Les Etats-Unis ont peur de leurs terroristes
Mercredi soir, WikiLeaks a publié un court mémo de la CIA dans lequel l'agence américaine s'inquiète de la perception des États-Unis comme un pays "exportateur du terrorisme". De plus près, ça ressemble à l'arroseur arrosé.
Disclaimer: “This is not a blockbuster paper”, “ce n’est pas un document de première main”. Telle a été la réaction des officiels américains à la suite de la dernière publication de WikiLeaks, un mémo secret (la classification intermédiaire entre confidentiel et top secret) de la CIA sur la façon dont les États-Unis “exportent le terrorisme”. Quelques jours seulement après l’embrouillamini judiciaire autour de Julian Assange, ces mots lapidaires de l’administration trahissent la réalité de cette première publication post-Warlogs: elle est – relativement – décevante. Mais fallait-il s’attendre à autre chose ?
Sans ouvrir les vannes d’un nouveau scandale dans les couloirs du Pentagone et ceux de la Maison-Blanche, les trois pages publiées par WikiLeaks ne sont pas totalement dénuées d’intérêt. Alors que Barack Obama a décidé d’abandonner la terminologie bushiste “guerre contre la terreur” depuis plus d’un an au profit d’un “opérations internationales contingentées” de facture technocrate, ce mémo vient poser un nouveau regard, interne, sur la doctrine américaine en matière de terrorisme.
Pakistan d’Amérique
Ce court document a été rédigé par la Red Cell, une émanation de la CIA créée sur les décombres du 11-Septembre. A l’instar du Government Accountability Office (la Cour des Comptes américaine), son avis est purement consultatif, ce qui en fait une sorte de think tank interne, chargé de fournir des recommandations aux cadres de l’agence, comme a pu le faire la RAND Corporation en son temps.
Et dans ce résumé NOFORN (Not Releasable to Foreign Nationals: non destiné aux gouvernements étrangers), les experts du renseignement américain insistent sur une dégradation des relations diplomatiques dans l’hypothèse où les États-Unis seraient considérés comme l’un des principaux pourvoyeurs de la planète en matière de bombes humaines et autres candidats au martyr. Pour accréditer cette thèse, la cellule de la CIA cite plusieurs exemples, des militants de l’IRA délocalisés sur le sol américain à David Headley, le Pakistano-Américain qui a joué le facilitateur dans les attentats de Bombay en novembre 2008. “Si les États-Unis étaient considérés comme un ‘exportateur du terrorisme’, les gouvernements étrangers pourraient s’entendre entre eux sur un des accords multilatéraux qui impacteraient la souveraineté américaine”, peut-on lire.
De la rupture des accords d’extradition aux assassinats ciblés en passant par les exfiltrations sur le sol américain, le scénario élaboré par la Red Cell trace les contours d’un pays ostracisé, comme si les États-Unis devenaient soudainement le Pakistan d’Amérique. Invariablement dans le rapport, l’expression “exporter la terreur” ne se départit jamais des ses guillemets. Pourquoi? Parce que cette notion (cette doctrine?) vieille de plus de 25 ans a été élaborée par… l’administration de Ronald Reagan, et perpétuée par ses successeurs. Jusqu’à la fin de son mandat, George W. Bush dénonçait l’Irak comme un “foyer exportateur du terrorisme”.
Directive de 1984
La National Security Archive, une institution indépendante de l’Université George Washington qui passe au crible des documents déclassifiés dans le cadre du Freedom of Information Act, nous rappelle les fondements de cette politique:
“Le 3 avril 1984, le président Reagan a signé [la directive] NSDD 138, Combattre le terrorisme, qui allait bien plus loin que la simple allocation de responsabilités aux différentes agences. La directive en elle-même n’a jamais été publiée, mais un extrait préparé par les archives de la sécurité nationale en divulgue certains éléments – mener des missions de renseignement contre les groupes ou les pays impliqués dans le terrorisme, ou étendre les sanctions à l’encontre des organisations et États qui supportent ou exportent le terrorisme.”
Mais celui qui en parle le mieux, c’est encore Ronald Reagan lui-même (ou ses conseillers diplomatiques de l’époque):
“Ces dernières années, une nouvelle forme de terrorisme particulièrement inquiétante s’est développée: l’emploi de la terreur par des pays étrangers [...] Sont également perturbants l’entraînement, le financement et le soutien logistique à des groupes terroristes. Ces activités sont extrêmement sérieuses et représentent une source exponentielle de danger pour nous, nos amis et nos alliés, en même temps qu’un défi pour la politique étrangère de l’Amérique.”
Ce défi est toujours d’actualité pour Barack Obama, à ce détail près: la peur a changé de camp.
Illustration CC FlickR par Hazel Motes, sarihuella
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