G8: l’inefficacité au meilleur prix
Le milliard dépensé pour le sommet de Toronto n'est pas exceptionnel. L'analyse des précédents G8 montre l'ampleur des sommes englouties - et la pauvreté des résultats obtenus.
“Un ordre nouveau apparaît”, déclarait un Nicolas Sarkozy triomphant en sortant du G20 de Pittsburgh, en septembre dernier.
Neuf mois plus tard, force est de constater que l’ordre nouveau prend son temps. Parmi les décisions annoncées en grande pompe lors du sommet, on retrouve aussi une promesse d’encadrer les rémunérations des traders et une déclaration aussi lourde que comique : “Nous n’autoriserons pas un retour aux pratiques bancaires antérieures.” LOL.
Une mesure a bien été implémentée ; elle concerne l’augmentation de 3% des votes réservés aux pays en développent au sein de la Banque Mondiale, réalisée en avril 2010. Mais voilà, cette décision a été prise non pas à Pittsburgh, mais à Washington, en avril 2009, lors du meeting semestriel des grands bonnets de la Banque. Au mieux, le G20 a servi de catalyseur.
C’est un peu ça le G20, et son cousin le G8. On fait des grandes déclarations, on fait semblant de prendre des décisions en allant chercher des mesures déjà décidées ailleurs et on se prend en photo. C’est important, les photos. Ca donne aux milliers de journalistes convoqués l’impression qu’on agit.
Découvrez le coût des précédents sommets en faisant glisser le curseur le long de la chronologie ci-dessous:
Inefficace depuis 1975
Depuis que Giscard a réuni ses homologues à Rambouillet en 1975, les grands de ce monde se sont réunis 38 fois, entre les G6, G7,G8 et G20. 38 déclarations que vous ne pourrez pas retrouver sur le site web du G8. Et pour cause : il n’y en a pas !
En effet, ces rendez-vous ne disposent d’aucune forme juridique permettant de les institutionnaliser. Si bien que même les écrits ne restent pas. C’est pour cette raison que les promesses faites en 2005 à Gleneagles suite au Live8 orchestré par Bob Geldorf se sont progressivement évaporées des déclarations finales des G8 depuis, jusqu’à disparaitre complètement cette année, à en croire les brouillons de la déclaration finale publiés par le Guardian.
Personne n’est mandaté pour faire un suivi des rencontres. Seul un petit groupe de chercheurs canadiens tient compte des réalisations, mais ne fait pas la différence entre les déclarations d’intention, les promesses chiffrées ou celles resucées ailleurs.
Rien à voir avec les décisions prises par exemple lors du Conseil des Ministres de l’UE, qui sont suivies par la Commission. Si celle-ci détecte un manquement de la part des Etats-Membres, elle peut saisir la Cour de Justice des Communautés Européenne, qui détient un pouvoir de sanction. C’est pour cette raison que, depuis 1957, l’Union Européenne a réellement agit, que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore.
Comme le souligne Jean Quatremer, auteur des Coulisses de Bruxelles et connaisseur des négociations entre Etats (mais qui précise ne pas être spécialiste des G8), sans mécanismes pour transformer des intentions en textes juridiques contraignants, ça ne sert pas à grand-chose.
La méthode intergouvernementale, où les Etats discutent entre eux, s’oppose à la méthode communautaire, où ils acceptent de déléguer une partie de leur pouvoir à une institution. “L’intergouvernemental existe depuis que les Etats existent,” souligne Quatremer. Et il n’a empêché ni les crises économiques ni les guerres.
Les sommets permettent de se voir, de discuter. C’est toujours mieux que de rester dans son coin. La politique du mutisme a mené le monde au bord de la catastrophe lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. Le téléphone rouge entre le bureau ovale et le Kremlin a été installé juste après, pour que les deux superpuissances puissent se échanger leurs points de vue en cas de crise. Si ce genre de relations permet d’éviter l’hiver nucléaire, il n’est pas approprié à la mise en place de réelles coopérations.
Un spectacle qui coûte cher
Les Gs ne sont pas les seuls sommets où le copinage compte plus que les résultats. Davos affiche tous les ans l’arrogance des puissants. Mais eux le payent de leur poche. Les statuts du World Economic Forum précisent en effet que le sommet est financé par les tickets d’entrée. A 31 000 d’euros l’unité, c’est plus rentable qu’un concert de MJC.
Un sommet coûte en général plusieurs centaines de millions d’euros. Le record a été atteint cette année, avec un budgetsupérieur à un milliard de dollars pour un double sommet. Ce qui signifie, si l’on a un peu de mauvaise foi et que l’on considère que les déclarations sont imprimées avec 400 mots par page sur du papier bristol, que les sommets du G8 et du G20 coûtent entre 10 000 et 2 millions de dollars le gramme. Bien plus cher que la coke.
Plutôt que de discuter dans ces week-ends champêtres hors-de-prix, les grands de ce monde pourraient bien discuter dans une brasserie parisienne. Ca coûterait moins cher et, comme le dit Qutremer, “les résultats seraient peut-être meilleurs”.
Combats urbains
Les deux tiers des sommes dépensées concernent la sécurité. Mobiliser trois jours de suite des dizaines de milliers de policiers qu’on a acheminés des quatre coins du pays coûte cher. On a compté jusqu’à 50 policiers et militaires pour chaque manifestant (à Sea Island en 2004).
Les sommets sont aussi l’occasion d’essayer de nouvelles tactiques. Celui d’Evian, en 2003, a permis de tester le dispositif de ‘zone d’interdiction [de survol] temporaire’, ou bulle de protection, inventé en 2001 pour protéger la France des terroristes en avion de tourisme. L’armée de l’air se charge de nettoyer le ciel dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres autour de l’évènement, avec moult missiles sol-air, pilotes en alerte et snipers en hélico.
A Pittsburgh, en 2009, les docteurs Folamour du G20 ont testé les canons acoustiques sur les manifestants. Utilisé à la base contre les terroristes et les pirates, ce haut-parleur est tellement puissant qu’il peut faire provoquer des hémorragies internes par rupture des tympans dans un rayon de 10 mètres.
Pourtant, les manifestations sont rarement menaçantes. Malgré les 200 000 personnes protestant à Edimbourg en 2005, le nombre médian de manifestants reste en dessous de 5 000 (c’est-à-dire que la majorité des cortèges compte moins de 5 000 personnes). Côté terroriste, rien ne justifie un missile sol-air, étant donné que la moitié d’entre sont incapable de se faire détonner au bon endroit. Comment justifier une telle orgie sécuritaire ?
Les cyniques diront peut-être que le véritable intérêt des sommets est bien là : ils permettent aux policiers et aux militaires de tester leurs nouveaux gadgets sécuritaires lors d’affrontements prévisibles et peu dangereux. C’est vrai que depuis le sommet de Gênes, en 2001, lors duquel un manifestant avait été tué, les forces de l’ordre ont réussi à gagner à chaque fois en laissant leurs adversaires en vie. Une belle réussite, qui méritait bien un milliard !
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Crédits Photo CC Flickr : Mr Dam Mc Gowan, Elyce Feliz, Bixentro.
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