Hicheur bon terroriste confirmé
Le physicien du Cern accusé d'activités terroristes, Adlène Hicheur, a comparu jeudi et vendredi devant le tribunal correctionnel de Paris. Ses défenseurs comptaient sur un procès équitable après deux ans d'une instruction jugée très à charge. Le tribunal leur a donné tort. Récit d'un procès, à charge.
Vendredi soir, 22h45. Devant la salle d’audience de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris, les avocats ont retiré leur robe. Une caméra éclaire un visage fatigué. Quelques micros enregistrent les dernières réactions. Le procès d’Adlène Hicheur vient de prendre fin après deux longues après-midis d’audience dans une petite salle, bondée, du palais de justice. Six ans ferme ont été requis.
Journalistes et soutiens étaient venus en nombre pour suivre le procès du physicien du Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern), arrêté le 8 octobre 2009 et suspecté d’avoir projeté des attentats sur le sol français en lien avec Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Tout au long de l’instruction, longue de deux ans pendant lesquels Adlène Hicheur a été maintenu en détention provisoire, ses défenseurs ont dénoncé une procédure à charge.
Le procès a confirmé leur crainte. Lors d’une conférence de presse mi-mars, l’avocat du physicien, Me Baudouin, s’en était remis à l’impartialité du tribunal, honorable porte de sortie pour un dossier qu’il a qualifié sans cesse de “noyé”, voire ficelé. Pendant les deux demi-journées d’audience, seule la Présidente, Jacqueline Rebeyrotte, a pris la parole parmi les trois magistrats. Parfois pour poser des questions précises, souvent pour demander “une réaction” au prévenu après avoir longuement lu des pièces du dossier.
Les défenseurs ont été très surpris par la nature de certaines de ces pièces lues, comme cette note de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), dont la Présidente n’a rappelé la nature qu’à la demande insistante des défenseurs. Ou encore un article paru dans un journal algérien dont “les liens entre certains journalistes et les services de renseignement sont connus” a fait remarquer Me Baudouin.
L’air grave
Jeudi 29 mars, à 13h45, la première audience s’ouvre. Adlène Hicheur arrive dans le box des accusés, appuyé sur une béquille, flottant un peu dans un costume beige, rasé de près, le visage aminci. L’air grave. Il encourt jusqu’à 10 ans de prison pour association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste. La Présidente commence une liste à la Prévert de ses diplômes en physique. Mention bien, mention très bien. Jusqu’à un doctorat obtenu en mai 2003.
A la barre, Adlène Hicheur reprend avec force de détails chaque point énoncé, avec la volonté de montrer les failles de l’accusation. Il le fera pendant toute la durée du procès. Il lui est principalement reproché d’avoir échangé des messages sur Internet avec Phoenix Shadow et soleilde36@yahoo.fr, que les services de renseignement français affirment avoir identifié en la personne de Moustapha Debchi, présenté comme un cadre d’AQMI alors dans le maquis en Algérie.
“Pourquoi rechercher la clandestinité dans ces échanges ?” interroge la Présidente, se référant aux rapports des enquêteurs. “Utiliser un pseudonyme sur Internet n’a rien à voir avec la clandestinité” répond Adlène Hicheur. “Certes, mais pourquoi avoir recours à un logiciel de cryptage, en l’espèce Ansar El Mojahedeen ?” rétorque la magistrate. “Il était très utilisé sur Al-Falloujah [un forum présenté comme "diffuseur de la propagande d'Al-Qaida" par les enquêteurs, NDLR]. Il était utilisé pour les discussions politiques un peu tangentes à propos d’organisations politiques ou politico-militaires” se défend Adlène Hicheur.
Des discussions politiques “tangentes”. La Présidente s’émeut de l’expression lorsque Adlène Hicheur l’emploie à nouveau pour qualifier les échanges de messages avec soleilde36@yahoo.fr. Le 24 février, celui-ci lui écrit :
Je voudrais (en tant que pauvre esclave) exécuter des opérations en France et il nous manque les amoureux de HOUR prêts à ceci (…) La seule condition que les demandeurs du martyre soit des personnes sérieux.
Et Adlène Hicheur de répondre une semaine plus tard :
Mon frère, tu ne peux pas savoir combien m’a honoré et à quel point j’étais heureux de ta proposition, que Dieu te bénisse. Mais je vais répliquer par les deux points suivants.
S’en suit un développement d’Adlène Hicheur sur sa vision du jihad avant de conclure :
J’espère te faire comprendre que je ne suis lâche mais j’imagine un cadre général de l’affaire pour améliorer les compétences pour atteindre les objets.
En somme, résume la présidente, soleilde36 lui propose des attentats suicides et Adlène Hicheur ne cesse pas la discussion :
– Comment un homme de votre niveau peut-il continuer à discuter avec quelqu’un comme soleil36 après ses propositions ?
– J’ai reconnu une attitude tangente.
– Le mot est faible.
– Elle [mon attitude] m’a déjà coûté 30 mois de prison.
Interrogé par son avocat, il reconnait alors que “ces propos sont de nature à inquiéter”, comme il l’avait reconnu devant le magistrat instructeur dit-il. Me Baudouin rappelle l’opposition d’Adlène Hicheur aux attentats suicides, exprimée le 10 mai 2010 devant le juge d’instruction. La discussion s’est emballée, plaident la défense et son client, rappelant l’inactivité d’Adlène Hicheur à cette période en raison de problèmes de santé qui l’ont conduit à une hospitalisation.
“Totale duplicité”
Une position qui ne convainc guère le Procureur de la République, Guillaume Portenseigne, familier et fin connaisseur des affaires jihadistes selon plusieurs avocats. Dans son réquisitoire, il dénonce la “totale duplicité du prévenu” et lui reproche de n’avoir jamais répondu aux questions durant le procès. A plusieurs reprises, il lui demande de qualifier ses croyances :
– Êtes-vous un musulman salafiste jihadiste ?
– Je suis musulman, je n’ai pas de chapelle.
– Êtes-vous favorable au jihad armé ?
– Je comprends que des gens résistent à une occupation.
Tentatives d’esquiver des réponses claires selon le Procureur, refus des “istes” pour Adlène Hicheur qui ironise sur le risque de ressortir atteint d’une “istite aigüe”. Usant d’expressions qui le faisaient ressembler à l’avocat de lui-même, Adlène Hicheur a dénoncé successivement “les dégueulasseries de haut niveau” qui entachent l’enquête et la taille du chapeau qu’on essayait de faire porter “plus une plate-forme qu’un sombrero”.
De même pour dénoncer l’association faite entre le pseudo Pheonix Shadow ou l’adresse soleilde36@yahoo.fr et Moustapha Debchi : “On me présente une équation à deux inconnus a et x, et on me demande de dire que a = x.”
Pour la défense, aucun élément ne permet d’affirmer que Moustapha Debchi était bien Pheonix Shadow. Tout au long du procès, les avocats de la défense ont essayé de reprendre la Présidente lorsqu’elle utilisait le nom de Moustapha Debchi comme expéditeur des messages sans plus de précautions.
Le procès verbal de l’audition de Debchi en Algérie, au terme d’une commission rogatoire internationale, pose plus de questions qu’il n’offre de réponses selon Me Baudouin. Dans sa plaidoirie, il a rappelé sa connaissance du fonctionnement de la justice algérienne étant avocat dans l’affaire des moines de Tibhirine.
Je sais que l’Algérie n’est pas un État de droit. Il ne s’agit pas d’une coopération entre justice française et justice algérienne, mais entre services français et services algériens.
Jihad médiatique
Dans son réquisitoire, vendredi soir, le Procureur a réfuté les accusations d’une quelconque instrumentalisation politique du cas d’Adlène Hicheur. “Il n’est pas un martyr de la lutte antiterroriste” a-t-il affirmé. Avec, au passage, un coup de griffe contre “les commentaires médiatiques qui relaient la parole de la défense”. Et de tonner :
La défense n’a pas le monopole de la sincérité.
Pour balayer “ce climat de pression indirect qui parasite le dossier”, Guillaume Portenseigne a aussi invité à mettre de côté l’affaire Merah, dont “l’exploitation dans ce procès serait facile”. Préambule passé, le représentant du parquet s’est longuement attardé sur le rôle d’Adlène Hicheur dans le “jihad médiatique“ qu’il s’est efforcé de définir, citant les propos de l’actuel chef d’Al Qaida, Ayman Al-Zawahiri. “Le jihad médiatique représente la moitié du jihad global” avait déclaré Al-Zawahiri en 2005 avant de le confirmer en 2007. Le Procureur a asséné :
Le jihad médiatique est une arme de recrutement massive. Adlène Hicheur a été l’un des principaux relais francophones de la propagande d’Al-Qaida. Il a fait preuve d’un engagement total pour le sites jihadistes.
A l’appui, le représentant du ministère public cite la participation d’Adlène Hicheur à plusieurs sites, des traces de navigation retrouvées sur son disque dur et un projet daté de plusieurs années. Selon deux personnes entendues dans le cadre d’une garde à vue, deux internautes avec qui Adlène Hicheur était en contact au début des années 2000, ils devaient ouvrir un site, “Thabaat” (raffermissement) en 2005. Aucun lien avec le jihad armé s’est défendu Adlène Hicheur, accusant les enquêteurs d’avoir fait pression sur les deux internautes pour obtenir des déclarations à charge.
Un argument que Me Baudouin a utilisé pour donner du sens aux déclarations faites par Adlène Hicheur lors de sa garde à vue.
Les interrogatoires n’ont cessé. Il a été arrêté le 8 octobre à 6h et interrogé de 17h45 à 17h55, de 18h à 18h45, de 19h à 19h30, et le 9 octobre de 1h15 à 3h05, de 4h à 4h45, de 10h à 10h45.
Et ainsi de suite pendant quatre jours, durée maximale de la garde à vue, en vertu de la justice d’exception pour les affaires terroristes. “Une justice dérogatoire du droit commun” a balayé le Procureur. “Toute justice qui déroge au droit commun est d’exception” a rétorqué Me Baudouin. Le verdict sera rendu le 4 mai.
Photographies du Palais de Justice de Paris via Picture Tank de © Laurent Vautrin/Le Carton et © Jérôme E. Conquy, tous droits réservés
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