Rebooter les villages
Zone rurale autonome + hackers = hackerland. Une équation somme toute logique, comme nous l'ont expliqué les habitants d'un de ses "néo-villages" installé dans le Centre. Ils organisaient ce week-end leur deuxième festival, au joli titre en forme de synthèse : electronic pastorale.
Ces deux univers étaient faits pour se rencontrer, s’aimer, s’aider : les hackers et ce qu’on pourrait appeler les zones rurales autonomes. Et quand ils se fondent, cela donne un hackerland, comme celui qui se développe depuis cinq ans dans le Centre, au lieu-dit Conques-Bas, à quelques kilomètres de Bourges. Ce week-end, ses membres organisaient la deuxième édition de leur festival, Electronic pastorale. “La première édition avait été organisé pour fêter l’arrivée d’Internet”, se souvient Loul, une des habitantes.
Car le lieu a d’abord rassemblé une poignée de personnes qui voulaient vivre en autosuffisance, constituer un collectif au maximum “résilient”1 : trois gars du coin et pas des Parisiens en mal de retour à la Nature comme le Larzac en a vu tant passer. Jérôme, Pierre et Antoine, que les zones commerciales et l’Entreprise ne font pas rêver.
Alors, ils ont acheté deux hectares et, partant de ce rien de terre, ont construit pas à pas “un village”. Et pas une communauté, ils y tiennent. Pantalon de travail et bottes, des éclats de boue jusqu’à la ceinture, assis sur un vieux canapé récupéré sous la serre, Jérôme revient sur le terme :
J’ai fait un DUT de gestion des entreprises et administrations avant de partir un an en Irlande, j’ai étudié l’habitat écologique et les écolieux2.
Les soixante-huitards ont échoué en voulant tout mettre en commun. Il faut tirer les leçons. Il ne faut pas se leurrer, nous sommes tous différents.
Le village mélange donc des lieux de vie en commun – comme la cuisine qui prévient d’un retentissant coup… de conque qu’il est temps de se régaler -, et des espaces privées, en l’occurrence des yourtes qui abritent maintenant une dizaine de personnes. Au passage, débarrassons-nous d’un préjugé : en hiver, les occupants ont très voire trop chaud, grâce au poêle central.
Éloge de la do-ocracy
Depuis leurs débuts, ils ont entendu tous les noms d’oiseaux planants : “hippies”, “tarte aux fleurs”, “allumés énergétiques”, etc. Sauf qu’ils ont les pieds bien sur terre. Pas de grands plans sur la comète mais une approche pas-à-pas : “On ne se fixe pas de limites, explique Loul, on voit au fur et à mesure.”
Et sur leur chemin, il leur arrive de se tromper. Eh bien ce n’est pas grave, les erreurs sont fructueuses. Pas non plus de plan fumette-envolées éthérées. Si le débat fait partie de l’essence du projet, un discussion trimestrielle baptisée “où va-t-on ?” vient même d’être mise en place, il est indissociable d’une charge de travail hebdomadaire médéfienne. Jérôme, surnommé d’ailleurs “la pile” en raison de son activité digne du lapin Duracell, s’amuse :
Quand j’ai commencé le maraîchage bio, certains avaient mis ma tête à prix, on m’a dit que je ne tiendrais pas deux ans, cinq après je suis toujours là. La valeur travail compte beaucoup dans le monde paysan, on me respecte maintenant, ils voient que je suis au travail à huit heures, et jusqu’à 19 heures.
Même s’il arrive surtout pour le moment“à s’endetter” , plaisante-t-il, et que c’est difficile, au moins s’est-il lancé avec ses deux amis, eux les trois Rmistes que les banques auraient renvoyé poliment mais fermement à leurs aspirations. Et déjà heureux comme “de prouver que c’est possible”. Ce n’est pas le beau potager rempli de tomates, de fraises, de panais, de haricot, d’oignons, de maïs, etc. qui dira le contraire. En attendant les champs de blé : “on a fait un test non concluant, à retenter… “
Il est libre, le pixel
Rejet des systèmes tout-emballés, résilience, éloge de l’entraide et du partage combiné à un respect de l’individu, valorisation du faire sur le dire incantatoire (la do-ocracy), importance de l’erreur dans les processus d’apprentissage (le learning by failing), goût pour la bidouille et la récupération, fonctionnement horizontal, autant de termes qui sonnent doux aux oreilles d’un hacker.
Et comme ces néo-villageois n’ont rien contre la technique, contrairement à certains courants dans leur mouvance, la convergence se fait petit à petit, poussée par Loul et son compagnon Tom. Le couple fait en effet de l’informatique, fier tenancier d’un “petit commerce de pixels de proximité”. L’appartenance à l’univers des hackers est revendiquée sur leur site professionnel :
La pixelerie utilise exclusivement des logiciels libres et publie son travail sous les licences GPL, Creative commons, Art Libre.
Le terme hacker désigne quelqu’un qui s’approprie ou crée une technologie et participe à son augmentation. Contribuer au logiciel libre est une pratique hacker qui ne doit pas être confondu avec les “crackers” ou pirates informatiques.
Depuis leur arrivée voilà un an et demi, ils connectent les deux mondes, donnant corps au“village planétaire“ de Marshall Mc Luhan. L’Internet est donc arrivé par satellite, depuis décembre 2010, en attendant un réseau WiFi maillé (“mesh”), moins capricieux. Utile pour trouver des conseils, documenter les projets… ou commander de bon vieux livres papiers instructifs. Des AOC (ateliers ouverts à Conques), autrement dit des open ateliers, ont aussi été mis en place chaque jeudi soir pour monter des projets en fonction des besoins locaux. Loul détaille leurs ambitions :
L’idée est de collaborer avec les agriculteurs et les maraîchers. À terme, nous aimerions faire un robot pour tracer les sillons et un système de serre automatisée. C’est dur de les faire venir, mais quand ils sont là, ils sont intéressés.
L’objectif est de travailler ensemble, de recréer du lien social, pas de faire du business.
Parmi les lieux collectifs, une “yourte numérique” est aussi à disposition, pour “se connecter, faire ce que l’on veut avec son ordinateur”, résume Loul. Bien sûr le matériel est sous Linux et une Pirate Box est installée, cet outil portable qui permet de partager des fichiers en toute liberté et de chatter grâce à un réseau local WiFi.
Hackerspace de campagne
La prochaine grosse étape, c’est la mise en place d’un hackerspace, un espace de travail dédié à la bidouille créative chère aux hackers. Pour l’heure, le bâtiment est en cours de construction, dans le respect de l’éthique du village. Coût global : 6 000 euros. Après avoir songé un instant passer par Ulule, la plate-forme de financement participatif, ils ont préféré y renoncer : avec un budget plus confortable, ils n’auraient pas forcément fait les choix les plus économiques, diminuant les possibilités de reproduire le projet.
À l’exception de la dalle de béton, c’est du DIY (do-it-yourself, fais-le toi-même) : ils monteront des murs de paille, une technique ancestrale, avec le concours d’un agriculteur qui leur prêtera sa moissonneuse-batteuse pour qu’ils fassent eux-mêmes leurs ballots. Les tuiles ont été obtenues grâce à du troc. Intéressé pour utiliser le futur lieu à l’année, le tmp/lab, le premier hackerspace installée en région parisienne, met aussi la main à la poche et à la pâte. Un de ses membres, Alexandre Korber, le fondateur d’Usinette, qui apporte la fabrication numérique domestique partout où sa camionnette passe, est ainsi venu avec une RepRap. Cette imprimante 3D open source est autoréplicante, c’est-à-dire qu’elle peut fabriquer les pièces qui la constituent. Ça tombe bien, il n’y a pas encore d’imprimante 3D à Conques.
L’ouverture est prévue en janvier si les dieux du bricolage sont cléments. Le matériel à disposition sera orienté local bien sûr :
On y trouvera des technologies pour faire des machines qui servent à la campagne, pour travailler la terre, faire de la poterie.
Le monde de demain
Actuellement, les hackerlands sont un phénomène émergents. Pour Loul, il ne fait aucun doute qu’ils vont se multiplier :
On tend vers de plus en plus de liens. De toute façon, des gens vont y être contraints économiquement, alors autant y aller de soi-même.
Jérôme renchérit :
La solidarité et les organisations sociales fortes, qui dépassent les obligations législatives, sont déjà présentes dans des villages des environs, de façon naturelle, ils font de l’open source (rires). De même dans certains quartiers des grandes villes. De nouveaux rapports sociaux se développent, pas forcément de façon consciente. Certains commencent à s’organiser pour cette résilience.
C’est obligé d’en passer par là, les gens ne se disent pas bonjour, ils prennent le métro en faisant la gueule, ils rentrent chez eux. Ceux qui ne sont pas encore tout à fait endormis vont réagir, il va y avoir un choc.
Qui sait, peut-être le ministre du Redressement productif deviendra-t-il dans quelques années celui de la Simplification volontaire ? Pour l’heure, on est encore loin, et il faudrait que les hackerlands renforcent leurs liens, par exemple via un site du type hackerspaces.org, dédié aux hackerspaces. Jérôme entend aussi rendre le mouvement plus visible quand ils seront prêts à sortir du bois du pré, pour éviter une exposition prématurée qui leur nuirait au final. Toujours la politique des petits pas.
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À voir aussi, la conférence que Philippe Langlois, le fondateur du tmp/lab, a donné sur les hackerlands lors du dernier festival du Tetalab, le hackerspace de Toulouse :
Photographies au mobile par Sabine Blanc pour Owni et bidouillée par Ophelia Noor.
- La résilience désigne la capacité d’un organisme à s’adapter aux chocs. Il s’applique aussi bien à un être humain – surmonter un deuil -, qu’à un écosystème – continuer de pouvoir s’alimenter même si les routes sont coupés -. Voir par exemple cette vidéo. [↩]
- Pour une définition des écolieux, voir par exemple cette page [↩]
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