Le réseau du plus fort

Le 24 novembre 2009

Mollesse nationale et familles emprisonnées dans leurs 4X4, avec mômes et Cofinogas au milieu d'embouteillages sur la route du Kipositive : Le week-end est le moment idéal pour saturer les ondes de faits-divers et d'anecdotes à haute valeur symbolique ajoutée, vaselinant le passage pour de futures taxes ou lois liberticides.

Mollesse nationale et familles emprisonnées dans leurs 4X4, avec mômes et Cofinogas au milieu d’embouteillages sur la route du Kipositive : Le week-end est le moment idéal pour saturer les ondes de faits-divers et d’anecdotes à haute valeur symbolique ajoutée, vaselinant le passage pour de futures taxes ou lois liberticides.

Ces deux derniers jours, j’ai eu à trois reprises l’écho d’une information capitale (sortie d’un autre continent avec même images pour tous) livrée clé en main par une agence de presse :

“Une salariée québécoise en congés maladie pour dépression s’est vue suspendre ses allocations car son assureur a observé une photo d’elle souriante sur facebook.

facebook

Stupéfiante nouvelle : Les indemnités journalières de la salariée dépendent d’un assureur privé. Zut aucun des trois médias (Europe 1, France2, M6) ne s’attarde sur ce point.

Penchons-nous sur cette information dont la redondance et la similarité du traitement radio-tv montre comment l’ancien monde considère Internet :

1 / Accroche qui interpelle : La salariée spoliée.

2 / Le descriptif qui passe en dix secondes de la mésaventure de la victime au point de vue de l’employeur pour s’étendre sur les dangers d’Internet (c’est une gigantesque mémoire etc…) et finit en culpabilisant l’utilisateur, ce grand enfant qui va bien devoir finir par accepter une loi parce que vraiment quel irresponsable.

3 / Conclusion : Internet = Péril personnel. Vous = Crétins incapables d’agir pour votre bien. Conseil final entre les lignes de l’information HD : Arrêtez de communiquer entre vous et reviendez regarder not’télé.

Le top est atteint dans le 19.45 d’M6 le 22 novembre (à 11.30)

A propos de l’affaire québécoise, l’animatrice d’information annonce un sujet sur “les dérives des sites communautaires“. Comme dirait l’autre, les mots ont un sens. C’est vrai que la nuance chez M6, c’est pas trop d’actualité. Le sujet qui se limite à une interview d’avocat fait l’impasse sur les images de l’agence de presse pour directement balancer un sondage (supposé caution de vérité alors que la question est à participation libre et que la réponse n’a aucune valeur statistique fiable).

La question est :

Les réseaux sociaux sont-ils un danger pour la vie privée ?
Réponse : OUI à 71%
> sondage réalisé avec la collaboration de msn (qui a foiré le virage internet du réseau social) <


Et hop ! Voilà comment, en profitant d’une information à peine évoquée, je te balance en 20 secondes ma publicité anti-réseau social, je fais le boulot d’une agence de presse gouvernementale au terme d’un week-end de bourrage de crâne et je te culpabilise l’audience avec sa complicité.

Manquait plus que le micro-trottoir appelant à la prison pour la salariée !

Hypothèse : Appliquons cette déontologie journalistique à une autre situation.

Annonce de l’animatrice d’information : “Une jeune française s’est fait violer dans un club de vacances par un vendeur de chouchous.

Sujet (version médias du week-end) : “Alors qu’elle se baignait sur la plage en bikini, la jeune Isabelle s’est fait violer par un vendeur de chouchous. La prolifération des maillots de bains devient une menace pour l’intégrité physique des femmes. Enfin, tant qu’une loi sur une tenue décente exigée en vacances ne sera pas votée, il est à craindre que les viols se multiplient.”

Sujet (version M6 du dimanche) : Pas de sujet, on passe directement au sondage à deux balles (en collaboration avec l’institut des vendeurs de chouchous et des fabricants de sacs en toile de jute)

“Si les femmes restaient chez elles, vêtues d’un sac à patates cadenassé, seraient-elles moins violées ?”

Sermonner à l’internaute que les réseaux sociaux sont dangereux, qu’il est irresponsable et qu’ils doivent tous se brider parce que l’un d’eux a été abusé, c’est comme d’affirmer à toutes les femmes, au prétexte que l’une d’entre elles s’est fait violer par un obsédé à 5000 kilomètres de là, que la plage est un lieu de haut péril, que les maillots deux pièces sont des armes de catégorie 5 et que bon, être femme c’est chercher les emmerdes.

Les risques ce ne sont pas les informations diffusées sur le réseau social mais bien ce qu’en font certaines personnes. Ce ne sont pas les utilisateurs qu’il faut intimider mais les usages abusifs de ces données qu’il faut condamner

Cette information (hors-actu in-propagande) de M6 est en parfaite adéquation avec l’humeur politique et législative du moment : Faire porter la responsabilité mentale des crimes sur l’ensemble des victimes potentielles au lieu de s’occuper sérieusement des coupables et, encore moins, des raisons de leurs agissements.

La loi (et les médias) doivent protéger la victime, non le coupable. Normalement.

A priori, la semaine prochaine sur M6 : Le boum des réseaux sociaux d’entreprise sécurisés avec login et mot de passe livrés par l’employeur.

Illustration : Benjamin Heine

» Article initialement publié sur Les jours et l’ennui de Seb Musset

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