Syriens aux frontières de l’info
À 30 km de la frontière syrienne, rencontre avec des Syriens qui vivent l'ordinateur et l'arme au pied.
Ils sont attablés à la terrasse d’un café à Antakya, l’antique Antioche. Ils fument des chichas, le nez plongé dans leur iPad et autres ordinateurs. Bienvenu dans le cercle des activistes de la révolution syrienne en Turquie.
Ces Syriens sont de toutes les origines régionales et confessionnelles. Et ils se battent aussi sur la toile. Même addiction pour les plus pauvres d’entre eux qui sont dans les camps à la frontière syrienne. Internet est la ligne de vie, permettant de suivre et de transmettre des informations.
Tel Houssam trente-deux ans, aujourd’hui journaliste et autrefois professeur d’arabe quand Damas était le centre des arabisants occidentaux de tout poil. Il a réussi à fuir la Syrie au début de la révolte à force de ruses et de pots de vins. Il était à Berlin il y a peu. Il raconte :
Cela fait six mois que je ne dors pas, je suis tout le temps devant mon Mac. J’ai le maximum de fenêtres ouvertes, je suis sur Facebook et Skype et je traque les informations sur les sites des journaux arabes, j’essaye de recouper les nouvelles avec des amis, prendre des nouvelles des uns et des autres. Pour ceux qui sont restés en Syrie, je coupe totalement le contact par internet, ce serait trop dangereux pour tout le monde.
Il est désormais à Antakya, au plus près de la Syrie, qu’il rêve tous les jours de rejoindre. Toutes les sollicitations sur la toile sont loin d’être innocentes ou anodines. Récemment, une personne se faisant passer pour un général américain et connaissant beaucoup de détails sur sa vie, lui a demandé de l’assistance via Skype. Il a tout de suite coupé le contact.
Le petit Ayman va à l’école en Turquie, il est parti de Damas avec ses parents lorsque son oncle a fait défection. En effet, en Syrie, la faute d’un seul sera assumée par tous sans distinction d’âge. Il a de la chance Ayman, il vit dans une maison bien chauffée dans un village de la province du Hatay et pas dans un camp. Comme tous les Syriens que nous avons rencontrés, il se réveille, prend son petit déjeuner après son père selon la tradition et ensuite se connecte avant d’aller à l’école. Et Ayman, comme un grand regarde les sites de nouvelles, pour voir ce qu’il se passe en Syrie, à travers des vidéos sur Youtube ou sur sa page Facebook, où les groupes qui soutiennent la révolution ont pullulé.
Redouane nous accueille à la porte du camp de réfugiés de Boçhin, avec les yeux au fond de la tête. C’est un avocat de la région d’Idlib, dans le Djebel Zaouia. Il est parti il y a bientôt dix mois et maintenant il tente d’organiser la vie dans le camp, de faire rentrer des journalistes :
Pardon, je n’ai pas dormi, j’ai passé le nuit sur internet, dans le camp, la connexion est très mauvaise et lente (…) C’est ironique de prendre des nouvelles par Internet, alors que je peux voir [la Syrie] à l’œil nu.
Surtout, il s’ennuie ferme, même s’il peut sortir, mais à quoi bon, il n’a pas d’argent. Et la Syrie est de l’autre côté des barbelés, toute proche. Même si les Syriens malgré les terribles épreuves qu’ils traversent n’ont pas perdu leur sens de l’humour.
Il y a une catégorie particulièrement sensible “d’invités” syriens comme les appellent officiellement les Turcs, ce sont les officiers libres. Ils sont dans un camp sévèrement gardé depuis la disparition du lieutenant-colonel Hussein Armouche, fondateur de l’armée libre syrienne. Son sort est incertain. Sans doute enlevé par les les services syriens, personne ne sait ce qu’il lui est arrivé.
Dans l’armée syrienne libre, selon des témoins, on passe aussi ses soirées devant Internet, à fumer des cigarettes à la chaine et à discuter jusqu’au petit matin, ils aimeraient bien un peu d’action, mais pour le moment c’est l’attente forcée.
La Syrie était l’un des pays les plus répressifs au monde en termes de liberté sur la toile. Naguère, on a salué comme un grand exemple d’ouverture de Bashar Al Assad, l’autorisation de se connecter sur Facebook. Après avoir montré sa carte d’identité si l’on souhaitait se connecter depuis un café internet.
Ce qui explique peut-être pourquoi un grand nombre d’activistes se sont fait arrêtés dans des cafés internet. Toujours de la même façon :“On est tranquillement en train de surfer, et les mukhabarat rentrent sans un mot, nous tirent de notre siège et vérifient tout sur l’ordinateur, par chance je n’avais rien, j’étais juste en contact avec la BBC sur Skype” nous explique Houssam, qui a dû passer quelques temps en prison pour cet écart, avant de s’enfuir de Syrie.
Pour les affaires plus militaires, il y a aussi le Thuraya (du nom de cette société de téléphonie par satellite, basée aux Émirats Arabes Unis), l’outil de communication a priori difficile à brouiller ou à écouter pour services syriens. Aussi indispensable pour mener une révolution que la Kalashnikov de nos jours. A coup sûr son possesseur a quelque autorité sur le terrain.
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