Pour une agence de financement du journalisme en France ?
Pour se renouveler, la profession aurait tout intérêt à regarder du côté du modèle de financement de la recherche, en l'adaptant à ses spécificités.
J’ai posé dans un récent billet les bases d’une comparaison entre le monde de la recherche et celui des journalistes. Je poursuis ma réflexion avec le nerf de la guerre : l’argent. Je propose ici la mise en place d’une agence de financement du journalisme en France, qui pourrait contribuer au renouveau de notre profession.
S’inspirer de la recherche mondiale
La norme dans la recherche mondiale devient de financer une partie de l’activité des chercheurs en leur demandant de répondre à des appels à projets. La mise en concurrence est féroce, et en général seul un quart des postulants décrochent un chèque (dont le montant est alors très élevé). Selon ce système, ce sont ainsi les meilleurs qui sont financés. Surtout, les appels à projets évitent de figer des positions acquises : les jeunes peuvent s’émanciper des mandarins, des collaborations nouvelles sont suscitées, la science est dynamisée. En France, ce système est mis en œuvre depuis 2005 seulement, avec la création de l’Agence nationale pour la recherche (ANR).
Cette agence est devenue le nouveau tiroir caisse de nos scientifiques, jusque là habitués à recevoir des dotations de fonctionnement du CNRS ou des universités. Dans le secteur des sciences humaines et sociales, dont j’ai déjà dit combien il ressemblait selon moi à celui de la presse, l’ANR a constitué une bouffée d’air frais pour de nombreuses équipes (même si elle constitue aussi un bouleversement organisationnel qu’il ne faut pas négliger).
Appels à projets ouverts à toute la profession
Comment le journalisme pourrait tirer parti de la façon dont la recherche est financée ? Imaginez. Tous les ans, une agence lancerait des appels à projets ouverts à toute la profession. Seule condition pour pouvoir déposer un dossier, que le rédacteur en chef dont dépend le journaliste, le contresigne. À gagner : de 15 000 à 100 000 euros (voire plus) pour réaliser non pas un petit reportage, mais pour conduire une enquête. Les fonds permettent de s’équiper, de recruter des journalistes ou des techniciens en CDD pour appuyer le porteur du projet ou pour le remplacer pendant quelques mois.
Parmi les critères des appels à projets, figurerait l’obligation d’y répondre à plusieurs (médias différents, pays différents etc). L’enquête financée pourrait durer de quelques mois mois à une année, avec la possibilité d’être prolongée si le journaliste parvient à se justifier. Un rapport intermédiaire pour rendre compte de l’avancée des travaux pourrait être exigé.
Tout se terminerait par une publication (ou plusieurs en fonction de l’ampleur du travail) ou par la mise en ligne d’un site web dédié. Les employeurs des journalistes auraient tout à gagner de ce système, étant donné qu’eux-mêmes ne sont plus en mesure de financer de telles enquêtes. Les journalistes, y compris (surtout!) les plus jeunes, pourraient ainsi donner la pleine mesure de leur talent.
Des thèmes prioritaires
Le pays a aussi tout à gagner d’une presse redevenue ambitieuse. En effet, les appels à projets pourraient être en partie complètement ouverts (aucun thème spécifié, seule l’excellence de la réponse compte) et en partie ciblés. Les appels ciblés permettraient d’inciter les journalistes à se pencher sur de nouveaux problèmes ou des problèmes jugés essentiels pour notre société (l’éducation, la santé, la vie politique, la vie économique et financière).
Qui sélectionnerait les projets ? Les chercheurs ont un principe : seuls les pairs sont jugés capables de décider si tel ou tel dossier mérite d’être retenu. Pour ce qui est des journalistes je pense qu’il faut varier : les comités de sélection devraient rassembler des journalistes et des représentants de la société civile. L’important c’est que les comités soient renouvelés très régulièrement et que des règles déontologiques soient fixées, pour éviter le copinage.
Les moyens à dégager
Oui, mais comment financer ce joli projet, puisque la presse n’a pas d’argent ? En France, l’État a doté l’ANR de près d’un milliard d’euros. De tels moyens ne sont pas nécessaire, en l’état actuel, pour la presse. Rien que le fonds d’aide au développement de la presse en ligne né des États généraux de la presse disposera de 20 millions d’euros en 2009 et 2010. Il suffirait de mobiliser une fraction de cette somme pour redynamiser le système.
Aux États-unis, le rapport Leonard-Schudson allait un peu dans le même sens en préconisant un fonds national de financement de l’information locale. Et vous, vous avez d’autres idées pour faire redémarrer la presse française ?
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Billet initialement publié sur Monjournalisme.fr sous le titre “Plaidoyer pour la création d’une agence de financement du journalisme en France” ; illustration CC Flickr Vetustense Photorogue
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