Julian Assange et démons
Le week-end rocambolesque vécu par le fondateur de Wikileaks n'a pas seulement confirmé l'intérêt poussé que lui portent les autorités. Il a également mis en lumière une autre facette de sa personnalité.
Dans sa quête perpétuelle de visibilité, voilà le genre de publicité dont se serait bien passé Julian Assange. Samedi, quelques heures après avoir émis un double mandat d’arrêt à l’encontre du fondateur de WikiLeaks pour viol et agression, la justice suédoise a subitement fait machine arrière. Interrogée sur Al-Jazeera, Karin Rosanger, une porte-parole du parquet, a défendu une “procédure normale” qui a fait tiquer le journaliste de la chaîne qatarie. “N’aurait-il pas été plus logique d’essayer de contacter l’accusé directement?”, lui a-t-il demandé. Malgré l’insistance du présentateur, la représentante du procureur a refusé de fournir les détails qui ont étayé l’accusation scandinave.
Forcément, ce flou cinétique (de la justice ou des whistleblowers, on ne sait plus très bien qui dégaine le plus vite) vient faire le lit des néo-conspirationnistes de tous poils, qui voient la main de la CIA derrière. Les petits rigolos du web auraient même une expression idiomatique pour synthétiser l’état d’esprit de certains soutiens de WikiLeaks: “Coincidence? Je ne crois pas.”
Assange, soucieux de ne pas se battre contre des moulins à vent, préfère rester mesuré. Dans un entretien publié dimanche par le tabloïd suédois Aftonbladet et cité par Le Monde, il affirme “[ne pas avoir] de preuve directe que cela vient des services secrets américains ou autres”, une hypothèse “absurde” pour le Pentagone. En revanche, le boss de WikiLeaks a reconnu qu’il avait été “mis en garde contre des pièges sexuels”.
Le retour du piège à miel?
Soucieux de ménager ses inimitiés au sein de l’administration américaine – il a parfaitement compris les rouages du soft power, comme la perspective d’une nouvelle forme de lobbying -, il se garde bien d’accuser directement les agences de renseignement. Pourtant, à y regarder de plus près, la notion de “piège sexuel” charrie son lot d’allusions à une guerre froide un peu chaude, et semble aller de pair avec la petite histoire de l’espionnage. Outre-Atlantique, il existe même un terme pour désigner cette méthode non conventionnelle: “honey trap”, littéralement “piège à miel”. Dans le vocable d’ex-hacker d’Assange, c’est un peu comme s’il s’était fait prendre dans un “honey pot”, un pot de miel destiné à piéger les pirates.
Il y a quelques mois, Phillip Knightley, journaliste vétéran spécialiste des espions, dressait sur Foreign Policy un panorama des cas les plus célèbres, de Mordechai Vanunu à Mata-Hari. Il prodiguait en outre quelques conseils à ceux qui pourraient être la cible de telles pratiques, de nouveau populaires chez nos voisins russes par exemple:
- Ne suivez pas cette fille
- N’acceptez des faveurs de personne
- Méfiez-vous des médias
- Soyez doublement vigilant si vous êtes homosexuel
- [Méfiez vous de] toutes les femmes seules (comme au temps de la RDA et de la Stasi)
Poèmes crypto-érotiques
D’une prudence extrême quand il s’agit de protéger son travail, expert en matière de cryptage, rompu aux exigences du nomadisme (un portrait de LEXPRESS.fr rappelle qu’il a fréquenté trente-sept écoles et six universités pour échapper à un père membre d’une secte New Age), Assange aime aussi les femmes. Sans se perdre dans des conjectures douteuses dont personne ne connaît ni les tenants ni les aboutissants, on peut aisément imaginer qu’il ait négligé le conseil n°1, à moins qu’il ne s’agisse du n°5.
Récemment, le site australien Hungry Beast a exhumé le vieux site de Julian Assange, Interesting Question, qu’il a alimenté entre 2006 et 2007. Entre une réflexion métaphysique sur le concept d’Etat et une élégie à Kurt Vonnegut, il y déclame son amour des femmes dans des poèmes crypto-érotiques ou des textes à la frontière du mysticisme:
J’ai toujours trouvé les femmes prises dans l’orage attirantes. Peut-être s’agit-il d’un fantasme universel, destiné à justifier mon inclination pour une jolie fille que je connaissais mal, pour voir en elle des pensées lascives à mon sujet [...] [pour la voir] se tenir habillée dans sa douche avant que la pluie et le vent ne frappent son corps alors qu’elle s’approche timidement de ma porte, et que je ne puisse pas la repousser
Dans le même billet, il se demande si les hommes ne sont pas à la “manipulation romantique des femmes que ce que le krill est aux baleines”. Et de décrire son amour pour une accro au café, la façon dont il s’étalait de l’arabica moulu sur les épaules, ou son rêve de devenir une tasse, une demi-tasse, le quart d’une tasse. Pour autant, il serait bien mal avisé de tirer des conclusions hâtives au sujet d’Assange, sur la base de son appétence pour la gent féminine ou de son fétichisme des boissons chaudes.
“Je n’ai jamais eu, ni en Suède ni dans aucun autre pays, de relation sexuelle avec une personne d’une manière qui ne soit pas conforme à la volonté des deux”, a-t-il fermement déclaré. Dans les colonnes de The Independent, une des deux jeunes filles qui aurait porté plainte contre l’échalas australien livre anonymement une version sensiblement différente. “La responsabilité de ce qui s’est passé pour moi et l’autre fille est celle d’un homme qui a une perception faussée de la femme et qui n’aime pas qu’on lui dise non.”
Les semaines qui viennent apporteront peut-être des réponses à ce nouveau brouhaha médiatique, mais pour l’heure, faisons valoir la présomption d’innocence, et tenons-nous en à ceci: Julian Assange n’aime pas les rapports non consentis. Sauf quand ceux-ci sont en PDF.
Crédits Photos CC FlickR par adamfeuer, espenmoe
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