandrange à Metz pour évoquer la crise de l’industrie ou de Jean-Luc Mélenchon qui pointait Mario Monti dans son discours de Bordeaux pour critiquer les arbitrages européens face à la crise de la dette.
L’horizon pointé par le candidat socialiste est résumé par la formule du “rêve français”. Idée déjà avancée par Nicolas Sarkozy en 2007, elle est passée de la couverture du dernier ouvrage d’Arnaud Montebourg (Des idées et des rêves, paru chez Flammarion en 2010) à celle du livre d’entretiens de François Hollande lui-même. Ce “rêve français” s’ancre moins dans dans une tradition politique hexagonale que dans la rhétorique du discours éponyme de Martin Luther King. Et c’est au militant des droits civiques américains qu’il emprunte le rythme du paragraphe où il déploît ce “beau rêve, le rêve que tout au long des siècles, depuis la Révolution française, les citoyens ont caressé, ont porté.” :
Je vous le dis ici et maintenant, mes amis : même si nous devons affronter des difficultés aujourd’hui et demain, je fais pourtant un rêve. C’est un rêve profondément ancré dans le rêve américain. Je rêve que, un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo : “Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux”.
Au lieu de l’esclavage et des collines de Géorgie, Hollande y glisse ses références et déroule en quelques phrases un historique des idéaux républicains, de la IIIè République à l’élection de François Mitterrand en 1981. Mais là encore, rien qui ne chute sur le présent de la situation. “Un discours qui aurait pu être prononcé il y a 5, 10 ou 20 ans”, comme le notait l’éditorialiste Dominique Seux sur France inter lundi 23 janvier au matin.
Jospin pour “présider” et Royal pour “égaliser”
Ce ton intemporel permet à Hollande d’aller piocher discrètement chez ses prédécesseurs. Passés les verbes courants et les auxiliaires, “présider” revient en échos pendant tout le début de son intervention et 23 fois au total au fil du discours :
Présider la République, c’est refuser que tout procède d’un seul homme, d’un seul raisonnement, d’un seul parti, qui risque d’ailleurs de devenir un clan. Présider la République, c’est élargir les droits du Parlement.
Un refrain déjà chanté par Lionel Jospin en 2002, qui avait fait de “Présider autrement” son slogan de campagne. Un leitmotiv qu’il avait notamment développé lors de son premier grand meeting le 7 mars 2002 à Lille sur le même rythme :
Présider autrement, ce n’est pas un slogan, même si c’est aussi un slogan, ce n’est pas une question institutionnelle, même s’il y aura certaines réformes institutionnelles à proposer, et notamment le changement du statut judiciaire du Président de la République. Présider autrement, c’est le résumé d’une démarche politique. C’est certainement présider autrement que le président sortant : c’est-à -dire faire des choix, tenir ses engagements, c’est savoir tirer des leçons y compris publiquement d’un succès que nous avons rencontré, c’est ne pas se résigner au déclin du politique, c’est donner du sens au destin collectif de notre pays, redonner aussi sa place à l’esprit de responsabilité à tous les niveaux.
A ce “présider”, Hollande accole presque systématiquement la “République”, deuxième mot le plus présent avec 43 occurrences, derrière la France (présent 55 fois). Un martelage dont nous n’avons trouvé d’égal que chez le président de la République lui-même : à la tribune de la Porte de Versailles, meeting d’investiture du candidat de l’UMP le 14 janvier 2007, c’est 52 fois que la République est revenue dans la bouche de Nicolas Sarkozy.
Mais, contrairement à son adversaire désigné, chez qui le “travail” et la “politique” surgissaient comme des mots phares, Hollande s’appesantit sur des valeurs plutôt que des thèmes : la justice (17 occurrences), la gauche (15 fois), la confiance (11 fois)… mais surtout l’égalité, qui revient à 38 reprises, rappelant le fil rouge du discours de Ségolène Royal lors de son meeting de Villepinte le 11 février 2007.
Un exercice de style… et de maths ?
Si les citations extraites de son intervention par les médias ont coloré le propos général, en concentrant notamment l’analyse sur la crise financière, avec l’emblématique “mon véritable adversaire [...] c’est le monde de la finance”, les sujets de fond sont en réalité plus effleurés qu’approfondis. Loin de proposer une plate-forme complète, le texte égraine quelques sujets sociaux et économiques clefs sans les mettre en cohérence les uns avec les autres.
Passés les mots-forces (rêve, égalité et République), les thèmes de fond ne se voient accorder qu’un ou deux paragraphes chacun : le logement (10 occurrences) est tout juste plus présent que l’emploi, la ville, la finance (9 fois chacun) tandis que les quartiers, le droit et l’enfant surgissent à huit reprises chacun. La “crise”, comme la “retraite” ou le “chômage” n’apparaissent que quatre ou cinq fois.
Le candidat essaime pourtant tout au long de son discours les propositions : dès l’entrée en matière, il promet s’il est élu l’inscription de la loi de 1905 dans la Constitution et enchaîne quelques minutes plus tard sur une mesure de rigueur par laquelle il réduirait de 30% les indemnités du Président et des membres du gouvernement. Entre temps, Hollande s’envole en conjecture sur la fonction qui lui incomberait avant de repartir sur les routes du Limousin raconter son expérience d’élu de terrain.
Plus clairs, les axes de campagne du candidat n’en sont pas pour autant révélés : du service public de l’eau aux retraites, le discours du Bourget ne fait que montrer les bouts de chair qui manquaient pour suggérer le corps même du programme. De la même manière qu’il esquisse la silhouette de la personnalité du candidat sans en remplir les contours. Le texte offre finalement aux journalistes impatients et aux militants inquiets de quoi attendre jusqu’à la présentation officielle de programme jeudi. A cet égard, ce discours est une bande annonce bien réalisée.
Illustration : Marion Boucharlat pour OWNI.fr.
Image de Une via la galerie Flickr du Parti Socialiste [cc-by-nc-nd]
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