Le plagiat dans la culture du partage
De plus en plus d'universités utilisent des outils permettant de traquer les étudiants plagiaires. Est-il réellement nécessaire de mener le combat contre ces pratiques issues d'une évolution culturelle?
L’Ontario vient de faire l’acquisition du programme Turnitin de détection du plagiat, lequel sera opérationnel dans toutes les écoles publiques de la province à l’automne prochain. Cette mesure est destinée à aider dans leur tâche les enseignants, pour qui le plagiat chez les élèves est un enjeu qui prend de l’ampleur.
Cependant, Turnitin est loin de faire l’unanimité : il a déjà été refusé par certaines universités canadiennes (Mount Saint Vincent University, Ryerson University). En effet, ce programme propriétaire fonctionne notamment en consignant les examens et dissertations des étudiants dans une base de données permettant, certes, la détection du plagiat, mais en violant de fait le droit d’auteur de ces élèves.
De plus, le fait de soumettre systématiquement les devoirs au « détecteur » dénie aux élèves la présomption d’innocence.
David Boucher, de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie du Canada, note dans son document de synthèse Le pl@giat électronique dans les travaux scolaires : « (…) fait intéressant, voire troublant, deux universités énoncent explicitement que tout étudiant soupçonné de plagiat est présumé coupable jusqu’à ce qu’il fournisse la preuve du contraire . Il s’agit d’un renversement par rapport à la tradition juridique et d’une situation qui soulève un enjeu éthique ». Nota : les deux universités sont L’Université Laval -voir article 28, alinéa b de son Règlement disciplinaire- et l’Université McGill -voir son Guide des droits et obligations de l’étudiant-.
L’utilisation de Turnitin dans les écoles risque donc d’envoyer un message pour le moins embrouillé quant aux valeurs promues par l’éducation publique. Est-ce réellement comme cela que l’on compte « remettre les élèves dans le droit chemin » ?
Le paradoxe scolaire
Comment définiriez-vous un plagiaire ? Diriez-vous que c’est quelqu’un qui recopie mot à mot un passage sans citer d’où il vient ? Dans ce cas, ma fille de 10 ans est plagiaire : je l’ai trouvée il y a quelques temps en train de recopier, pour l’école, un paragraphe de Wikipédia ; je précise qu’elle faisait ça studieusement, avec papier-crayon, et la langue pendant du côté où penche sa tête.
Nota : « la langue pendant du côté où penche sa tête » est une très jolie expression, mais je ne suis pas sûre qu’elle soit de moi. Peut-être de Marcel Aymé, dans Les contes du chat perché. A tout hasard, je préfère me couvrir…
Peut-être l’exemple de ma fille n’est-il pas tout à fait typique de ce qu’est le plagiat : en effet, elle ne plagiait pas intentionnellement. Le vrai plagiaire est celui qui s’approprie, en toute connaissance de cause, des idées qui ne sont pas de lui.
Jean de Lire, chargé de mission à la Cellule Cyberécole de l’Administration de l’Enseignement de la Communauté française (Belgique) fait une réflexion intéressante à ce sujet :
Le tout est de savoir où commence le plagiat. Car qui dit plagiat dit bénéfice, en l’occurrence pour l’élève. Or s’inspirer de données, qu’elles soient en ligne ou non, pour reconstruire un thème, sachant qu’on ne l’a pas inventé, c’est ça l’école.
L’école, avec son socle de connaissances, encourage la rétention de notions et d’idées venues du passé. De là, la valeur accordée à la pensée originale de l’élève est subordonnée à celle d’un Spinoza ou d’un Kant. L’école, c’est dans une large mesure le règne de la pensée d’emprunt. Le plagiat y est donc, sinon légal, du moins « aligné idéologiquement ». Lorsque j’ai expliqué à ma fille qu’il vaudrait mieux qu’elle réécrive le passage de Wikipédia dans ses propres termes, elle m’a répondu : « Pourquoi ? C’est beaucoup mieux écrit ici ! »
Les raisons du plagiat
Cette réflexion nous invite à nous poser une question à mon sens vitale, si l’on veut régler en profondeur le problème du plagiat : pourquoi l’élève plagie-t-il ?
Or, fait significatif, si les études quantitatives sur le plagiat ne manquent pas, je n’ai pas réussi à trouver de recherches qualitatives sur les causes du plagiat.
Dans son article publié sur Profweb, Nicole Perreault mentionne intuitivement plusieurs raisons pour lesquelles les élèves plagient : la méconnaissance des normes reliées à la citation des sources –c’est là que se situe ma fille, et c’est aussi là où se situent bon nombre d’étudiants, selon Michelle Bergadaà, spécialiste de la question. La réponse à cela est relativement simple : enseigner aux élèves comment citer leurs sources.
Une autre raison serait de gagner du temps : dans cette rubrique, Nicole Perreault cite notamment deux étudiants : l’un déclare « nous sommes obligés de frauder un jour ou l’autre afin de respecter le temps dont on dispose », alors que l’autre avoue « tout est sous la main, alors pourquoi se fatiguer? ». Ces deux raisons avancées pour justifier le plagiat sont fort différentes :
• « Nous sommes obligés de frauder un jour ou l’autre afin de respecter le temps dont on dispose » pose la question des exigences qui pèsent sur les étudiants. Sir Ken Robinson décrit avec justesse l’inflation des diplômes qui caractérise notre époque. Il y a quarante ans, tout diplôme d’études supérieures vous assurait un bon emploi. Aujourd’hui, il faut viser le doctorat pour se distinguer de ses contemporains. La prolongation des études, alliée à la crise économique, oblige de nombreux étudiants à travailler parallèlement à la poursuite de leurs études. La raison invoquée ici pour expliquer le recours au plagiat est liée à la situation socio-économique des étudiants, et à la charge de travail que l’institution leur impose. S’attaquer à ce point est une tâche d’envergure, qui ne risque pas d’être réglée demain, et qui dépasse largement le cadre du plagiat pour toucher à celui de la reproduction sociale de l’éducation.
• « Tout est sous la main, alors pourquoi se fatiguer? » est un aveu de fainéantise. Cependant, chacun sait d’expérience que la fainéantise n’est pas un trait de caractère : elle dépend du contexte. Qui aurait recours au plagiat pour répondre à une question qui le/la passionne ? Les devoirs scolaires se prêtant bien au plagiat ont des thèmes bateau, souvent à cent lieues des intérêts des élèves. Pour minimiser le risque de plagiat, il s’agit donc de poser aux élèves des questions sur lesquelles ils ont une opinion, ou sur quoi ils verront l’intérêt de réfléchir.
Mais ce n’est pas suffisant. Car soyons honnêtes : même si un enseignant demande l’opinion de l’élève dans une dissertation argumentative, c’est avant tout pour satisfaire au cursus, pas par réelle envie de connaître son point de vue. Dans son article Four Reasons to Be Happy About Plagiarism, Russell Hunt déclare : « Je ne suis pas convaincu que nous puissions résoudre le problème (du plagiat) en assurant aux étudiants qu’ « ils ont quelque chose de significatif et d’important à dire » (…) On ne peut dissocier (…) ce qu’on a à dire de ceux à qui on le dit, ni de la raison pour laquelle on le dit ». (traduit par le rédacteur). En d’autres termes, poser des questions pour lesquelles les élèves ont des opinions n’est pas en soi suffisant, encore faut-il écouter leurs opinions.
Valeurs et cultures
On peut bien dire ce qu’on veut, soutiendront certains : le plagiat ne respecte pas la propriété intellectuelle, c’est donc un acte immoral. La tendance, dans les milieux scolaires, est donc à faire comprendre, « de l’intérieur », à la jeune génération, que, plagier, c’est mal. Typiquement, on posera la question « comment vous sentiriez-vous si quelqu’un vous plagiait ? ».
Comment se sentirait cette nouvelle génération d’internautes créateurs ? Très différemment de ceux qui leur posent la question…
En effet, la première confrontation significative qu’un jeune d’aujourd’hui ait avec le droit d’auteur, c’est via des sites tels YouTube. Qu’y apprend-il ? Que s’il veut poster un extrait de son émission préférée, ou un blockbuster qui lui a plu, il n’en a pas le droit –il n’a apparemment pas même le droit de filmer le tournage d’un gros budget.
Par contre, s’il poste une de ses créations, il concède « à YouTube le droit non exclusif, cessible (y compris le droit de sous-licencier), à titre gracieux, et pour le monde entier d’utiliser, de reproduire, de distribuer, de réaliser des œuvres dérivées, de représenter et d’exécuter le Contenu dans le cadre du Service ou en relation avec la mise à disposition de ce Service et l’activité de YouTube, notamment, sans limitation, pour la promotion et la redistribution de tout ou partie du Service (et des œuvres dérivées qui en résultent), en tout format, sur tout support et via tous les canaux média ».
A votre avis, laquelle de ces deux façons de traiter le droit d’auteur énerve notre génération Y ? Si vous avez répondu « la deuxième », vous faites partie de la génération X.
L’emprunt comme création communautaire
Dans la culture dématérialisée des natifs du numérique, l’emprunt n’est pas associé au vol mais à la création communautaire. Pour les membres de la culture du remix, l’emprunt est au cœur de la création, en même temps qu’il représente un hommage (ou à tout le moins une réaction) à une création antérieure. Ce qui frustre un/e Gen Y, ce n’est pas que quelqu’un puisse réutiliser ses productions sans son consentement, c’est qu’il ne puisse mettre les doigts dans celles des autres –particulièrement celles qui forment le canevas de sa propre culture. La culture du remix crée de nouvelles phrases à partir d’un alphabet social partagé par une génération ; ainsi, cet extrait « réinterprété » de La Guerre des Étoiles” ne serait pas si drôle sans le contrepoint de son contexte de départ.
Adopter Turnitin dans les écoles comme remède au plagiat, et faire l’économie d’une réflexion de fond avec les élèves sur le sujet du droit d’auteur, c’est passer à côté de l’essentiel, pour les enseignants comme pour les élèves ; pour les enseignants, car ils ne pourront saisir le clivage radical qui existe entre la génération de la propriété et celle du partage ; et pour les élèves, car ils passeront à côté des enjeux culturels et créatifs liés au droit d’auteur et à la propriété intellectuelle, à l’heure où ces notions sont revisitées partout dans le monde.
Et pour entamer la discussion sur le droit d’auteur et la propriété intellectuelle avec les jeunes et les moins jeunes, je ne saurais que trop conseiller l’excellent documentaire RIP : a Remix Manifesto, du jeune réalisateur canadien Brett Gaylor.
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Illustration CC FlickR par foundphotoslj, Digirebelle ®, dbostrom
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