Un patron de la sécurité privée balance
Dans le Lot, à Cahors, un petit entrepreneur en sécurité privée brave l'omerta qui sévit dans son secteur et balance quelques réalités sur les curieuses pratiques qui s'y sont développées. Structures juridiques fantômes, dumping social intenable, organisme professionnel gravement compromis. Voyage chez des gros bras tout malheureux de patauger dans de sales eaux.
C’est devenu très compliqué pour une société qui respecte les règles. Tout le monde ne joue pas le jeu. Des concurrents, du département ou de la région, cassent les prix pour obtenir des marchés. Et ils les obtiennent de la part de donneurs d’ordres publics ou privés qui veulent faire des économies. [...] Je respecte la partie réglementaire et sociale de mon métier. Certains ne déclarent pas des agents ou les paient en dessous des seuils légaux.
Avec ces déclarations, Moise Rozel vient de lancer un petit pavé dans la mare un peu pourrie de la sécurité privée : ce patron d’une entreprise du secteur installé dans le Lot a dénoncé récemment sur la place publique les pratiques illégales de ses confrères.
Régie par la loi de 1983, la sécurité privée est un secteur qui s’est développée comme la chienlit en France : vite et mal, à la faveur entre autres du désengagement de l’État qui y voit une façon de faire des économies à travers le concept de “coproduction de la sécurité intérieure”. Le récent Cnaps (Conseil national des activités privées de sécurité est censé y mettre fin.
Si la situation est connue, elle est rarement déballée ainsi. “De souvenir, c’est la première fois qu’un confrère, hors syndicat, dénonce ainsi de tels agissements”, témoigne Jean-Marc1. L’omerta est en effet de mise car les informations circulent vite. “J’avais dénoncé une fois et ça s’est su, témoigne David Fleurentdidier, patron d’une petite entreprise. Le bruit a couru que j’allais fermer.”
Vu les difficultés de son entreprise, Moise Rozel n’a plus hésité à se lâcher. Sa société King sécurité s’est en effet vue accorder un plan de continuité d’activité par le tribunal de commerce. Il dénonce donc sans vergogne, glissant facilement des noms. Sans toutefois entamer d’actions en justice : “je n’ai pas de preuves en main. J’ai juste transmis à l’Association nationale des métiers de la sécurité des devis qui m’ont été refusés car jugés trop chers, j’étais au-dessus de 15 euros.” Pour référence, en 2010, le coût de revient horaire d’un agent de base était de 15, 116 euros, hors coût de structure [pdf].
L’Association nationale des métiers de la sécurité (ADMS), un syndicat regroupant une centaine de petites entreprises, est engagé depuis 2005 dans la lutte contre le travail illégal. Il a entre autres mis en place une une convention nationale de partenariat avec la Délégation interministérielle pour la lutte contre le travail illégal (Dilti) en 2006, rejoint par l’USP, un des deux poids lourds syndicaux du secteur. L’ADMS s’est chargée de porter le fer juridique, en se portant partie civile contre Sécurité, Organisation, Surveillance (S.O.S.46). Cette association a été prévenue d’infraction à la réglementation relative au travail illégal en mars 2011. Quelques mois avant, l’ADMS avait contacté l’inspection du travail en son sujet [pdf] précisant les infractions reprochées :
Nous nous permettons de vous informer d’une démarche effectuée par une association pour effectuer des missions de gardiennage.
En effet, une association n’a pas d’agrément pour effectuer cette activité bien réglementée.La préfecture de Cahors a adressé un courrier à SOS 46 ainsi qu’au procureur pour les informer de ce fait et apparemment, cette association continue à proposer ses services pour ce type d’activité.
Notre adhérent KING SÉCURITÉ, nous a transmis un contrat de prestation établi par SOS 46 que vous trouverez ci-joint.
Curieusement, dans la foulée, l’association changeait de nom pour devenir Servir – Organiser – Surveiller (S.O.S 46). Plus de référence à la sécurité. Son objet est désormais “assistance radio, service, organisation et signalisation sur les manifestations sportives et festives.”
Un an après, le dossier est toujours en en cours nous a expliqué l’ADMS, “ce qui étonne l’interlocutrice du TGI que je viens d’avoir, a précisé Danièle Meslier. Elle va relancer le substitut du procureur et m’a demandé, de faire un courrier également de mon côté.”
Dans le collimateur de l’ADMS, on trouve autant les prestataires que les donneurs d’ordre, qui, privés comme publics, privilégient trop souvent l’aspect financier, comme le syndicat le détaillait dans une lettre envoyée au procureur de Cahors [pdf] :
Nous pensons que cette démarche pourrait sensibiliser les donneurs d’ordre qui favorisent trop souvent l’aspect financier à celui de la qualité et dissuader les entreprises qui ne respectent par les obligations réglementaires et sociales de persévérer dans cette voie.
L’activisme de l’ADMS semble déplaire aux cadors du secteur, comme en témoigne cette réaction du Syndicat national des entreprises de sécurité privée (Snes) qui a taclé l’ADMS sans la citer quand nous l’avons sollicité à ce sujet : “Quant aux  actions de partie civile , c’est plus facile à communiquer à la presse qu’a réaliser jusqu’au bout.” (sic). Michel Ferrero, le président du Snes, nous a expliqué qu’aucune de leurs plaintes comme partie civile n’avait abouti : “soit il y a eu arrangement, soit il y a eu retrait d’une société. Nous préférons la prévention, en collaborant avec l’Urssaf ou le Cnaps.” Depuis le le 1er janvier, le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) est en effet chargé de nettoyer le secteur. Et Michel Ferrero de rappeler qu’il siège à son collège national, comme représentant du Snes. Deuxième petite claque au passage à l’ADMS : “ils ne sont pas un syndicat patronal reconnu ayant signé la convention collective.”
Mairie de Cahors à l’ouest juridique
Contactée par La Dépêche du midi, la mairie de Cahors, qui fait partie de des clients de Moise Rozel, avait eu cette réaction étonnante. À tel point que Moise Rozel nous a expliqué qu’il avait demandé un rendez-vous avec la mairie :
Il y a des règles de consultation qui sont les mêmes pour tous. Nous, dans le cadre de nos manifestations, nous essayons de faire travailler les locaux. Quant aux éventuels abus, c’est à l’État qui assure les contrôles, de les détecter.
La mairie se défausse donc, ce qui témoigne d’une méconnaissance de la législation. Depuis un décret de novembre dernier, entré en vigueur le 1er janvier, “il y a un renforcement concernant le devoir de vigilance du donneurs d’ordre”, rappelle Danièle Meslier, directrice générale de l’ADMS. “Il fait obligation aux donneurs d’ordre de s’assurer de l’authenticité de l’attestation remise par leurs sous-traitants auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations et contributions de sécurité sociale, datant de moins de 6 mois”, détaillait le syndicat dans une lettre adressé à ses adhérents. Et par conséquent, “il supprime les attestations sur l’honneur sociales et fiscales de conformité avec la réglementation et le dépôt des déclarations produites par le sous-traitant.”
Long terme
Est-ce que le geste de Moise Rozel sera suivi d’autres ? Lui l’espère. David Fleurentdidier est plus dubitatif : “Je lui ai envoyé un message de soutien, son action va peut-être lui donner du baume au cÅ“ur, peut-être que la mairie va bouger.”
Danièle Meslier fait preuve d’un optimisme relatif, à la mesure de l’ampleur de la tâche :
Plus on en parle, plus ça fait peur. C’est un travail de longue haleine, il faudrait plusieurs Moïse Rozel et qu’il n’y ait pas de copinage.
Photo par Wade Courtney/Flickr [CC-byncsa]
- prénom changé [↩]
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