Les journalistes italiens se mobilisent contre la “loi-baillon” de Berlusconi
Des journalistes italiens manifestaient aujourd'hui pour protester contre une "loi-bâillon" qui les menace de peines de prison si ils font fuiter des preuves provenant d'écoutes téléphoniques. Interview avec l'une des organisatrice.
Un jour de février comme les autres, à 13h00. Le moment du repas de midi pour de nombreux foyers. Ariana Ciccone, elle, n’arrive pas à avaler ce qui deviendra la dernière goutte de la longue saga de la désinformation sur la télévision publique italienne. Cette saga connaît son apogée aujourd’hui, alors que des milliers de citoyens et de journalistes descendent dans la rue pour proclamer le droit de savoir ce qu’il se passe dans la coulisse de l’élite italienne au pouvoir.
Au journal de la Rai Uno, chaîne détenue par l’Etat, le présentateur annonce que le Premier ministre italien a été “absous” dans le procès de David Mills, le mari d’une ancienne ministre anglaise, Tessa Jowell, accusé d’avoir accepté un pot-de-vin du Cavaliere.
La controverse n’est pas directement venue du fait que Berlusconi n’ait pas été déclaré coupable. Le procès a en effet été bloqué par un texte législatif taillé sur mesure, puisqu’il instaure un “empêchement légitime” pour le chef du gouvernement italien à assister aux deux procès dont il fait l’objet. Ce texte est l’aboutissement d’une longue campagne visant à réformer le système judiciaire italien, qui consiste à l’inculpation du corrompu en lieu et place du corrupteur.
La dernière étape était de s’assurer que l’opinion publique serait amenée dans la bonne direction.
A ce moment précis, Augusto Minzolini (directeur du principal programme d’information de la Rai), est devenu la cible d’Arianna. Il incarnait en effet tout ce qui pose problème tant dans le journalisme que dans l’information en Italie.
C’est ainsi que s’est créé le groupe Facebook: “Dignité et Respect pour les citoyens”. Ce groupe rassemble aujourd’hui 150 000 signataires qui appellent à la rectification de la manière dont le procès de Berlusconi a été couvert.
Aujourd’hui 1er juillet, les citoyens italiens alliés à Valigia Blu ont défilé dans les rues (réelles et virtuelles), afin de protester contre une nouvelle loi, appelée “loi Alfano” ou “loi bâillon”, une loi anti-écoutes téléphoniques déjà approuvée par le Sénat le 12 juin. Les peines prévues pour ceux qui l’enfreindraient sont sévères: des amendes allant jusqu’à 450.000 € et jusqu’à un mois de prison pour les journalistes.
Ce dispositif a été mis en place pour interdire les fuites de conversations téléphoniques ou enregistrées secrètement au cours d’enquêtes criminelles dans les médias traditionnels autant que sur Internet. Ce projet de loi devrait être approuvé par la chambre des députés.
Plusieurs conversations de cet ordre ont conduit à des désillusions majeures pour le premier ministre et ses apparatchiks.
La manifesation, soutenue par le principal parti d’opposition, le parti démocrate, est suivie de près par plusieurs sites Internet, dont Diritto di Critica.
Arianna n’a pas d’appartenance politique. Elle est l’une des organisatrices principales du Festival International du Journalisme de Pérouse, et est devenue au fil du temps une figure-clé du mouvement. Elle a pris le temps d’expliquer à OWNI les raisons profondes qui soutiennent le mouvement.
Chaque citoyen devrait se révolter contre une loi qui entrave les magistrats et bâillonne l’information
“Chaque citoyen devrait se révolter contre une loi qui entrave les magistrats et bâillonne l’information”, décrypte Arianna en soulignant le manque d’intérêt politique accordé à ce type d’activisme. “J’ai été motivée par le droit de savoir et la liberté de la presse. Dans un pays entaché par les conflits d’intérêt dans lesquels notre premier ministre est impliqué, nous agissons en tant que chiens de garde. Pas seulement pour l’information, mais également en ce qui concerne les services publics, qui sont en ce moment entre les mains de divers partis politiques“, ajoute-t-elle.
“Je ne vois pas Valigia Blu comme un mouvement organisé. Ou même comme un mouvement en soi. Il a grandit grâce aux réseaux sociaux comme Facebook. Notre groupe “Dignité et respect” compte plus de 15.000 membres, la page rassemble 16.000 fans, et le site en lui même compte pus de 2000 abonnés. Nous sommes simplement des citoyens engagés”.
Les opposants aux mises sur écoute arguent du fait que le procédé prive des individus de leur droit à la vie privée: “Quand cela touche des personnages publics, on devrait tout savoir à leur sujet. Il est bien sûr nécessaire de protéger les innocents impliqués dans ces conversations enregistrées, notamment par le biais d’extraits. La défense et le procureur peuvent décider, en accord avec un juge indépendant, des extraits qui ne devraient pas être publiés. La vie privée est plus souvent qu’il ne le faudrait utilisée comme un excuse. Ce projet de loi est pensé pour protéger la classe dirigeante et ses pratiques véreuses, sans oublier le fait qu’il priverait les magistrats d’un outil d’investigation fondamental dans la lutte contre le crime organisé”.
Un courant parallèle a émergé au sein de Valigia Blu. Si la loi passe, ses membres promettent de ne pas la respecter. “Arrestateci tutti“, disent-ils…
Arrêtez-nous tous
Retrouvez l’article en anglais ici
Interview réalisée par Adriano Farano, traduction Guillaume Ledit
Credit photos: CC FlickR lo spacciatore di lenti
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