La vie secrète de nos pseudos
Le recours à différents pseudonymes permet de jongler avec ses identités numériques et donc de s'exprimer avec une plus grande liberté dans plusieurs sphères.
Crédit CC Flickr andrefromont/fernandomo rt
Peut-être suis-je naïve, mais pour différentes raisons, je ne crois pas que la loi proposée par le sénateur Masson (voir à ce propos le pearltree alimenté par Yann Savidan) puisse voir le jour.
En parcourant quelques billets à ce sujet, j’ai été interpelée par un commentaire de Hipparkhos sur le blog d’Autheuil. Et notamment cette phrase :
“L’obligation de publier son nom sur son blog rendrait impossible sur Internet ce qui est possible dans la vie réelle, compartimenter ses relations”.
Je crois que cela explique bien l’émotion que suscite le projet de M. Masson, et c’est justement pour cette raison que je la réprouve.
Attention, révélation : dans mes navigations sur Internet, j’ai recours à plusieurs pseudos… même si celui de See Mee domine à 90 %.
N’y voyez aucune perversion de ma part, cette dissimulation apparente n’en est pas une : je n’ai rien d’important à cacher.
En fait, dans le contexte ouvert de la Toile, l’utilisation d’un ou plusieurs pseudos remplit surtout une fonction de filtre relationnel.
Quand jongler avec les pseudos délimite des sphères d’expression différenciées
Comme le dit Hypparkos, l’emploi de plusieurs pseudos me permet de séparer mes différentes sphères d’expression :
- J’en ai eu un quand je publiais un blog “corporatiste”, qui me donnait la possibilité de m’exprimer sur des questions liées à mon travail.
Ce que je produisais était un recueil documentaire qui avait pour but de mettre l’information à la disposition du plus grand nombre. J’y étais “transparente”, je ne tenais pas à influencer les lecteurs avec mon opinion, réservant celle-ci au cadre de mon engagement syndical.
J’aimais bien l’idée d’être une petite fourmi anonyme, insignifiante, tout le contraire du super-héros qui se masque pour cacher ses hauts faits.
Dans ce contexte, le pseudo m’évitait de prêter le flanc à des mesquineries de la part de mon environnement professionnel immédiat, ou de bénéficier d’une visibilité qui m’aurait donné une importance dont je ne voulais pas.
Mes employeurs n’auraient je pense pas eu trop de mal à me débusquer si j’avais tenu des propos diffamatoires ou trahi mon devoir de réserve.
- J’en ai un que j’utilise occasionnellement quand je m’exprime sur certains blogs de manière “intime”.
Si j’ai envie de parler de ma vie sentimentale, de rebondir sur un sujet qui parle de sexualité, c’est un autre pseudo que j’emploie.
Je peux me permettre le partage d’une certaine intimité, justement parce que les interlocuteurs que cela concerne s’exposent intimement sur leur blog ou dans les commentaires : dans ce contexte, nous sommes sur un pied d’égalité, comme tenus par un pacte de discrétion et de tolérance.
Ce pseudo n’est connu que de deux catégories de personnes : soit de parfaits inconnus qui se fichent complètement de mon identité, soit au contraire des copains de blogging dont je me sens très proche et qui, pour certains, connaissent mon identité véritable.
- Et il y a celui que vous connaissez, qui est pour moi comme un nom de plume.
Ce pseudo de See Mee m’a été proposé par Gee Mee, comme une sorte de nom de plume pour signer mes billets sur son blog. Il fait partie de mon histoire de blogueuse et marque la période où j’ai commencé à écrire sur le thème du blogging.
J’aime l’idée que l’on construit une identité autour de son pseudo : c’est un peu comme une marque de fabrique, dont on est à la fois l’objet et l’inventeur.
Très souvent, un pseudo est unique, personne au monde n’a le même ! C’est peut-être pour cela que je préfèrerais appeler Nicolas sous son pseudo Twitter (“Jegoun“) : il a beau être célèbre comme blogueur, il existe plein de Nicolas. Du coup, on pourrait croire que je me la pète (n’est-ce pas Philippe ? *Private joke*), car je fais référence à un Nicolas comme si tout le monde savait de qui il s’agit !
Un pseudo est un label qui permet de se singulariser. C’est sur lui que s’appuie la construction de sa communauté : on le repère dans des commentaires, on le retrouve chez les uns et chez les autres, on le lie à un blog s’il y en a un.
Mais ceci ne règle pas la question de l’anonymat…
La liberté d’expression est-elle en danger ?
Utiliserais-je un pseudo parce que, comme c’est souvent avancé, je ne me sens pas libre de m’exprimer à visage découvert ? Non. Je ne rejoins pas Nicolas, qui dit, dans son billet Anonymat : ne nous trompons pas de combat :
C’est bien parce qu’on est obligés de se réfugier derrière un pseudo qu’on n’a plus de liberté d’expression.
Certes, c’est une question intéressante, en particulier dans des sphères politiques, idéologiques. J’ai moi-même l’impression que la culture politique actuelle nous encourage à des mesures de protection, voire incite à l’auto-censure, quand elle ne prend pas clairement des dispositions pour bâillonner certaines expressions.
Mais même s’il y a des dérapages parfois du côté du délit d’opinion, je ne pense pas que, en général et en France, nous soyons dans une société qui soit si avare que cela à nous accorder le droit d’expression.
Bien au contraire, Internet nous donne l’occasion de nous exprimer librement dans de nombreuses situations, plus que nous en disposions auparavant.
Je suis fascinée par exemple comme il est facile de trouver des interlocuteurs pour parler de sexualité sans tabous ! Avant, n’était-ce pas réservé soit à des relations très proches (amis, couple, voire famille), soit à des sphères plutôt spécialisées (psys, groupes de parole et réseaux tels que le planning familial, groupes de militants féministes et… clubs échangistes) ?
Les réseaux sociaux, les forums, les blogs et sites nous donnent maintenant la possibilité d’échanger sur des sujets que nous ne sommes pas enclins ou en mesure d’aborder avec notre environnement habituel, celui de notre sphère de proximité géographique ou socio-culturelle (voir à ce propos mon billet L’épreuve des espaces sociaux [Rencontre IRL #3]).
Nous pouvons maintenant nous connecter au sein de communautés d’intérêts plus ou moins délimitées thématiquement, mais extrêmement ouvertes quantitativement. Tellement ouvertes qu’il faut peut-être s’en protéger un peu, en créant des filtres.
Dans ce contexte, je n’utilise pas un pseudo parce que ma liberté d’expression est limitée, mais ne pas pouvoir le faire peut sacrément la restreindre !
Crédit CC Flickr madamepsychosis
Nous restreignons volontairement notre sphère d’expression
Ainsi, l’obligation de publier son identité réelle sur son blog peut-elle porter atteinte à ce que j’ai envie d’appeler le “droit à l’extimité” (sur cette notion, je vous recommande vivement de lire Les nuages lieux de l’extimité ?, par Yann Leroux).
La notion de liberté d’expression ne doit pas être réduite au droit d’exprimer son opinion, mais élargie à celui d’en user de manière différenciée. On ne livre pas les mêmes informations sur soi selon la sphère dans laquelle on évolue. Comme dans la vie de tous les jours !
Tout est question de contexte. Il y a besoin de clés pour déchiffrer nos comportements, nos postures, nos opinons. La part à laquelle je donne accès sous un pseudo reste en théorie lisible, compréhensible : le pseudo permet la reconnaissance de l’identité publique que je veux bien exposer dans cette sphère, de la relier avec toutes les manifestations que j’y aurais ici ou ailleurs sous ce nom.
Mais si j’ai mis en œuvre les bonnes mesures de précaution, j’empêche de rendre trop facile la remontée à la source de mon identité réelle. Utiliser un pseudo me permet de ne pas livrer ce “je” tout nu à des personnes mal intentionnées, et éviter les désagréments qu’entrainerait une trop grande exposition.
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Billet initialement publié sur En attendant BlogExperience sous le titre “La vie secrète de nos pseudos, ou pourquoi je ne veux pas bloguer à visage découvert”
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