Facebook, Twitter: le vocabulaire s’adapte
"Ami", "partager", "liker" "j'aime"... retour sur le vocabulaire facebookien et les glissements sémantiques qu'il provoque.
« Mal nommer les choses, ça fait grave chier », disait en substance Camus. C’est parfois vrai des néologismes, ça l’est encore plus des vieux logismes employés à tort et à travers.
Internet en est plein. Ça fait peut-être chier les éditeurs du New York Times que les journalistes conjuguent le verbe tweeter à toutes les sauces, mais il vaut peut-être mieux risquer d’employer un mot à la mode qui sera oublié dans cinquante ans que de s’accrocher à un vieux vocabulaire inventé pour décrire une réalité en voie d’extinction.
Facebook est encore une fois le pire des coupables. Zuckerberg ne pouvait probablement pas s’en douter, mais en choisissant le mot « ami » (qu’il a de toute façon repris à Friendster et MySpace) plutôt que « contact » comme un client mail ou plutôt que d’inventer un mot comme « Facers » ou je ne sais quoi, en faisant ce choix donc Zuckerberg et les gens à qui il a piqué leurs idées ont probablement transformé le sens du mot « ami ».
Ami : du latin amīcus de même sens, dérivé de amare (« aimer »). Je sais pas vous, mais moi j’ai quelques « amis Facebook » que je n’aime pas vraiment.
« Ami Facebook », on entend ça de plus en plus, parce que la distinction avec un véritable ami est importante. Quelqu’un de chez Google avait fait une présentation intitulée « The Real Life Social Network ».
Malgré son titre qui laisse croire à une version télé-réalité du prochain film de David Fincher, c’était en fait une présentation PowerPoint super instructive qui expliquait quelques trucs sur les réseaux sociaux IRL et ce que les réseaux sociaux du web pouvaient en tirer comme leçon pour s’améliorer.
L’un des constats les plus évidents, c’est que les réseaux de la vraie vie sont plus complexes que Facebook et qu’un seul mot comme « friend » ne pouvait décrire l’ensemble des relations avec les « collègues », les « connaissances », la « famille », les gens avec qui on a été à l’école, les types qu’on a croisés dans une soirée une fois, les profils de putes russes qu’on a ajoutés « par mégarde »…
D’ici 10-20 ans, si les plans de domination de Zuckerberg se déroulent comme prévu, il aura probablement totalement annexé le mot « ami » et on aura naturellement développé des néologismes destinés à dire exactement ce qu’ami voulait dire auparavant.
Ce n’est pas comme si ce genre de glissement du sens était un phénomène si nouveau que ça : « Énervant » voulait dire exactement l’inverse de ce qu’il veut dire aujourd’hui, à l’origine. « Formidable » signifiait « capable d’inspirer la plus grande crainte ». « Je tiens beaucoup à toi, tu es important dans ma vie » ne voulait pas dire « tourne moi le dos que j’y plante des couteaux » et « essayons de repartir sur des bases saines » pour moi ça voulait pas dire « approche-toi j’ai encore quelques lames pour toi ». Biatch !
Enfin, bref… Les problèmes de la terminologie néophobe de Facebook ne s’arrêtent pas là : si je clique « j’aime » en bas d’un article de presse, je peux me retrouver, sur mon mur, avec des choses comme « Cédric aime 10 000 morts au Pakistan ». On ne sait souvent pas si on aime l’article, les faits qu’il relate ou si j’ai cliqué sur « j’aime » pour « partager » un truc que je n’aime pas du tout. Nous sommes nombreux à résoudre une partie du problème en utilisant la terminologie de la V.O. : on dit « liker », parce que ce n’est pas la même chose que « aimer ».
C’est moins évident, mais même « partager » pose problème : le sens originel du mot implique une division de l’objet du partage en « parts ». Quand je « partage » quelque chose sur Facebook, je ne fais preuve d’aucun altruisme, puisque j’en ai toujours autant pour moi. Utiliser le mot « diffuser » ou un néologisme facebookien serait plus juste, encore une fois.
Alors chez Twitter on écrit des « tweets » et on a des « followers », on fait des #followfriday, #hashtags, « cc », « RT », etc. et on a l’air un peu con quand on en parle aux gens qui ne connaissent rien de tout ça, mais au moins, on sait nous clairement de quoi on parle.
Un autre de ces trucs intéressants que nous apprenait la présentation « the real life social network », c’est qu’il semble que les êtres humains ne peuvent pas vraiment entretenir des liens, même ténus avec plus de 150 personnes en moyenne. Genre au-delà de 150 habitants, les villages des premiers hommes se divisaient et aujourd’hui sur World Of Warcraft les guildes qui dépassent 150 personnes emmerdent leurs membres.
Moi quand je dépasse de trop loin 150 followings sur Twitter, je fais du ménage, mais apparemment ça n’est pas un problème pour tous ceux qui suivent 800 personnes et qui ont plus de 500 « amis Facebook ». Si quelqu’un fait de vous son 151ème « ami », ne vous emballez pas, vous êtes probablement moins qu’une « connaissance » pour lui, vous êtes un chiffre.
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Billet initialement publié sur Boum box
Image CC Flickr Juliana Coutinho
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