Médias Sociaux: Objectif Thune?
Il aura fallu 20 ans à l'Industrie pour percuter que les conversations entre individus pouvaient s'avérer bankables.
Vendre du customisé goûtu plutôt que du standard lyophilisé, adresser des messages pertinents au compte-goutte plutôt que de vomir du “pack-shot 4 ans et +” à la grosse louche, intégrer le feedback de ses utilisateurs dans les process “qualité” plutôt qu’à à la rubrique “frais d’avocat”… il aura fallu vingt ans à l’Industrie pour percuter que les conversations entre individus pouvaient s’avérer bankables.
e-Marche. Ou Crève
L’avènement du web comme une gigantesque bourse d’échanges d’opinions entre consommateurs pro-actifs ne lui laisse pas le choix. La brèche ouverte il y a trente ans s’est élargie grâce aux forums d’abord, aux blogs ensuite, et est à présent complètement dilatée par Facebook et les réseaux sociaux.
Les pratiques commerciales, que l’on vende des savonnettes ou des arbres morts imbibés d’encre, mutent génétiquement, durablement et à une vitesse ko-lossale. Et s’en convaincre n’est pas chose aisée, surtout quand votre business model repose sur la certitude de votre bon droit à faire du pognon avec des produits dont les individus n’ont pas vitalement besoin. Soit environ 90 % des rayons de nos supermarchés occidentaux, y compris ceux 100 % en ligne.
L’Industrie globalisée a déifié l’immédiateté du retour sur investissement. Plus que jamais, pas un kopeck ne sort sans qu’il n’en rapporte 2 (ou 3 ou 1.000) dans le mois, au pire dans l’année, selon des processus de décision et de communication éprouvés et, croyait-on, bien mesurés. Dans l’univers top-down des DG en silos, il suffisait de saturer “son” audience de messages positifs, quitte à la tromper sciemment, pour que cette autorité auto-proclamée rassure le système du bien-fondé de son existence même. “La loi de l’offre et la demande” inscrite au frontispice de Wall Street ne signifiait rien d’autre que “nous savons ce qui est bon pour vous. Consommez et fermez-la”.
Oui mais voilà, le web, de par sa nature même, a rendu ces processus verticaux improductifs, voire sclérosants. L’interconnexion des individus, selon le principe de “une adresse ip – une voix”, et la neutralité jusqu’ici préservée des tuyaux physiques, ont révélé toute l’impuissance du système à formater des comportements sur base d’une autorité mal acquise. Et pas de chance, on ne vend ni n’achète la confiance, cette denrée qui peut prendre une vie à construire et une seconde à détruire, et qui constitue pourtant, avec l’empathie, le coït et les moules frites, l’essence même de notre humanité.
Face à ce réchauffement systémique dû aux frictions permanentes des individus sur la Toile, l’Industrie n’a d’autre choix que de se mettre à l’écoute de ses plus vifs contestataires. “Parce que, in fine, un gars qui gueule sur Twitter contre la programmation de sa radio, c’est que quand même, quelque part, il l’apprécie et se reconnaît en elle.”
Vers une économie de l’Intention
Jamais la technologie n’a été aussi puissante et les outils aussi nombreux pour monitorer l’activité des individus en ligne. Mais mettez bout à bout tous les Watson du monde et vous verrez de quelle utilité ils vous sont pour faire l’amour à votre femme, réconforter vos enfants ou accompagner un ami en fin de vie…
Tous les secteurs ou presque de l’Industrie switchent, un par un, de gré ou de force, mais toujours au détriment de ses intermédiaires incapables de faire approuver leur utilité par une “communauté d’intérêts” au sein des publics de l’interweb. Les autres, ceux qui ont compris que le pair-à-pair dynamisait leurs marchés plutôt que de les dynamiter, montent en puissance sans un regard aucun pour les dinosaures en train de suffoquer sous leur propre poids.
De nouveaux services aux publics naissent chaque jour, organiquement, et comblent ces vides conversationnels abandonnés par l’Industrie (et, au passage, la Démocratie) qui, trop occupées à curer de façon palliative leur entropie et leurs sinistres hiérarchies, en oublient de défendre des visions d’avenir pour les individus à qui, en principe, elles sont censées s’adresser.
Car c’est bien de cela dont il s’agit. Derrières vos façades siliconées et vos PR encostumés, fussent-ils élus, vers où nous emmenez-vous ? Do you have a dream ? Et si oui, pourquoi n’en parlez-vous pas ?
Mon paternel, qui aurait pu faire fortune sur le dos de ses patients, a préféré se placer à leurs cotés en leur demandant quel était le poids qu’ils portaient pour ainsi courber l’échine. Manipuler une vertèbre pour les aider à relever la tête et leur redonner envie d’être en vie. Regarder loin, c’est déjà y mettre un pied. Fixez vos métacarpes et c’est la gamelle assurée.
Demain, tous matelots ?
Si j’en crois Wikipédia, “Vivre d’industrie“ signifie “trouver moyen de subsister par son adresse et par son savoir-faire“. À l’heure des réseaux, cette subsistance passe par la capacité à effectuer ce saut vers les inconnus qui expriment, parfois vertement, aux capitaines du 21e siècle leurs aspirations quant à la direction et la cadence du navire dans lequel ils ont grimpé en effectuant l’acte d’achat de leur ticket d’embarquement. Tout comme se croire paquebot lorsque l’on n’est que rafiot, les ignorer, c’est prendre le risque d’une mutinerie qui enverra pour sûr l’esquif par le fond.
Enfin, pour votre gouverne, si les pirates des temps modernes se saoulent d’HTML, c’est sans doute parce qu’ils ont compris que la faiblesse des pratiques commerciales, médiatiques et politiques résidait précisément dans leur code génétique qui, faut-il encore le répéter, est en mutation. En les prenant à son bord (et pas en les envoyant par-dessus) et en laissant agir leur fougue créatrice, l’Industrie peut s’offrir une bouffée d’air pur innovant, qui agira comme un antibiotique face à ce désespérant cancer du tout-maintenant-tout de suite.
Les patrons des industries de demain seront ceux qui auront réussi à combiner les talents technologiques, à canaliser les énergies renouvelées des conversations entre êtres humains, à générer de la valeur ajoutée en incluant plutôt qu’en excluant les caractères dissonants et à gagner de l’argent en étant capables de se regarder le matin dans le miroir. Parce qu’ils auront la certitude d’avoir été utiles, vraiment.
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Illustrations Flickr CC Eole, Haigil30 et Gadl.
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