Petit traité de bulshitting à l’usage des conférenciers
On entend beaucoup de choses lors des conférences sur le futur de l'industrie de la musique, dont pas mal de "bullshit". Virginie Berger, qui revient d'une de ces importantes rencontres, nous en livre ici la teneur.
Virginie Berger était l’envoyée spéciale d’OWNI aux rencontres de l’Adisq (Association québécoise de l’industrie du disque). En direct live from Montréal, elle revient sur l’impression que lui a laissé les conférences, les thématiques traitées et la manière de les aborder. Impression pour le moins désabusée.
Petit traité de bullshitting international à l’usage de ceux qui vont en conférence
ou comment faire croire qu’on a plein de solutions pour « sauver » l’industrie musicale
Lorsque l’Adisq m’a conviée à participer à ses conférences à Montréal, j’étais vraiment honorée mais également très excitée à l’idée de confronter mes points de vue au marché québécois. J’imaginais un marché ouvert, en pleine réflexion, porté par la dynamique que l’on retrouve actuellement sur le marché de la musique américain.
Et puis en fait, non. J’avais l’impression de me retrouver à une des ces trop nombreuses conférences, où se retrouve sur scène uniquement des industriels, mais où ne débat pas de musique… On ne nous parle pas de valeur mais de prix, de législation, de gouvernement mère nourricière, de « oui mais avant »…
Où sont les artistes ?
Où sont les artistes, les consommateurs ? bref, ceux qui la font vraiment, la musique. Ils n’existent pas. On ne veut pas savoir qu’ils existent, avec des comportements, des envies, des visions différentes …
Lors de ces conférences, une des choses qui m’étonnera toujours, c’est cette notion extrêmement simpliste que tout le monde a sur ce qu’est la musique et sur sa consommation.
On nous dit que l’intégralité de la filière musicale, c’est écrire des chansons, enregistrer en studio, faire sa promo et partir en tournée. Et que la totalité de la consommation de la musique, c’est aller chercher des consommateurs, les faire acheter puis les faire écouter.
C’est effectivement comme ça qu’on pourrait décrire la valeur économique de la musique entre 1940 et 1995, mais cela ne représente en aucun cas tout ce qu’est la musique. Ni ce qu’est le business de la musique.
Le business de la musique enregistrée est actuellement inférieur à 1/3 du business global de l’industrie de la musique. Avant 1920, il était à 0%.
Et la totalité de ce que j’entends ou de ce que je lis ne tourne qu’autour de la musique enregistrée. Comment sauver les disques !
Internet n’est pas une place de marché
Et puis, évidemment, ensuite, la question se porte sur l’Internet. Comment l’Internet va sauver le business de la musique?
Sauf qu’Internet ne le sauvera pas. Internet est un moyen de communication, ce n’est pas une place de marché. Internet permet à des gens de se parler, de découvrir, d’écouter et éventuellement d’acheter. C’est un outil formidable, un levier de communication, mais on n’est pas dans la matrice. Et Néo ne viendra pas.
La première question de mon panel fut : « Alors Virginie, faut-il être sur les réseaux sociaux ? ». Bien. « Nous sommes mi-2010 quand même », avais-je envie de répondre. La question ne devrait plus être « faut-il y être ? » mais plutôt comment améliorer sa présence…
Conférence bullshit bingo
On me dit très souvent que le marché a évolué, que je suis trop dure, alors pour tous ceux qui rêvent de savoir tout ce qui ce dit en conférence par des gens très importants mais que vous ne le savez pas encore, petit résumé :
« La musique était bien meilleure quand elle était plus chère à faire » #bullshit
« Vivement Hadopi ou PRS, ça va être bien, on va certainement réussir à récupérer 10% de ce qui perd en piratage » # bullshit
« Regardez ce qui se passe en Europe, Spotify est le futur de la musique” #bullshit
« La vraie musique, c’est celle du live, des tournées » #bullshit
« On doit éduquer les gens à arrêter de voler la musique » #bullshit
« Si on multiplie le nombre de téléchargement pirates par 1$; vous avez vu tout l’argent qu’on perd » #bullshit
« Il faut taxer les appareils » #bullshit
« Il faut que le gouvernement nous aide » #bullshit
« Les consommateurs veulent du gratuit, ils n’achètent plus » #bullshit
« La valeur et le prix, c’est pareil » #bullshit
« Avec leur Ipod, les gens ne savent plus ce qu’est la musique. Ils écoutent tout et n’importe quoi » #bullshit
Ne parler que de la musique comme de la musique enregistrée #bullshit
Fort énervement et/ou rire sardonique ?
Personne n’a de solutions miracle pour sauver quoi que ce soit. Et surtout pas moi. Mais ce n’est pas avec des œillères qu’on va avancer…
Et d’ailleurs, la musique a-t-elle réellement besoin d’être sauvée? Ne serait-ce pas l’industrie de la musique enregistrée qui veut être sauvée ? Et ne serait-ce pas cette tentative désespérée qui rendrait impossible toute évolution favorable pour les artistes et le consommateur ?
Initiative à signaler, hier soir se tenait en marge de l’Adisq la première anti-conférence musiQCnumeriQC. L’objectif, débattre entre artiste, blogueur, managers représentant institutionnels, de l’état du marché et de comment se prendre en main. Vite.
Alors ça a débattu fort, mais ça a débattu. Et ça, c’est déjà quelque chose…
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> Crédit Photo CC FLickr par Jeff the Trojan
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