Biodiversité : la bonne affaire du capitalisme sauvage
Peut-on gérer la biodiversité par le marché sans que le marché ne finisse par contrôler totalement les ressources naturelles ?
Le World Resources Institute (WRI) est une organisation qui se présente de la manière suivante :
Le WRI est un think tank environnemental qui va au delà de la recherche pour trouver des moyens pratiques pour protéger la planète et améliorer la vie des peuples.
C’est très noble.
Mais une autre manière de voir, s’y l’on croit les journalistes Agnès Bertrand et Françoise Degert, est celle qui va suivre. Après avoir écouté leur entretien dans l’émission Terre à terre du 16 Octobre, voici à la fois ce que j’en ai compris et comment je l’interprète.
Le World Resources Institute et la convention pour la biodiversité
World Resources Institute est une organisation de lobbying et d’influence, contrôlée par des grandes firmes (banques d’affaires, agro-alimentaire, chimie, extraction de matière première, etc.) qui vise à la fois le détournement de la « Convention pour la Biodiversité » et l’appropriation des ressources naturelles et de la biodiversité.
Le détournement de la Convention pour la Biodiversité, adopté lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 (texte PDF de la convention en français), était la première motivation. En effet, cette convention prônait notamment la fin des subventions (à l’horizon 2020) pour toute activité qui nuirait à la biodiversité. Pétroliers, industries de l’agro-alimententaire et de l’extraction minière et autres ont bien compris que si cette convention venait à être appliquée, leur profit risquait de fondre comme neige au soleil. C’est comme si chaque industriel devait être tenu comptablement et financièrement responsable des externalités négatives qu’il produit : ce qui n’est pas acceptable. Il fallait donc détourner la convention.
Détournement qui se fait en trois moments :
- cela commence tout d’abord par une opération sophistiquée de détournement systématique du vocabulaire et du sens des propositions. On commence à être largement habitué à cette pratique institutionnelle qui consiste à renommer tous les termes, à les adoucir jusqu’à les rendre incompréhensibles et équivoques (exemple : le balayeur qui devient « technicien de surface »), le tout saupoudré d’une communication millimétrée qui distille des « éléments de langage ».
- dans la confusion qui en résulte, prendre la main sur le dispositif de gestion de l’application de la politique en matière de biodiversité qui se met en place. C’est l’acte par lequel on va court-circuiter les populations mais aussi les politiques dans la définition de la mise en place d’une articulation entre finance et écologie. Articulation qui va se faire selon une modalité de soumission du système écologique au système financier.
- le dernier moment étant proprement celui de l’appropriation de fait et en droit de la biodiversité par le marché.
Entre la Convention sur la Biodiversité de 1992 et le sommet de Nagoya de 2010, le système financier a transformé une menace en une gigantesque opportunité. Nous sommes passés d’une hégémonie menacée à une hégémonie triomphante et sans vergogne.
Leur crédo, très classiquement libéral, est que le meilleur moyen de préserver les ressources naturelles ainsi que la biodiversité est de confier tout cela au marché. Dit autrement, il faut que la biodiversité ait une valeur marchande pour qu’elle puisse devenir objet d’intérêt et donc être protégée. L’argument qui justifie la démarche étant que : la meilleure façon d’échapper aux effets toxiques de la spéculation financière des marchés est encore … de rentrer dans le marché. La meilleure façon d’être à l’abri des effets et du fonctionnement d’un système étant de s’y fondre.
Cependant la voie du marché n’est empruntable que par des propriétaires, ceux qui possèdent un titre de propriété. Pour entrer dans le marché, et être « protégé mécaniquement » des effets du marché, il faut donc que la biodiversité trouve un propriétaire.
De l’inventaire au catalogue des services écosystémiques
Mais d’abord il va falloir inventorier et classifier la biodiversité. Puisque l’on souhaite mettre quelque chose sur le marché, il faut être en mesure de le caractériser et de lui donner une valeur. Comment va-t-on pouvoir classer et répertorier toute la biodiversité afin de pouvoir la présenter au marché en tant que marchandise ? Prendre la question au niveau de la molécule serait beaucoup trop long et complexe, un classement en matière de « service rendu » sera préféré. Après tout, à quoi çà sert la biodiversité ? Quels services cela rend-il ?
Si c’est un service, cela a nécessairement une valeur. C’est d’ailleurs presque une tautologie tant c’est l’établissement d’une valeur qui justifie un service.
Service => Valeur puis Service = Valeur
Un jour, tous les services rendus par la nature auront une valeur marchande ; l’air que l’on respire, la graine que l’on plante, la terre que l’on cultive, l’eau que l’on boit, la pharmacie naturelle des plantes, les molécules produites naturellement, etc. C’est une histoire de fournisseur : fournisseurs d’énergie qui deviennent fournisseurs de nature et de biodiversité. Au sens strict, les fournisseurs sont ceux qui mettent au four, qui enfournent ce qui va être consumé et consommé.
On va donc faire comme ça : on va dire que la biodiversité produit des services. Au début on parlera de la biodiversité, puis après d’écosystèmes et à l’arrivée de « services écosystémiques » !
Ne reste plus au WRI qu’à faire pression sur l’ONU pour financer un programme sur l’environnement sensé faire une classification des écosystèmes (pour mieux protéger la biodiversité bien sûr). Le projet devant produire le rapport « Millenium Ecosystem Assessment ». Un « assessment » de la biodiversité qui va identifier et classer 31 services écosystémique regroupés en quatre catégories :
- Approvisionnement en matière première (textile, pêche, minerai, etc.) ;
- Services de supports (les sols) ;
- Régulation du climat et de l’eau ;
- Services culturels (les savoir-faire, et notamment ceux des femmes, c’est très important).
La mise en place de la marchandisation de la biodiversité
On assiste à la création d’un marché, celui de la biodiversité, de la diversité de la vie. Y compris jusqu’aux savoir-faire compris comme « services culturels ».
Pour qu’un service soit sur le marché, il faut qu’il puisse avoir des équivalences avec d’autres services et d’autres marchandises. Cette activité existe, c’est le métier des banques de compensation (Clearstream par exemple, est une banque de compensation). Il faut pouvoir dire que tel territoire a telle valeur et peut s’échanger contre d’autres services. De la sorte, les aires protégées deviennent des actifs financiers.
C’est ce qui s’est passé quand le Brésil a épongé une dette de 61 M$ avec les USA en vendant une aire protégée, la Mata Atlantica (la forêt atlantique du Brésil). Cette zone va donc être géré par les USA. Grâce à cet actif, les USA pourront se dédouaner plus facilement de leur impact écologique et pourront influer sur le marché du Carbone. L’achat de la gestion d’une aire protégée va donner des passe-droits, des joker qui vont sécuriser les profits d’une industrie de guerre. Il s’agit de pouvoir acheter des bonus pour ne pas subir les conséquences des malus, s’acheter une bonne conduite.
Mais pas seulement. La compensation, en faisant entrer la biodiversité dans le marché et dans des transactions financières, étend radicalement l’« aire de jeu » des pratiques spéculatives à  tout le vivant. C’est un nouveau marché, un nouveau golden field (un champ d’opportunité en or).
« Compensation »
Pour être sur un marché, il faut donc qu’il y ait compensation. Le Littré nous indique que compenser désigne l’acte de déclarer équivalente la valeur de deux choses puis, par extension, la compensation est ce qui intervient dans le dédommagement d’un préjudice ou d’un désavantage (on réclame une compensation pour préjudice subi). Enfin, un troisième sens sous la forme d’un verbe réfléchi : « se compenser », au sens où des erreurs qui se compensent n’affectent pas le résultat.
Avec ce dernier sens, on ne déclenche pas de transaction pour les opérations qui s’annulent entre elles sans affecter le résultat. Cette pratique à le nom de « novation », elle désigne le fait, toujours selon le littré, « d’éteindre une ancienne obligation en changeant le titre, le créancier ou le débiteur « , c’est ce que font les chambres de compensation en se substituant successivement aux créanciers, ou débiteurs, lors d’une opération de gré-à -gré.
Les pays fortement endetté pourraient ainsi éponger leur dette grâce à des compensation en biodiversité. Un visage de l’industrie capitaliste, celui qui détruit la biodiversité, se propose maintenant d’effacer l’ardoise en récupérant en plus le peu qu’il en reste. « Je possède ce que je détruit », la boucle est bouclée. Ainsi un parlementaire allemand, du parti de Mme Merkel, a-t-il suggéré qu’en retour de son aide financière à la Grèce, celle-ci devrait céder en compensation ses îles à l’Allemagne !
Les actifs de ces banques de compensation passent ensuite dans des chambres de compensation qui sont totalement opaques et occultes dans leur mode de fonctionnement. L’opacité de ces activités a ainsi fait dire que ces banques avaient une activité de blanchiment d’argent sale qui permet également de faire marcher la planche à billet.
Imposer un système de gestion pour court-circuiter les logiques contributives
Ce qui donc a été présenté à Nagoya, du 23 au 30 Octobre 2010, c’est le fruit d’un travail qui a été confié à un banquier de la Deutsche Bank, basé à Bombay. Il s’agit de « The economy of ecosystems and biodiversity » (TEEB). Avant même d’être présenté à Nagoya, des extraits et un pré-rapport ont été présenté à Londres le 13 Juillet 2010 sous l’intitulé « The economy of ecosystems and biodiversity for Business ».
La prochaine étape est la mise en place de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale, scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques). Présentée comme le « GIEC de la biodiversité », l’IPBES est beaucoup plus qu’un groupe d’experts scientifiques puisque il a des prérogatives politiques avec un droit de gestion de toute la biodiversité sans forcément directement passer par les états, c’est à dire en pouvant dialoguer directement avec les collectivités locales et les populations autochtones.
Tout est donc en place pour un arrimage de la biodiversité à la finance : les aspects juridiques et la répartition des tâches sont en train d’être finalisés, et on peut être certain que l’IPBES va court-circuiter la mise en place des mesures préconisées par la Convention sur la biodiversité, au premier rand duquel les subventions aux activités produisant des externalités négatives sur la biodiversité.
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Article initialement publié sur le blog de Christian Fauré sous le titre : « Biodiversity (for Business) »
>> photos flickr CC Stéfan ; Rodrigo Soldon ; Michael Grimes
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