J’ai été juré à la “Nouvelle Star” des journalistes
La jeunesse, c'est l'avenir : on peut donc logiquement lire celui du journalisme en observant ceux qui veulent en faire leur métier. Théo Haberbusch était juré pour les entretiens d'admission à la prestigieuse IPJ. Il nous raconte.
Il y a 15 jours, j’ai pris un bain de jouvence professionnel en participant à la sélection de futurs journalistes. L’IPJ (désormais rattachée à l’université Paris-Dauphine), une des écoles reconnues par la profession, m’a sollicité pour participer au « jury de motivation », c’est-à -dire la dernière étape d’un concours qui commence par des écrits d’admissibilité suivis d’un oral sur l’actualité. Les résultats viennent d’être mis en ligne, je peux donc parler de mon expérience.
Sachant combien les places sont chères (une quarantaine) et les aspirants nombreux (des centaines), c’était un peu ma nouvelle star à moi, les sorties d’André Manoukian en moins.
Trêve de comparaisons hasardeuses. Voir ces petits jeunes (22-24 ans en général) pousser pour entrer dans la profession m’a donné les crocs. Leur faim du métier alimente mon plaisir de le pratiquer. Après cette expérience, c’est donc l’enthousiasme qui prédomine… enfin presque. Résumé.
1. Neuf candidats qu’il faut noter voire éliminer
Il y a 6 ans, j’étais face au directeur de cette même école (et de ceux des autres écoles où j’avais candidaté), me voilà de l’autre côté de la table, représentant les « professionnels », les « recruteurs ». En une demi-journée, je vois ainsi passer neuf candidats.
On me demande de les noter après 15 mn de conversation. Mon jugement vient s’ajouter à leurs résultats aux autres épreuves. Mais si je leur attribue un 1 ou un 2 sur 10, je les élimine. Bref, à coté de moi les jurés de la Nouvelle Star ont des buzzers en chocolat.
2. Bye bye les touristes…
Autant le dire tout de suite, j’ai « disqualifié » deux personnes en leur attribuant la note fatale. Ai-je été trop dur? Une fois les notes données, j’en ai parlé avec le directeur de l’école et avec les membres du jury d’actualité, qui précède celui de motivation. Et il se trouve que tous les jurés avaient mis des notes éliminatoires à  ces deux « touristes ».
Pas préparés (pas de stage, pas de connaissance concrète d’un métier qu’ils fantasment), sans projet professionnel, ne connaissant pas l’état économique de la presse, ils n’avaient rien à faire là , et ne méritaient certainement pas de prendre une place dans la future promotion de l’IPJ.
Où aimeriez vous travailler si vous aviez le choix ?
« Aux pages politiques ou culturelles de Libé, je n’arrive pas à le décider »
(Humm comment te dire que dans 10 ans les pages politiques ou culture de Libé ça n’existera sans doute plus?)
Où vous voyez vous dans 10 ans?
« Je ne me projette pas. Au Brésil. En ce moment mon truc c’est les associations anti-pub. »
(Donc le journalisme en fait c’est pas ton truc?)
Je vous offre aussi cette perle (bonus):
« La philosophie est un type d’information [comme une autre], peut-être plus transcendantale et immanente, encore que… »
Les deux éliminés étaient des garçons. Et je dois dire que dans l’ensemble, les filles m’ont fait plus forte impression. Mieux préparées, bosseuses et enthousiastes, elles m’ont parues plus solides. Ce qui tendrait à donner raison à l’une de mes collègues, rédactrice chef à l’AEF, qui peste souvent contre la nonchalance des « mecs » stagiaires, qui donnent l’impression de ne rien avoir à prouver.
3. Les lettres de motivation…c’est pas folichon
Un de ces jours je vais publier ma lettre de motivation pour l’entrée en école de journalisme. Je soupçonnais qu’elle n’était pas brillante, mais j’ai découvert que les candidats de 2010 l’ont copiée! En vrac, et quelles que soient les années, on veut devenir journaliste pour :
- Rencontrer des gens
- Diffuser l’information au plus grand nombre
- Éveiller les citoyens/être un rouage de la démocratie
- Dénoncer
- Rejoindre les glorieuses plumes qui nous ont précédé
…
Bref rien que de très prétentieux. Une candidate avait troussé une lettre rigolote mais elle n’a pas été la meilleure ensuite face à nous (la lecture de la lettre est effectuée juste avant l’oral). Comme quoi, ce n’est vraiment pas sur cet exercice formel que peut se jouer la sélection.
4. Un début d’expérience et la conscience du métier
Tous les candidats (sauf nos deux touristes) avaient effectué des stages. Souvent dans la PQR (presse quotidienne régionale) ou dans la presse spécialisée, ce qui leur donne déjà un petit bagage. Non seulement ils ont écrit et fait du terrain, mais en plus ils ont très bien compris que la presse est en crise. Ils ont conscience qu’ils doivent se préparer à une entrée difficile sur le marché du travail et sont prêts à bosser à la pige.
5. Internet où es-tu?
A une ou deux exceptions notables, les candidats n’ont pas, semble-t-il, compris le bouleversement internet sur le journalisme. Comment pourrait-il en être autrement? Ils préparent leurs concours en « fichant » les journaux papiers et n’ont sans doute pas réalisé combien d’informations ils apprennent tous les jours en allant simplement sur leur compte Facebook.
Quant à Twitter, l’outil ne leur est pas familier (je crains qu’il en soit de même des flux RSS, de Delicious, des alertes Google et de tant d’autres outils « basiques »). Mention spéciale à cette étudiante, auteure d’un mémoire sur Facebook et Twitter, mais qui m’a confié ne pas avoir eu besoin de se créer un compte pour effectuer son enquête.
Une seule candidate nous a annoncé son projet de créer un site web cet été. Et elle a spontanément parlé du web comme d’un support permettant de mixer du texte, de la vidéo et du son.
Une phrase d’un autre candidat résume bien la relation de ces jeunes étudiants, marqués par leur culture universitaire (souvent en sciences humaines):
« Internet devient incontournable. Je me suis préparé à l’éventualité d’y travailler [mais bon ça me fait pas rêver »
Ah, j’allais oublier une réponse que j’ai (sincèrement) adorée:
Ma question : « A votre avis, où se trouve l’information aujourd’hui dans la presse quotidienne, à la radio, à la télé ou sur internet? »
Réponse : « Il me semble que l’information se prend sur le terrain et qu’après on la diffuse selon des canaux différents »
6. Informer ou commenter?
C’est sans doute ma plus grande interrogation. Deux candidats ont explicitement dit qu’ils préféraient « l’info neutre » à celle très partisane de la presse française. Les autres ont eu l’air de s’accommoder d’une tendance évidente à la polémique, au commentaire et au point de vue, formes qui prennent le pas sur l’information dans sa plus pure expression.
Je le regrette un peu mais je me dis que les cours qu’ils pourront suivre, en agence notamment, pourraient les « guérir » de cette tendance.
7. Le profil atypique de la mort qui tue
Je dois vous parler de cette enseignante qui après une première partie de vie professionnelle veut reprendre des études et devenir journaliste. Bof, me dites vous, pas étonnant, elle en a marre des élèves! Archi-faux. Si elle a obtenu une dérogation pour présenter le concours (elle a largement dépassé la limite d’âge) c’est pour de bonnes raisons.
Elle vit actuellement au Japon et va radicalement changer de vie pour intégrer l’école. Prévoyante, et organisée, elle a mis de l’argent de côté pour pouvoir organiser cette transition professionnelle. L’idée d’être journaliste la taraude depuis longtemps, mais elle voulait avoir vécu quelque chose avant de faire un tel métier.
A la fin de ses études elle ne se sentait pas légitime et a donc opté pour l’enseignement doublé de l’expatriation. Elle a réussi le tour de force d’être brillamment préparée pour le concours et de garder une spontanéité incroyable.
8. L’abnégation qui force le respect
Deux candidats, un garçon et une fille, ont forcé mon admiration par leur volonté, démontrée en quelques minutes d’entretien.
Honneur aux dames:
Comment avez vous obtenu vos stages (Télérama, Itélé, Marianne…)?
« Je les ai harcelé. On m’avait dit qu’ils ne me prendraient pas, mais je n’ai pas arrêté de faire des demandes ».
Et comment avez vous interviewé Yasmina Benguigui?
« On m’avait dit que c’était impossible. Je n’ai pas arrêté de harceler sa secrétaire au téléphone et finalement elle m’a dit oui et m’a invitée dans son hôtel. »
Quant au jeune homme, recalé à l’oral l’an passé, il est revenu gonflé à bloc. Il a passé son année comme correspondant d’un grand quotidien régional alors qu’il n’avait pas d’expérience dans la presse. Il nous a montré son book et nous a très bien parlé du métier de journaliste.
9. Ce que je leur souhaite pour l’avenir
Tous ne seront pas journalistes, mais j’espère que parmi les candidats que j’ai notés, certains accéderont à une école reconnue, meilleur moyen de se lancer. Je leur souhaite de garder les étoiles que j’ai vues dans les yeux et la volonté qui semblait les habiter.
Je leur recommande de garder les pieds sur terre, de vite se mette aux outils du web et de réfléchir à exploiter ses potentialités. Et je les supplie de se concentrer sur l’info et de renoncer au commentaire et à l’éditorialisme qui abime notre presse.
Ah oui, j’espère aussi que certains viendront toquer à la porte de la super agence de presse qui monte, la mienne. Histoire d’aiguillonner ma motivation !
10. Et pour se préparer au concours ?
Pour terminer, il faut saluer et citer le bel effort de transparence de l’IPJ, qui a mis en ligne un guide bien fait pour se préparer au concours d’entrée. Lecture recommandée.
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Billet originellement publié sur MonJournalisme.fr.
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