Bûcher diplomatique à Téhéran
Selon des informations inédites recueillies par OWNI, au mois de décembre, la France a ordonné la destruction des archives diplomatiques de son ambassade de Téhéran. Paris entendait se prémunir contre toute attaque, comme celle conduite deux jours plus tôt contre le Royaume-Uni. Récit d'une semaine brûlante, autour de la piscine de l'ambassadeur.
Pendant près d’une semaine, début décembre, une fumée noire s’échappait de l’ambassade de France en Iran. Des années d’archives diplomatiques ont brûlé dans la piscine de l’ambassade, à l’initiative de la représentation française (comme le montrent les photos que nous avons recueillies). La mesure se voulait préventive, deux jours après la mise à sac de sites diplomatiques britanniques à Téhéran.
Le 29 novembre, des miliciens affiliés au régime, prennent d’assaut deux enclaves diplomatiques de la Grande-Bretagne. La foule, de taille modeste, saccage les lieux, brûle un portrait de la reine et hisse un drapeau de la République islamique. L’épisode rappelle immédiatement en mémoire la prise d’otage du personnel de l’ambassade américaine, pendant la révolution de 1979. Les chancelleries européennes condamnent à l’unisson cette attaque “scandaleuse”, selon les mots du président français, Nicolas Sarkozy.
Le 30 novembre, le lendemain donc, un email est envoyé aux ressortissants français par l’ambassade :
Par mesure de prudence, nous recommandons aux ressortissants français en Iran de rester à leur domicile dans la mesure du possible et en tout état de cause d’adopter un comportement discret et prudent s’ils sont amenés à sortir dans les lieux publics.
Dans le même temps, le Quai d’Orsay rappelle son ambassadeur en consultation,“compte tenu de cette violation flagrante et inacceptable de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et de la gravité des violences”. Plusieurs membres de l’Union européenne font de même, notamment l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas.
Tensions récurrentes
Paris craint d’être le prochain sur la liste, en raison des tensions fortes qui opposent la France et l’Iran. Depuis le début de sa présidence, Nicolas Sarkozy s’est fait le chantre d’une politique dure envers l’Iran, débordant même le président Obama et sa politique de la main tendue inaugurée aux premiers jours de son mandat, en 2009.
La crise de décembre dernier n’est pas la première, mais son intensité est nouvelle. Craignant pour la sécurité de son ambassade, décision est prise au soir du 1er décembre de supprimer les archives diplomatiques. Le personnel de l’ambassade est réquisitionné. L’ambassadeur de France, Bruno Foucher, décolle dans la nuit pour Paris, officiellement rappelé en consultation. Avant même qu’il ne soit parvenu à destination, un télégramme diplomatique arrive à Téhéran : les services culturels, économiques et militaires doivent fermer et le personnel être rapatrié sous huitaine.
Le lendemain, tous les agents du corps diplomatique sont convoqués à l’ambassade. Renaud Salins, Premier conseiller et chargé d’affaires en l’absence de l’ambassadeur, lit le télégramme diplomatique au personnel rassemblé. Ils doivent quitter le pays d’ici une semaine.
Piscine
Ils partent sept jours plus tard, dans la nuit entre le jeudi 8 décembre et vendredi 9 décembre. Entre temps, la piscine de l’ambassade, en face de la chancellerie, fait office d’incinérateur. Pendant une semaine brûlent les archives de l’ensemble des services diplomatiques. Le consulat détruit tout, sauf les documents les plus récents. De même pour le service culturel, situé dans le Nord de la ville.
De très nombreux aller-retour entre le Nord et le centre de la ville, où est située l’ambassade, permettent de vider les demandes de bourses d’étudiants iraniens, les documents relatifs à des événements culturels, et les télégrammes diplomatiques reçus. Officiellement, il s’agit de protéger les Iraniens en cas d’attaque. Le régime, paranoïaque dès qu’il s’agit de contact avec l’étranger, pourrait reprocher à des citoyens d’avoir été proches des représentations diplomatiques étrangères.
Une partie des archives échappe à la mesure de destruction. Ces documents sont placés dans un container diplomatique scellé, puis expédié dans l’hexagone. Seule la France prend une mesure d’une telle ampleur. L’ambassade italienne, située non loin de l’ambassade de France, s’enquiert de savoir s’ils disposeraient d’informations que les Italiens n’auraient pas, et qui justifierait la destruction de ces archives…
Convoi diplomatique
Jeudi soir, soir du départ, une nouvelle réception est organisée à l’ambassade. Le personnel sur le départ est réuni. Lecture est faite d’un message d’Alain Juppé, ministre français des affaires étrangères.
Condamnant un “comportement injustifiable” de la part des manifestants responsables de l’attaque des sites britanniques, Alain Juppé annonce la “fermeture temporaire de plusieurs services de l’ambassade”. Il s’agit de ne pas “exposer inutilement” le personnel non indispensable et d’éviter qu’ils ne deviennent “des cibles du régime.”
A 23h, jeudi 8 décembre, un convoi de plusieurs voitures quittent l’ambassade pour l’aéroport. Personnels de la mission économique, de la mission militaire, des services culturels et de l’école française s’envolent dans la nuit. Dans un passé récent, les relations diplomatiques entre les deux pays ont connu des tensions. Ainsi, en juin 2009, la République islamique traversait une crise inédite depuis la révolution, liée à la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad. Dans ce contexte troublé, l’Iran avait arrêté une ressortissante française, lectrice à l’université technique d’Ispahan. Gardée six semaines en détention, elle avait été placée en résidence surveillée le 16 août, avant d’être libérée le 16 mai 2010.
Laisser un commentaire